TOMORROWLAND : RETOUR SUR UN DÉSASTRE

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La période estivale est propice aux loisirs et plaisirs décomplexés, c’est aussi celle des rassemblements musicaux à répétition. On pourrait littéralement parler de fièvre festivalière : plusieurs centaines d’événements sur le territoire belge sont recensés chaque année. Parmi eux, Tomorrowland tient une position singulière pour sa programmation, ses installations, ses décors et son caractère démesuré. La dernière édition aurait attiré près de 400.000 visiteurs en deux week-ends…

L’enthousiasme non dissimulé avec lequel les médias associés (Plug RTL, Radio Contact, Studio Brussel) relaient cette fête mondialiste élude certaines questions de fond. Il est vrai que cet événement renvoie des images de « meilleur des mondes », avec cette communauté humaine communiant dans la joie et l’agresse sur une musique composée d’une grosse caisse, de samples et de quelques sons pompiers… C’est tellement beau, ça brille et ça scintille de partout !

Dès lors, pourquoi parlerions-nous de la pauvreté intrinsèque de la musique proposée ? Laissons disserter les connaisseurs de véritables musiques électroniques… Pourquoi évoquerions-nous les cachets mirobolants perçus par ces Disc Jockeys vedettes (Guetta, Vegas, Ganacci…) abusivement qualifiés de musiciens ? Pourquoi adopterions-nous une lecture de classe de cet événement même si, avec un ticket d’entrée à la journée fixé à 105€, il va de soi que ce festival s’adresse à un public de « privilégiés » ? Évoquer ces aspects reviendrait à faire preuve de trivialité… Les organisateurs n’ont-ils pas la noble prétention d’offrir un rêve éveillé à ceux qui peuvent se le payer ?

Toutefois, nous nous sentons obligés d’arrêter notre réflexion sur un point impérieux : à l’heure où la question environnementale animerait nos consciences comme jamais, n’est-il pas temps de revenir à des événements à dimension humaine et d’imposer quelques règles drastiques aux organisateurs et festivaliers ?

Tomorrowland est certes une machine à dégager d’immenses profits, ce n’est certainement pas pour rien que Jupiler, Miele, Carrefour, ING et bien d’autres se profilent comme partenaires officiels et se bousculent pour rendre leurs estampes visibles. Il est aussi vrai que ce festival occupe plusieurs milliers de personnes tout au long de l’événement. Mais au-delà des indices économiques très favorables pour les organisateurs et les nombreuses retombées pour les investisseurs, l’impact environnemental de cette méga fête est lourd, très lourd.

UN DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE

Notons que l’organisateur invite les festivaliers à « respecter les terres sacrées de Tomorrowland et Dreamville et respecter Mère Nature » (sic). Malheureusement, le message est trop sibyllin pour être pleinement intégré par le public. La prise en compte de cette sensibilisation se mesure à la fin du festival. Une fois le site dépeuplé, c’est un immense tapis de déchets qui recouvre les vastes prairies de Boom. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une gigantesque décharge faite de bouteilles en plastique, de canettes aussi vides que pleines, d’emballages alimentaires, de conserves, de gels douche, d’objets fantaisies… On ne peut qu’être surpris par l’absence de volontarisme de la part des organisateurs pour maintenir cet espace naturel dans un état de propreté acceptable. Alors qu’un David Guetta percevra plusieurs centaines de milliers d’euros pour une prestation scénique qu’on ne préférera pas commenter, l’organisateur semble rechigner à mettre les bouchées doubles pour assurer un tri valable et performant des déchets tout au long de la durée du festival. Les terres de Boom souffrent. Nul doute que la nature aura besoin d’un an pour se remettre de l’événement. Cette souffrance n’est pas entièrement au tort de l’organisateur, les festivaliers sont aussi comptables. Que font-ils sinon abandonner à son triste sort un site devenu sale par leur seule et unique absence de sens commun ?

Les festivaliers ne sont pas seulement négligents, ils sont également désintéressés : ce sont des centaines d’effets personnels qui sont littéralement abandonnés sur les lieux : des vêtements, des essuies, des frigos box, des sacs de couchage, des tentes, des tapis de sol, des matelas gonflables, des sièges de camping, des objets qui pour la plupart n’auront servi qu’une seule fois… Là encore, l’organisateur fait preuve d’une rare complaisance car nul n’est tenu de replier son barda et de le déposer dans un point de collecte. Il se dédouane en souscrivant à des partenariats. Cette tâche de déblayage sera à l’actif de bénévoles présents sur le site dont la fonction éminemment utile consistera à récupérer le matériel de camping limitant ainsi le saccage. Mais là encore, le dispositif n’est pas à la hauteur des besoins. Par manque d’effectif et de volontaires, une quantité significative de matériel sera ramassée à la pelleteuse et vouée à la déchetterie.

Tomorrowland, soucieux de son image, demande à ces bénévoles de ne pas diffuser les photos du site sur les réseaux sociaux… Nous sommes loin de la féerie des lumières et du spectacle pyrotechnique de la veille. Au lendemain, la démesure présente un autre versant.

Il serait intéressant d’établir le bilan carboné complet d’un tel événement : 400.000 festivaliers dont plus d’une dizaine de milliers ont quitté leur frontière par avion, une consommation d’eau et d’électricité hors normes, des moyens logistiques et matériels sans limite à la mise en œuvre des infrastructures, Tomorrowland symbolise le coût écologique de la distraction de masse à l’heure de la mondialisation.

Bodenghien Laurent

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