ALIMENTS INDUSTRIELS : LE SCANDALE EST PERMANENT

Illustré par :

L’été qui vient de s’achever a vécu un nouveau scandale alimentaire. Le scénario est classique. Au départ, une escroquerie manifeste : l’utilisation frauduleuse d’un produit interdit par les réglementations sanitaires et commerciales. Le produit en question est le fipronil, un insecticide très efficace autorisé pour le traitement des animaux domestiques mais banni pour les animaux d’élevage. C’est la firme néerlandaise Chikfriend qui a mélangé le Fipronil à d’autres substances parmi lesquelles d’autres produits interdits (comme l’Amitraze, un autre insecticide), pour commercialiser un remède, le Dega16, efficace dans la lutte contre le pou rouge dans les « élevages » de poules pondeuses. La firme belge Poultry-Vision, distributrice de ces produits est elle aussi impliquée : 6.000 litres de produits interdits ont été retrouvés dans ses locaux.

LE SPECTACLE DE LA SURVEILLANCE

La séquence des événements est tout aussi classique. C’est le 20 juillet que l’AFSCA, l’Agence fédérale belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire, a alerté les autorités européennes chargées d’informer les pays de l’Union. Á remarquer que ladite Agence avait été alertée dès le 2 juin par un exploitant anversois de l’existence de la fraude. Quand il s’agit de mettre en cause les industriels, il faut se hâter lentement. Au fil du temps, la liste des pays touchés ne cesse de s’allonger. Le 31 août, la Commission européenne annonce que 34 pays, dont 22 dans l’Union européenne, sont concernés par l’achat de lots d’œufs contaminés. Elle reconnaît par la même occasion que la fraude a débuté en septembre 2016… Comme attendu, les déclarations des autorités s’adaptent au niveau actualisé des informations. Certes, de nombreux produits transformés, contaminés par les œufs au fipronil, ont été distribués et consommés mais les conséquences pour la santé sont probablement (!) négligeables !

Ce qui saute aux yeux c’est que le libre-échange des produits de l’industrie agro-alimentaire ne s’accompagne pas d’une surveillance et d’un contrôle efficaces. Qu’on se rappelle l’épisode précédent des lasagnes « pur bœuf » surgelées, il y a quatre ans déjà. Pour des lasagnes commercialisées par la firme Findus, deux traders, quatre entreprises et cinq pays de l’Union européenne se sont retrouvés dans la tourmente après qu’un abattoir roumain ait livré de la viande de cheval rebaptisée viande de bœuf par les intermédiaires français et luxembourgeois. L’affaire du fipronil confirme qu’aucune leçon n’a été tirée de l’épisode précédent. Certes, on pourrait être plus positif en constatant qu’un scandale tous les quatre ans, ce n’est pas si grave. Ce serait toutefois faire preuve d’une très grande candeur. Les scandales médiatisés et bien connus de tous cachent en fait une réalité quotidienne loin d’être acceptable. Le libre-échange dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce avec des disparités énormes entre pays en matière de protection de l’environnement, de la santé et des droits sociaux génère en effet des pratiques plus que douteuses de la part des transnationales de l’agro-alimentaire. Ces pratiques sont d’autant plus pernicieuses et dangereuses qu’elles sont parfaitement légales.

Le cas du concentré de tomates et de son parcours international qui le fait aboutir dans nos assiettes est exemplatif à cet égard. Il a fait l’objet d’une remarquable enquête du journaliste Jean-Baptiste Malet publiée récemment(1) ; cette enquête révèle un scandale permanent que bien peu d’entre nous soupçonnent quand ils avalent une pizza ou agrémentent les plats cuisinés de leur ketchup familier. Jugez-en en prenant connaissance de ces quelques éléments. Á ce jour, la Chine est le premier exportateur mondial de concentré de tomates. Deux entreprises géantes, Cofco Tunhe et Chalkis inondent le marché mondial avec le concentré de tomates d’industrie. La Chine s’est spécialisée dans les produits hautement concentrés, car plus la pâte affiche une haute teneur en matière sèche, et moins elle contient d’eau, plus le coût de transport sera faible par unité de matière transportée.

Cofco Tunhe fournit en concentré de tomates les plus grandes multinationales de l’agro-alimentaire, telles Kraft Heinz, Nestlé ou encore Pepsi Cola. La culture des tomates d’industrie est pratiquée dans des milliers de champs au Xinjiang dans des conditions d’exploitation qui seraient inacceptables en Europe : utilisation massive de pesticides, cueillette effectuée par des paysans hommes et femmes pour un salaire dérisoire (1 centime d’euro par kg de tomates cueillies).

DES ABUS LÉGAUX…

Depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, la filière chinoise a accentué sa présence en bénéficiant de règlements douaniers de moins en moins contraignants. L’Italie, avec les ports de Salerne et de Naples, est la destination d’accueil en Europe pour les concentrés chinois. Une partie du concentré chinois qui arrive dans le Sud de l’Italie est transformée par les conserveries napolitaines pour le marché européen, une autre est retravaillée et réexportée hors Europe, essentiellement vers l’Afrique et le Proche Orient. Que signifie « retravaillée » ? Le concentré est tout simplement dilué avec de l’eau et un peu de sel, ce qui en fait une marchandise produite en Italie. L’étiquette de la marchandise n’indique jamais l’origine chinoise du produit, tandis que le mot « Italie » est indiqué sur la boîte. Cela n’a rien d’illégal. La législation européenne le permet. Elle permet d’ailleurs bien d’autres choses.

Les lacunes et insuffisances de la législation européenne ne concernent pas seulement les importations de produits extra-européens. Elles caractérisent manifestement tout le secteur de l’industrie agro-alimentaire. L’utilisation massive d’additifs, d’arômes et d’auxiliaires technologiques est légalement organisée dans l’Union européenne (320 additifs autorisés).

Les aliments industriels en effet sont souvent peu goûteux, d’une texture imparfaite et d’une couleur peu attrayante. Pour pallier ces défauts, l’industrie propose l’ajout d’arômes, d’exhausteurs de goût, d’affermissants et de colorants. Un deuxième aspect de cette réalité réside dans la longueur croissante des chaînes de production et de distribution. La réponse : l’utilisation de conservateurs et d’antioxydants.

Enfin, la course à la rentabilité et à la productivité pousse à un usage croissant d’additifs divers et autres auxiliaires technologiques. L’information sur l’utilisation et la présence de ces produits ou des résidus qu’ils laissent exige un étiquetage rigoureux. Il a bien lieu pour les additifs de la liste E mais il est inexistant pour les arômes et pour les auxiliaires technologiques, ce qui ouvre la porte à de nombreux abus … légaux. Ajoutons que la liste des 320 additifs autorisés devrait pour éviter tout risque être limitée à quelques dizaines (50 à 60) comme le fait la filière bio.

En conclusion, je n’hésite pas à affirmer que l’alimentation industrielle est normalement insipide, carencée et dangereuse pour la santé. Elle ne réussit à séduire que par l’apport de la chimie et la complicité des pouvoirs publics qui lui ont offert une législation laxiste. Alors que faire ? Choisir tout simplement de privilégier les produits de saison, de nos régions et issus des filières biologiques.

Paul Lannoye

Notes et références
  1. Jean-Baptiste Malet, L’empire de l’or rouge, Fayard, 2017.

Espace membre