Vers où nous pousse Covid-19… ?

« La Peste était en route vers Damas et croisa la caravane d’un chef dans le désert.

- Où allez-vous si vite ? s’enquit le chef.

- A Damas. J’ai l’intention d’y prendre mille vies

Au retour de Damas, la Peste croisa de nouveau la caravane. Le chef dit :

- C’est cinquante mille vies que vous avez prises, non mille.

- Non, dit la Peste. J’en ai pris mille. La peur a pris le reste. »(1)

Les réactions varient face à la pandémie actuelle et à ce « blocage » total décidé par l’État durant 3 longues semaines…Personnellement, je voudrais pouvoir me réjouir comme Monsieur Rafaelle Morelli, psychiatre et psychothérapeute italien dont les belles paroles se relaient sur les « réseaux » et qui semble voir en cette crise un réalignement du cosmos : chute de l’économie mais sauvetage écologique(2), rappel biologique de nos égalités par-delà les frontières, retour au noyau familial, prise de conscience de nos besoins de liens, valorisation de la communauté nécessaire et vitale. A le lire, on remercierait presque le fameux Corona d’être venus nous remettre dans le droit chemin.

Certes, à mon petit niveau, je pourrais peut-être nourrir l’espoir de voir se resserrer certains liens en ces temps d’inaction forcée. J’aimerais même aller jusqu’à imaginer une reconnexion partielle à la Terre de quelques humains chassés des centres commerciaux. Mais il faudrait être naïf pour imaginer que le réflexe premier du quidam lambda (quels que soient d’ailleurs son statut social et son niveau d’étude) sera d’aller se ressourcer en forêt au lieu d’allumer sa tablette, smartphone ou autre. Eh oui, soyons lucides un instant : adultes comme enfants, libérés du temps scolaire et du temps de travail, pourront enfin se dédier presque exclusivement à leur passe-temps favori : Fortnite, Netflix, Facebook, Candy-Crush et autres applications plus indispensables les unes que les autres. Du coup, l’argument écologique cité plus haut me semble des plus douteux car si les individus se voient contraints à l’immobilité, la Toile, elle, s’active d’autant plus, dépensant son CO2 peut-être moins directement visible mais tout aussi délétère.

Là où, dans la « vraie vie », les magasins ferment, le commerce en ligne devient la seule référence. On n’a même plus besoin d’avoir de scrupules puisque c’est pour la bonne cause sanitaire qu’on tourne définitivement le dos aux petits magasins du coin qui tentaient encore de rivaliser avec la grande distribution. De toutes façons, il est évident qu’on a besoin des grandes entreprises qui volent à notre secours : Alibaba qui nous sauve en nous offrant des masques et des tests, Proximus qui distribue les data et crédit d’appel pour qu’on « se rapproche tous », les plateformes pédagogiques qui offrent des accès gratuits afin de pallier les lacunes de notre pauvre système scolaire…

« Il faut bien qu’on s’organise » me direz-vous… Oui. Mais après ? Après, notre société sera redevable à ces entreprises et, surtout, cette période de « crise » aura permis à ces dernières de tester en situation réelle une diminution « forcée » du nombre de ses travailleurs. Face au virus, vive le télétravail, les vidéo-conférences et même l’enseignement à distance. Absolument ! L’apprentissage est finalement un management comme un autre et, s’il peut se réaliser en multipliant les moyens numériques, cela permettra bien vite de diminuer les moyens pécuniaires nécessaires au paiement des enseignants et éducateurs bien trop nombreux et finalement jugés bien peu efficaces aux yeux du Pacte d’Excellence et de ses Plans de Pilotage déjà en action.

Depuis le confinement, les médias parlent de ce virus comme des grèves : « Comment les gens vont-ils faire s’ils ne peuvent plus aller travailler ? », « Combien les entreprises vont-elles perdre dans l’histoire ? ». Bien sûr, ces questions se posent, même si l’économiste Bernard Friot(3) aurait bien des réponses à donner à la première et que la seconde, comme je l’ai montré, ne concerne sûrement pas toutes les entreprises car certaines font leur beurre bien plus qu’en temps normal. Et après ? Eh bien on nous dira certainement que notre société a dû évoluer. Cela passera peut-être à nouveau par le terme « austérité » : l’économie doit « remonter la pente », les (ex-)travailleurs doivent comprendre… (et surtout pourquoi se remettre à payer des gens sans lesquels ça tournait finalement pas plus mal ?). Cela aura des allures de victoire malgré tout car le virus sera vaincu (au moins pour un temps) grâce à la Science et à l’État qui nous auront permis de continuer à consommer comme de juste, envers et contre tout. 

En ce qui concerne l’État, bien que je ne me permette pas, à l’heure actuelle, de remettre en question la pertinence sanitaire de la décision, je m’interroge quand même sur les motivations profondes de nos dirigeants. Chez nous, cette crise aura permis l’union politique (du moins de façade) qu’on espérait plus et chez nos voisins dont nous nous empressons d’imiter les mesures, il est assez simple de voir que la République avait plutôt à y gagner en interdisant tout rassemblement. Depuis le confinement, Macron respire sûrement mieux.

Quant à la Science, je regrette qu’elle n’apprenne pas à se remettre en question, que les médias attendent le futur vaccin comme le Graal sans parler des moyens simples et efficaces pour booster l’immunité. Motus sur les traitements à la vitamine C testés positivement en Chine ou sur les supplémentations au zinc débutées en Corée du Sud… Les statistiques sont presque toujours citées en chiffres « bêtes et méchants » : 1 cas, 10 cas le lendemain… Oui, mais sur combien de personnes testées ? Si c’est 1 cas sur 10 tests puis 10 cas sur 100 tests, alors la proportion reste la même. Mais on nous donne rarement le moyen de relativiser. Pourquoi donner aux gens confiance là où la peur fonctionne si bien ? De là à imaginer comme prochaine mesure une obligation légale d’être tous vaccinés contre le Covid-19 dans un an, il n’y a qu’un pas que je n’aimerais pas être obligée de franchir.

Notes et références

  1. Anthony de Mello, Dieu est là, dehors, éd. Desclée de Brouwer, 1996.
  2. « On utilise un masque mais on respire. »
  3. Bernard Friot, Émanciper le travail, éditions La Dispute, 2014.

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