La cyber-contestation face à l’aversion des médias

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Si le doute sur la nature exacte des attentats du 11-Septembre s’est installé rapidement dans l’opinion publique, il a mis du temps à se structurer et à faire tache d’huile. D’autant plus que les médias, débordés à la fois par l’émergence de cette remise en question et par la démocratisation (sans mauvais jeu de mots) de l’internet qui la propageait, ont déployé tous les stratagèmes possibles pour tenter d’endiguer l’hémorragie du sens.

Le 11 septembre 2001, malgré le choc (presque) planétaire causé par les attentats, une petite minorité de téléspectateurs se pose d’emblée des questions dérangeantes. Soit parce que leur expertise scientifique les amène à comprendre que tout n’a pas été dit, comme ce spécialiste des démolitions contrôlées qui affirme dès le lendemain, dans un quotidien du Nouveau-Mexique, que les tours de Manhattan étaient piégées de haut en bas. Il se rétractera quelques jours plus tard, tant son propos s’avère inaudible. Soit que, rompus aux opérations secrètes d’un Empire passé maître dans la stratégie du choc, on ne la leur fait plus: si la première puissance militaire au monde, dont la suprématie est écrasante, se fait attaquer sur son propre sol avec une telle efficacité, raisonnent-ils, c’est qu’elle a laissé faire, voire contribué à l’organisation de l’opération. Cependant, dans les jours et les semaines qui suivent, la psychose patriotique – et, à l’étranger, atlantiste – est si savamment entretenue par les autorités et leurs relais médiatiques, que toute parole potentiellement dissidente est étouffée dans l’œuf. Plusieurs journalistes, par exemple, perdent leur emploi pour avoir osé critiquer l’attitude du président Bush le jour des attentats, tandis que divers artistes qui adoptent un ton trop acerbe sont victimes d’annulations de spectacles ou d’interdictions de passage radio. Les nostalgiques du maccarthysme ronronnent d’aise, et le monde entier semble américain. 

Ce n’est que six mois plus tard qu’émergera, en France, la première contestation construite et médiatisée de ce qui devient, par conséquent, la ‘version officielle’ des attentats du 11-Septembre. Elle émane de Thierry Meyssan, un militant antifasciste et pro-laïcité, président du Réseau Voltaire, qui publie dans L’effroyable imposture un ensemble de thèses peu étayées: le Pentagone n’aurait pas été frappé par le vol AA175 (l’affirmation la plus commentée du livre), les Twin Towers et le WTC7 auraient été détruits par des explosifs, la Maison-Blanche aurait également été touchée par un attentat, et surtout, l’opération aurait été organisée par un gouvernement de l’ombre qui aurait mis Bush sous pression pour céder à ses revendications, qui visaient notamment la conquête du Moyen-Orient. En l’absence d’éléments probants, les médias ont beau jeu de laminer Meyssan comme un odieux conspirationniste, et de condamner au passage toute parole, actuelle ou future, qui remettrait en question la version officielle des attentats. Bien malgré lui, en ouvrant la boîte de Pandore, Thierry Meyssan a fait en sorte qu’elle soit violemment refermée, et pour longtemps.

naissanCe d’un mouvement 

Au fil des années qui suivent, divers films apparaissent sur le net pour contester la version officielle. L’inévitable documentaire « Loose Change », décliné en plusieurs versions successives, visionné au total plus de 100 millions de fois, constitue pour de nombreux internautes la porte d’entrée dans le doute au sujet des attentats. D’autres films se concentrent plus particulièrement sur la démolition des tours ou sur la lutte des familles des victimes pour obtenir des réponses à leurs nombreuses questions. Le seul autre canal d’expression qui semble encore fonctionner librement est le monde de l’édition indépendante, les livres présentant l’avantage de permettre un examen des faits et/ou des analyses beaucoup plus fouillés. Plusieurs auteurs, comme David Ray Griffin, Webster Griffin Tarpley, Nafeez Mossadeq Ahmed et, dans une certaine mesure, Peter Dale Scott, s’engouffrent dans la brèche. Au fur et à mesure émerge de ces efforts disparates, et parfois très contradictoires, un véritable mouvement, communément appelé le Mouvement pour la Vérité sur le 11-Septembre. 

