« Ils riaient, se frottaient les mains et s’éloignaient. J’avais une fois de plus perdu. Quel cauchemar de savoir, d’être sûr qu’on a raison et de ne pouvoir convaincre, de sentir que devant soi, les hommes pour qui l’on parle se ferment, que les mots glissent sans pénétrer en eux. Quel cauchemar, cette impuissance ! »(1).
n connaît la propension de ceux qui sont persuadés d’être du bon côté, celui de la vérité officielle portée et défendue par la garde politico-médiatique, à user du point Godwin(2) afin de clore toute discussion. L’objectif, en assignant son interlocuteur à des catégories socialement et négativement connotées, est bien plus celui d’arrêter une discussion faute d’arguments valables que de catégoriser l’autre. La catégorisation — « complotiste », « extrême droite »… — n’est donc qu’un moyen pour arriver à une fin : ne pas débattre. On pourrait même avancer sans risque que ce moyen se détache le plus souvent du réel : vous serez qualifié d’extrême droite alors que rien ne vous rapproche d’elle, alors même que quelqu’un d’extrême droite ne sera pas identifié ainsi. Tout dépendra si ce que vous dites plaît au pouvoir en place ou pas. On voit ainsi de véritables nazis qui disent ce que le pouvoir a envie d’entendre, ne pas se faire traiter de fasciste et même recueillir les ovations de parlementaires au Canada(3), pendant que de pacifiques citoyens dénonçant le génocide à Gaza se font traiter d’antisémites, alors qu’une armée d’occupation massacre des Palestiniens et leur fait subir des traitements auxquels les administrateurs des camps de la mort n’auraient sûrement rien eu à envier.
Celui qui accole un trait comme celui de complotiste ou d’extrême droite ne sait certainement pas vraiment pourquoi il réagit ainsi et n’a pas de réelles justifications à le faire. Il s’agit plus d’une forme de mécanisme réflexe avalisé par le pouvoir, qui s’assure ainsi d’avoir pour lui des serviteurs zélés qui privilégient le récit qui assurera sa pérennité. C’est le modèle du stimulus-réponse dont les médias assurent le conditionnement, le travail de répétition mimétique des spectateurs faisant ensuite travail.
Paradoxalement, celui qui nous qualifie d’extrémiste parce que nous refusons d’adhérer au discours dominant révèle une forme de comportement typique des extrêmes, et plus largement de tout totalitarisme. Ainsi, c’est lors des périodes de l’histoire où les êtres dévoilent le pire d’eux-mêmes, lorsque le pouvoir politique avalise la relégation d’un groupe au rang de sous-hommes, justifiant tout type de comportement à leur égard, jusqu’à les massacrer, que les hommes se révèlent. J’ai vu dans leurs yeux, pendant Covid-19, de quoi ils pouvaient être capables… ne leur manquait que le contexte. Les petits kapos et politiciens ayant comme unique objectif de conserver leur place ; les flics zélés qui gazent, matraquent, menottent plus qu’on ne leur demande, et qui en jouissent ; les fonctionnaires qui n’aiment rien de plus qu’obéir, quel que soit l’ordre. « À la Kommandantur, on m’a poussé dans un bureau et j’ai retrouvé leurs visages d’hommes qui avaient l’arrogance de la force et de l’impunité, leurs cris, leurs yeux toujours pareils à ceux de l’officier qui avait tué mon camarade aux cheveux roux pour un hareng, des yeux blancs ».
Envisageons d’ailleurs la possibilité que ce soit ceux qui refusent le débat et mettent les autres dans des cases qui sont les véritables extrémistes en latence. Il faut, pour accepter cette idée, reconnaître que hier comme aujourd’hui tout un système était et est présent pour basculer dans le totalitarisme, rien n’ayant véritablement changé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui massacreront, ceux qui laisseront faire sans rien dire, dénonceront et fermeront les yeux… sont déjà là. Il n’y a pas eu de bouleversements sociaux majeurs depuis 80 ans qui permettraient de conjurer les plus vils comportements de l’homme. Il ne leur manque que le contexte pour qu’ils apparaissent au grand jour. Les témoignages passés des camps et ghettos pourraient être écrits au présent : « L’égoïsme, l’indifférence, la lâcheté : les bourreaux avaient toujours les mêmes alliés, cette part sombre de l’homme qui peut le masquer tout entier ». S’ils aiment ressasser et commémorer le passé, c’est pour éviter que l’on découvre que tout est toujours là, présent. Ils disent « plus jamais ça », pendant que des gouvernements et soldats affament, massacrent, détruisent…
C’est dans les hécatombes que les hommes et les monstres se manifestent. Mais même au plus profond, il est parfois à désespérer que c’est au seuil de la mort, et encore, que les hommes comprennent ce qui leur arrive : « Je ne les ai plus regardés. Mon talon s’enfonçait dans le sol, la rage et l’amertume emplissaient ma bouche : les hommes ne comprenaient-ils le malheur qu’une fois qu’il les avait écrasés ? ».
La vérité est-elle accessible aux hommes, dès lors qu’ils sont embourbés dans le confort de l’habitude, si l’on sait que même face aux pires souffrances ils préféraient plutôt ne pas savoir, la vérité paraissant parfois même pire que la mort ? : « Et ces hommes et ces femmes qui avaient vu chaque nuit entrer le commandant Bloch, qui avaient entendu claquer les coups de feu, qui voyaient un prisonnier tenter, les mains protégeant son visage, roulé en boule sur le sol, d’échapper à la rage du chien du commandant Bloch, croyaient encore à ces discours. J’ai compris qu’il est des hommes, peut-être la plupart des hommes, pour qui il n’est pire tourment que la vérité ».
Cela n’empêche qu’il faut continuer à parler.
Alexandre Penasse
Aux morts de Gaza, frères et sœurs des morts d’hier…