Les sociétés offshores et Didier Reynders

Le 3 décembre 2024, la nouvelle tombait comme un coup de tonnerre : Didier Reynders venait d’être perquisitionné dans le cadre d’un dossier de blanchiment ouvert à la suite de deux dénonciations. Le loto et la banque ING avaient signalé une somme d’un million d’euros suspecte sur les comptes de « Teflon » à la Cellule de traitement des informations financières (La Ctif). « Teflon », ce sobriquet utilisé par les journalistes faisant référence à l’incroyable capacité de l’homme politique liégeois à échapper aux scandales qui s’étaient accumulés durant sa carrière.

Ce 14 juillet, le journaliste Philippe Engels révélait que deux autres perquisitions avaient été effectuées dans ce dossier. Son bras droit de toujours, Jean-Claude Fontinoy et l’antiquaire Olivier Theunissen ont été « visités » début juin. Les enquêteurs suspectent des opérations de blanchiment via l’achat et la vente d’objets d’art.

Cela fait déjà 6 ans que Kairos dénonce cette association de malfaiteurs et ses agissements! Si l’on peut se réjouir de l’action de la justice certes tardive mais bien réelle, il est évident que Thémis (déesse de la justice) s’attaque à l’argent de poche de notre ancien commissaire européen à la Justice et à l’état de droit. Mais le cœur du système, avec des sommes autrement plus importantes, réside dans des opérations immobilières et des comptes offshores. Concernant ces derniers, nous vous proposons quelques éclairages qui vous permettront de percevoir la forêt derrière l’arbre. 

Les comptes offshores, mode d’emploi

Pour se faire, il faut des montages professionnels dans des pays dotés de structure faites pour cela. Didier Reynders était une PEP (personne exposée politiquement.) Ce terme signifie dans le jargon bancaire qu’on ne peut pas lui verser de l’argent directement sur son compte, en Belgique, sous peine d’une dénonciation instantanée à la Ctif. D’où la nécessité d’avoir recours à des comptes offshores, c’est à dire établis dans des paradis fiscaux. Ceux-ci, par définition, échappent au fisc belge.

Vu les montants en jeux et la complexité des opérations, il faut un chef d’orchestre. Pour se faire, quoi de mieux qu’un hollandais ? Son nom va apparaître à plusieurs reprises dans les dossiers liés à Reynders. Le premier porte sur la guerre civile qui a dévasté la Libye suite à la mort du colonel Kadhafi. On se souvient que Reynders avait en violation complète des décisions de l’ONU, dégelé les intérêts des 15 milliards libyens placés dans la banque Euroclear pour les verser ensuite à une des factions. Il ne s’est pas limité à cela, il leur a vendu des armes ! En clair, il a proposé ces marchés à des marchands d’armes belges. Moyennant le payement de pots de vin? Évidemment, si c’est le cas, ces derniers devaient être payés sur des comptes offshores d’un hollandais du nom de Robert Claushuis.

On constate que ce dernier apparaît également dans les Panama Papers, via la société Barney limited, dont la société Alpha management services SA (Luxembourg) est l’intermédiaire, mais également via la société Dunlands SA. Cette dernière et Barney limited sont basées aux îles Seychelles, un paradis fiscal bien connu. Elles ont été fondées par Mossack & Fonseca qui les a vendues à Claushuis en 2004 pour les liquider en 2010. Parmi les multiples sociétés que gère Claushuis, on trouve également Middle-East Consultants Ltd, basée à Londres avec sa société mère située dans les îles Turk & Caicos.

Lorsque les marchands d’armes proposent à Fontinoy de payer directement Reynders ou, à défaut, lui-même, Fonfon leur indique que les commissions doivent être payées sur des comptes comme ceux dont on vient de parler. Très bizarrement, le nom de Claushuis va revenir dans le dossier de l’asbl du Prince Laurent. Dans ce dossier, notre ministre des Affaires étrangères a tout fait pour empêcher que l’asbl du Prince puisse saisir des fonds libyens. En effet, elle disposait d’une importante créance sur la Libye, reconnue par les tribunaux belges. C’est alors que Claushuis va approcher un avocat du Prince pour lui proposer de racheter la créance… à la moitié du prix. Inutile de dire que Reynders se serait partagé l’autre moitié avec les responsables libyens…

Cet épisode est très intéressant car on touche ici au point faible des sociétés offshores. Par définition elles sont difficilement détectables par les autorités fiscales nationales, mais chercher à faire rentrer ces fonds dans l’espace européen est difficile et périlleux. Or, dans le cas de l’offre de Claushuis à l’avocat du Prince, en cas d’acceptation, l’argent pouvait légalement circuler dans le système européen.

De quelles sommes disposent Reynders et Fonfon sur ces comptes ? Personne ne le sait. Peut-être même pas eux. Claushuis est-il le seul gestionnaire d’offshores destinées à cacher les commissions occultes de la Bande ? C’est peu probable.

Un point semble néanmoins acquis, Reynders s’est précipité sur le poste de ministre de la Défense. Or, à cette époque il était déjà ministre des Affaires étrangère et vice-premier, et il n’y a que 24 heures dans une journée… En toute logique, le poste aurait dû revenir à Denis Ducarme qui était le représentant MR à la commission défense du parlement.

Cet appétit démesuré semble justifié par les importantes commandes militaires (20 milliards d’euros de matériel militaire commandé en quelques mois) autour de la période durant laquelle Reynders a été ministre de la Défense. La Belgique n’avait plus dépensé les deniers de l’État dans ce domaine depuis les années 70. Or, la règle dans ce domaine à travers le monde est une commission de 10 %…

A la lecture de ces lignes, vous avez compris que cette attitude est plus que probablement dictée par une logique qui n’est pas celle du bien commun. Inutile de dire que des montants de ce type ne peuvent être blanchi par des objets d’art ou de l’immobilier à Mozet.

Robert Claushuis n’est pas « rangé des voitures » pour utiliser l’expression consacrée. Vous le retrouvez autour de différentes sociétés et dans différents paradis fiscaux. Kairos lui avait consacré un article complet et très détaillé : « Les étranges connexions des fonds libyens » daté du 1er avril 2019. Il n’a pas pris une ride…

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