En quelques années, ce mouvement verra naître en son sein des associations de professionnels issus des nombreuses disciplines concernées par la contestation de la version officielle des événements du 11-Septembre. En effet, une critique facile et souvent justifiée qui était initialement adressée à ceux qui émettaient des doutes, tenait au fait que de nombreux experts s’étaient penchés sur les faits et avaient produit plusieurs rapports, dont celui de la Commission officielle d’enquête sur les attentats. Les contestataires, pour leur part, puisaient souvent sur Google leurs maigres connaissances dans les domaines scientifiques concernés. C’est ainsi que sont nées des associations de professionnels chevronnés issus du monde de l’architecture, du génie civil, de l’aviation (civile et militaire), des pompiers, etc. Chacune de ces associations, forte de son expertise, a produit des rapports contestant les conclusions officielles dans son domaine de compétence. Le développement le plus récent du mouvement est le 9/11 Consensus Panel, un comité des spécialistes les plus reconnus de la contestation du récit officiel des attentats du 11-Septembre, qui s’emploie à dégager des points de consensus incontestés parmi la masse parfois contradictoire de faits et d’analyses avancés par les contestataires depuis le début du mouvement. A noter que si on reproche parfois à ces experts et auteurs de s’engager dans ce combat pour la gloire ou l’argent, c’est bien au contraire à de graves ennuis qu’ils s’exposent. Ainsi, le physicien Steven Jones a été écarté du poste d’enseignement qu’il occupait à la Brigham Young University, qui a tenu à se démarquer des positions de Jones sur le 11-Septembre. 

Si le doute sur les attentats circule librement sur internet et dans certains livres, la situation est toute différente en ce qui concerne les médias, relais classique vers l’opinion publique. En 2002, au moment de la publication du premier livre de Thierry Meyssan sur le sujet, ils s’en étaient donné à cœur joie en tirant à boulets rouges sur l’impudent contestataire. Par contre, les années qui ont suivi ont plutôt été caractérisées par l’ostracisme. Le compte de Meyssan, et par extension de toute contestation, était réglé, alors à quoi bon revenir sur cette affaire? Lors des obligatoires commémorations annuelles, on ne parlait donc que de l’émotion qui entourait l’événement ou des conséquences des attentats. Mais de la contestation croissante en toile de fond, pas un mot… 

l’avant-garde pipôle

… Jusqu’à ce que cette position devienne intenable. En effet, pendant que les médias regardaient ailleurs, le mouvement pour la vérité s’était structuré et professionnalisé, et ses arguments touchaient un nombre de gens croissant, qui commençait à déborder des fils de la Toile. Que des experts et professionnels en tous genres contestent de manière radicale les conclusions de l’enquête, ça ne mérite pas un sujet au JT ou un entrefilet dans le journal. Par contre, quand ce sont des célébrités comme Marion Cotillard, Jean-Marie Bigard ou Mathieu Kassovitz – ou aux États-Unis, les acteurs Charlie Sheen et Woody Harrelson ou le chanteur country Willie Nelson – les médias sont au garde-à-vous: comme ils carburent aux people, ils sont obligés de relayer, mais en prenant bien soin de ne surtout pas avoir l’air de cautionner. On assiste alors à des moments d’anthologie du journalisme militant, tendance braillard, sourd et aveugle. Bigard et Kassovitz, invités à un débat télévisé « sérieux » sur le sujet, acceptent d’y participer à condition d’être accompagnés de deux experts plus rompus qu’eux aux subtilités du 11-Septembre. Ils n’apprennent qu’en dernière minute qu’ils seront finalement seuls face aux ‘contre-experts’ alignés par France2, histoire « d’éviter la bataille d’experts », selon l’animateur Guillaume Durand – alors que c’était précisément ce qui était attendu et espéré par une bonne partie des téléspectateurs. Du coup, le ‘débat’ entre les deux artistes et leurs contradicteurs, fort mal renseignés, tournera logiquement – et délibérément? – au dialogue de sourds. Mention spéciale aussi pour Franz-Olivier Giesbert, pour sa citation de Voltaire, face au journaliste Éric Raynaud, invité dans son émission pour son livre de compilation des nombreux éléments à charge contre la version officielle. Après lui avoir coupé la parole pendant un quart d’heure à coups de boutades, avec l’aide de son collègue Mohamed Sifaoui, et sans avoir écouté le moindre argument, Giesbert eut le culot de lancer à Raynaud: « Je ne suis pas du tout d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous ayez le droit de le dire. » On a vu aussi sur Arte, chaîne pourtant réputée sérieuse, une soirée Théma consacrée à assimiler contestation de la version gouvernementale du 11-Septembre, opposition à la guerre en Irak et antisémitisme et néonazisme. Sauf qu’à y regarder de plus près, le réalisateur des deux documentaires diffusés, une bonne partie des intervenants dans ces deux films, ainsi que les auteurs d’un livre recommandé en fin d’émission étaient tous membres d’un même think tank atlantiste, le Cercle de l’Oratoire, qui milite comme par hasard pour l’acceptation de la guerre en Irak par l’opinion française. La palme de la finesse, enfin, revient à Philippe Val, qui dans une chronique sur FranceInter – dont il est aujourd’hui le directeur – se lamentait en termes choisis sur le fait que près de 10% des Français, selon un sondage, étaient sensibles à la remise en question de la version officielle des attentats, « ce qui, sauf leur respect, fait quand même un sacré paquet de sales cons ».

