Les apologues de la Start-Up Nation (c’est-à-dire les mass médias) hurlent contre la poupée sexuelle Shein. Ce sont pourtant eux qui font profession d’insulter les réfractaires au capitalisme libidinal, à l’accomplissement de tous les fantasmes, à la marchandisation globale, dont celle de la reproduction. « Quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion », leur avait enseigné avec enthousiasme Voltaire. Voici un demi-siècle, les mêmes (Le Monde, Libération…) militaient pour la légalisation de la pédophilie, tout en traitant leurs objecteurs d’affreux réacs. Comme ils n’apprennent jamais rien de l’histoire, ils assurent depuis une décennie la promotion du « phénomène trans » (cf. Dany-Robert Dufour) qui expédie des jeunes en difficulté d’identification sexuelle à la boucherie, tout en criminalisant ceux qui tentent, à contre-courant, de les en épargner. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes ravis de la modernité qui gémissent devant l’horreur qu’ils ont eux-mêmes enfantée : une poupée sexuelle représentant une petite enfant. Mais ne constitue-t-elle pas le fruit le plus achevé du système qu’ils nous imposent à longueur d’antenne ? « On a les enfants qu’on mérite, ils sont comme on les a faits », et la Start-Up Nation a, naturellement, accouché de la poupée Shein. La Start-Up Nation, c’est la société technicienne, qu’elle se présente sous le masque du totalitarisme chinois ou sous celui de la démocratie illusoire en Occident.
Les techno-prophètes chinois ou ceux de la Silicon Valley nous promettent qu’elle pourra bientôt parler et marcher. C’est même déjà le cas, s’enthousiasme Le Figaro étudiant : grâce à l’intelligence artificielle, deux militants d’une association « contre les violences sexuelles sur les enfants » […] « font parler la poupée Shein pour dénoncer les violences sexuelles sur les enfants, et le résultat est bluffant. » (15 novembre 2025). La poupée Shein grandira et deviendra comme l’humanoïde du troisième volet de la série Terminator, un robot revêtu de l’apparence d’une nana sexy, le tout piloté par une intelligence artificielle livrée à elle-même. Ou bien comme la nouvelle ministre Diella, une intelligence artificielle intégrée au gouvernement albanais pour lutter contre la corruption. D’ailleurs Diella veut dire « Soleil » en albanais, tout un programme. Ici, le côté sexy pour mieux duper l’esprit encore un peu effrayé par la machine glacée, c’est l’aspect d’une femme en costume traditionnel local. D’ailleurs, « le Premier ministre albanais, Edi Rama, a annoncé que Diella, ministre IA chargée des marchés publics, était enceinte de 83 enfants. Leur but sera d’assister chacun des députés… » (BFM TV, 28 octobre 2025).
Une chronique du Figaro, datée du 13 novembre 2025, vaut que l’on s’y arrête. Monsieur Paulin Césari écrit : « Je consomme donc je suis. L’arrivée de Shein au BHV parisien est le dernier exemple en date de la toujours pertinente actualité de cette proposition. Qui vient démentir les rêves de tous ceux qui pensaient que les temps maudits du consumérisme étaient derrière eux. Que l’émergence d’une “conscience écologiste” soucieuse de décroissance allait sonner le glas de la société de consommation. Il n’en est rien. Pour une raison fort simple. Si le consumérisme est plus vivant que jamais, c’est que ses causes profondes sont toujours à l’œuvre. Ses causes profondes ? La disparition des grands récits qui donnaient un sens à l’existence de l’homme et à celle de la cité. L’effacement de toute transcendance qui pourrait tempérer le naturel désir autocentré de jouissance immédiate qui anime depuis toujours le bipède animé. C’est pourquoi on se trompe de cible en s’en prenant à la Chine. En critiquant la dérégulation du commerce international. En conspuant le libre-échange. Car ce n’est pas parce que les produits chinois arrivent dans la cité que les citoyens les désirent, mais parce que les citoyens les désirent qu’ils arrivent dans la cité. Peut-on reprocher à ces derniers d’être, à l’insu de leur plein gré, les acteurs de cette submersion consumériste et de la culture du déchet qui en résulte ? Que nenni. En revanche, il est permis de souligner la responsabilité de tous ceux qui, prétendant gouverner la cité, ne veulent pas ou ne peuvent pas lui donner d’autres horizons qu’une courbe de croissance et un PIB. Qu’offrent-ils alors au citoyen ? Les écuries d’Augias comme destin. »
Certes, nous partageons, bien sûr, beaucoup de cette analyse, mais, au cours de cette « Minute philo », M. Césari oublie que c’est justement le propre du philosophe (le vrai, pas Raphaël Enthoven) que de refuser la pensée de système, c’est-à-dire la pensée exclusive, celle pour qui c’est tout l’un ou tout l’autre, par exemple en renvoyant seulement à l’individu ou uniquement à la société. C’est l’éternelle histoire de la poule et de l’œuf. Car, citant une figure de droite pour faire plaisir au Figaro, Patrick Buisson expliquait qu’« il n’y a pas d’économie de marché sans société de marché », et que par conséquent « la dérégulation du commerce international » et le libre-échange engendrent des individus qui se vivent d’abord comme des agents économiques, des producteurs-consommateurs, dont le sens est d’accroître le PNB. Et voilà Le Figaro, comme toute cette droite « libérale-conservatrice », condamné à sempiternellement « vénérer le marché et maudire la culture qu’il engendre » (Russell Jacoby).
Cependant, le Président, qui avait pour projet que « la France devienne une Start-Up Nation, c’est-à-dire à la fois une nation qui travaille avec et pour les Start-Up, mais aussi une nation qui pense et agit comme une Start-Up » panique lui aussi devant sa créature. Sa progéniture se retournerait contre lui en déballant ses frasques. Il suit donc la logique intrinsèque au libéralisme pour devenir libéral-autoritaire. Il s’agit désormais de normaliser à tout prix la parole sur Internet. Cette soudaine intransigeance médiatique envers la poupée Shein semble s’inscrire dans ce retournement. De fait, elle ne demeure qu’un objet, et cet évènement ouvre un champ de réflexion vertigineux. Un seul exemple : faut-il surveiller les pédophiles pour qu’ils n’achètent pas ces poupées dans les magasins de jouets ? Le libéralisme promettait pourtant la permissivité ; tout devait être permis à condition que cela n’empiète pas sur autrui. Désormais, faut-il traquer les déviants ? « Une poupée sexuelle interceptée dans les Bouches-du-Rhône, le destinataire interpellé », relate Le Parisien, le 5 novembre 2025. La Start-Up Nation offre des moyens inédits de traque et de lynchage sur la place publique numérique. D’ailleurs, ne faudrait-il pas commencer par condamner les deux militants qui ont fait parler la poupée Shein ? Légitimement, on peut s’interroger sur le côté pervers de leur démarche.
« On reconnaît l’arbre à ses fruits » (Matthieu 7:15–20). Les libéraux engendrent leurs propres monstres.
Vincent Cheynet, auteur de Liberté et décroissance, éditions du Rouge et du Noir, à paraître en février 2026.