l’épouvantail mité de l’antisémitisme

Outre ces subtils effets rhétoriques, on a pu assister surtout à des procédés journalistiques douteux mais éprouvés. Le truc de l’épouvantail consiste à assimiler l’adversaire à une catégorie repoussante au-delà de tout questionnement. Au début, après la descente en flammes de Thierry Meyssan, quiconque se permettait de douter était encore gentiment traité d’adepte de Meyssan, de farfelu ou de rigolo. Mais au fur et à mesure que l’insupportable doute faisait tache d’huile, le ton s’est durci, et on a vu entrer en scène une grosse ficelle qui avait fait ses preuves dans nombre d’autres débats : le chantage à l’antisémitisme. Puisque les sceptiques « niaient le 11-Septembre », ils étaient par conséquent négationnistes, donc révisionnistes et antisémites. D’ailleurs, ne disaient-ils pas que les Juifs travaillant dans les Twin Towers avaient été prévenus, et que le Mossad était complice? L’anathème est aussi efficace qu’un colle-mouches, du moins dans la sphère médiatique. 

Autre classique: le deux poids deux mesures. Lorsque l’animateur Thierry Ardisson donna la parole à Thierry Meyssan, lors de la sortie de son premier livre, propulsant le sujet à la une des médias, il ne fallut qu’un mois au CSA français pour, d’initiative, rappeler France2 à l’ordre afin que « la vérité soit rétablie et que de tels dérapages ne se reproduisent pas ». Plus récemment, Caroline Fourest, dans le premier épisode d’une série de 4 reportages consacrés aux « Réseaux de l’extrême » (!), a taillé un costard aux ‘conspirationnistes’ à coups d’amalgames, de stigmatisation, de contre-vérités et d’omissions. L’association ReOpen911, qui milite en France pour la réouverture de l’enquête, a envoyé en mars dernier au même CSA un dossier recensant tous les manquements patents à la déontologie journalistique de la part de Fourest. Cinq mois plus tard, la seule réaction du chien de garde des médias reste un silence embarrassé. De manière plus générale, les journalistes interpellés au sujet du 11-Septembre par des ‘truthers’ répondent souvent que le sujet est éculé et qu’il n’intéresse plus personne. Pourtant, il suffit qu’un nouveau fait relatif au 11-Septembre surgisse pour qu’il fasse la une pendant plusieurs jours… à condition qu’il ne remette en rien en cause la version gouvernementale, comme lorsqu’on a retrouvé, plusieurs années après l’événement, des fragments d’os humains sur le toit d’un immeuble voisin des Twin Towers. 

la menaCe de la toile 

En gros, presque tout le catalogue de la mauvaise foi dressé par Arthur Schopenhauer dans L’art d’avoir toujours raison se retrouve dans la couverture médiatique de la remise en question de la vérité officielle sur le 11-Septembre. C’est que les médias, qui traditionnellement ne brisent que les petits tabous, se sentent mis sur la sellette face à la montée d’internet comme source d’information, et que l’irruption d’un sujet qui suscite une telle polarisation leur permet de mesurer le terrain perdu dans la lutte pour le temps de cerveau disponible. Il est significatif de constater que tant la RTBF que France2 et Arte ont chacune consacré, à côté de leurs efforts pour défendre la version officielle, et dans une même émission ou soirée thématique, des reportages à cette prétendue menace, enjoignant implicitement le spectateur à rester dans le giron sécurisant de la télévision plutôt que d’aller s’emberlificoter dans cette hasardeuse Toile. Ici encore, c’est Philippe Val, dans sa chronique déjà citée plus haut, qui exprimait avec le plus de poésie son aversion pour la propagation du doute: « Internet est l’égout idéal où circule toute cette pourriture. »

Face à une populace qui pense mal – comme lorsqu’elle vota en France contre le traité constitutionnel européen en 2005 – et qui s’informe sur internet, les médias s’érigent en dernier rempart de la bien-pensance et des certitudes confortables. Leur affinité avec les vérités officielles est donc naturelle. Il ne faudrait par conséquent pas imaginer dans la presse un grand complot, destiné à couvrir cet autre grand complot, à supposer qu’il ait eu lieu. Le fait qu’ils ne supportent pas la moindre remise en question de la vérité officielle ne fait pas des journalistes des complices d’un hypothétique inside job. Simplement, comme l’ont finement analysé certains intellectuels qui, tel Chomsky ou Bourdieu, ont pensé les médias et leurs structures d’influence, les journalistes ont avec les puissants et leurs intérêts une communauté d’idées et de valeurs qui leur a valu d’entrer dans le microcosme médiatique et d’y tracer leur chemin. Face à un tabou majeur comme la remise en question des conclusions officielles sur le 11-Septembre, la pensée logique est court-circuitée, c’est l’instinct qui sent d’où vient le vent et qui dicte dans quelle direction il faut regarder. En toute bonne foi, le journaliste sent que ce qu’il est viscéralement amené à croire est le vrai et le bon, et que ce qui s’y oppose est forcément dans l’erreur et la mauvaise intention. Et si ce mécanisme ne fonctionne pas à plein, il y a toujours l’effet d’entraînement, que les journalistes dénoncent comme une tare d’internet, mais qu’ils avaient eux-mêmes inauguré bien avant. 

A cet égard, l’expérience d’Asch, un psychologue américain, est éclairante. Lorsqu’un sujet est placé au milieu d’autres personnes qui énoncent une contrevérité évidente – la ligne A est plus courte que la ligne B, alors qu’elle est manifestement plus longue – il les suivra dans une majorité des cas, afin d’éviter de se démarquer de la tendance générale, d’avoir à se justifier et à défendre sa position. A noter que dans cette expérience, le sujet n’a subi aucune autre pression que celle du groupe, et n’aurait eu à affronter aucun inconvénient du fait de s’en démarquer, là où un journaliste risque sa crédibilité, son avancement, voire sa carrière. On reculerait à moins, et à ce titre, il est inutile, voire contre-productif, de voir dans les journalistes individuels des responsables de ce qui est davantage produit par un système tout entier. En attendant, ce système n’a toujours pas été capable, en douze ans, de relayer une réalité sociale, celle du doute et de la contestation, sans la tourner en ridicule, sans déformer son discours et sans prescrire à son public ce qu’il doit en penser. Au-delà des questions qui se posent sur le fond des attentats du 11-Septembre, rien que ce constat-là suffit à donner envie de relire Orwell. 

Olivier Taymans

Traducteur, journaliste, réalisateur d’«Épouvantails, autruches et perroquets –10 ans de journalisme sur le 11-Septembre», visible sur www.epouvantails.net

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