Verviers, capitale wallonne de l’eau, joyau de la vallée de la Vesdre, rassemble actuellement 56 000 habitants. Ancien centre prospère de la production lainière européenne, elle fait aujourd’hui face à une situation socio-économique complexe. Elle compte 25% de chômage(1) , une pauvreté persistante(2), un faible taux de qualification chez les demandeurs d’emploi et des «quartiers immigrés» qui sont estimés être «en grande difficulté», selon une étude phare sur la pauvreté en Belgique(3) .
Face à ces défis, le bourgmestre socialiste Claude Desama a endossé un projet de centre commercial pharaonique connu sous le nom de son promoteur « Foruminvest-City Mall ». Il s’agit d’un centre commercial dont l’implantation prévue est le cœur de la ville, en son lieu qui est topographiquement le plus structurant et le plus esthétique.
Cette mégasurface permettrait selon le bourgmestre de « redynamiser le centre urbain », de se « tourner vers l’avenir ». Il s’agissait au début de couvrir la Vesdre sur 260 mètres. Cette première version du projet a provoqué l’ire de la population. Et sa mobilisation. La cinquième et actuelle version prévoit toujours une surface au sol de 15500 m², 85 boutiques sur trois niveaux hors sol et 1147 places de parking sur trois niveaux de sous-sol. Une caisse de 250 000m³ qui enferme toujours la rivière.
VERVIERS SOUS LA BOMBE
Les débuts publics de cette affaire remontent à l’hiver 2005(4). Le 5 décembre, les membres du Conseil communal et les commerçants de la ville sont invités à une présentation organisée par les promoteurs. à la sortie du show, les élus font grise mine. Les visages sont dépités, les regards fuyants. Les commerçants, sensés être plus réceptifs que la population aux promesses d’affaires, ne sont pas davantage séduits : ils jugent le projet esthétiquement horrible et savent bien par ailleurs qu’implanter un tel mastodonte commercial profite en premier lieu aux grandes enseignes qui signifient souvent la ruine du petit commerce(5). Le projet fait l’effet d’une bombe.
VOIR-COMPRENDRE-AGIR
Stupéfaits et en colère, plusieurs citoyens se regroupent dans une association de fait baptisée Vesdre-Avenir(6), qui devient le principal acteur et organisateur de la résistance. L’association se dote d’un logo en forme de goutte sur laquelle on peut lire un mot d’ordre limpide : « Sauvons la Vesdre ».
Pour commencer, il faut avoir une vue d’ensemble du projet, une description complète pour mieux en saisir les implications. Mais cette vue d’ensemble n’est pas disponible, les plans ne sont pas diffusés et la ville ne communique pas clairement sur le centre commercial. Les citoyens décident donc de créer eux-mêmes des images et des représentations de ce projet pour mieux en comprendre la nature. Ils utilisent, rassemblent toutes les informations disponibles, lacunaires et dispersées, pour visualiser la chose et la rendre plus concrète.
Ce sera un enjeu clé de la mobilisation face à une dynamique pilotée depuis les arcanes de la démocratie locale. L’une de leurs premières actions consistera à réaliser une maquette du projet pour en donner la (dé)mesure. Le résultat est saisissant: voir quelques images informatiques projetées rapidement sur un écran donne une vague idée de la monstruosité planifiée. La représenter en trois dimensions sur un support grand comme une table de billard permet de mieux saisir ce qui se joue. La maquette restera un support fondateur pour la lutte des Verviétois. Puisque les pouvoirs publics ne jouent pas leur rôle, enchaînant promesses rassurantes et balivernes, d’autres images seront créées à chaque nouvelle version du projet de centre commercial pour démystifier les déclarations et illustrer de manière plus claire l’évolution du dossier.
UNE MOBILISATION CITOYENNE EXEMPLAIRE…
Dès le début de l’année 2006, les actions se multiplient et prennent des formes variées : soirées d’information-débat, soupers de soutien, édition d’une plaquette d’information et de sensibilisation, tracts, lobbying politique, mobilisation de personnalités, participation à des événements divers, nettoyage de la Vesdre, expositions, affiches… Elles vont rapidement prendre une ampleur considérable, se jouant des obstacles et des écueils. Des affiches de protestation sont interdites? Des guirlandes lumineuses forment les lettres sur les murs des maisons. La démocratie locale est bafouée ? Un monument symbolisant le peuple est bâillonné, etc. L’intelligence de la lutte prend systématiquement des formes non-violentes qui permettent à un nombre important de personnes de participer, incarne l’intention respectueuse des participants et interpelle avec force la population en faisant apparaître par contraste et de manière évidente l’agression que constitue ce projet mégalomane en décalage complet avec les attentes citoyennes.
LE PROJET FAIT L’UNANIMITÉ CONTRE LUI
Au début de l’année 2006, Vesdre-Avenir lance une pétition. Alors que les signatures affluent par milliers, les sections locales des partis préparent leurs positions qui s’avéreront temporaires. Le Mouvement Réformateur (MR) demande d’emblée une consultation populaire, suivi par écolo. Le CDH et écolo s’affichent contre le projet et font mine de taper du point sur la table.
Dans le même temps, les prises de positions associatives et de personnalités se multiplient contre le projet destructeur : la SRAVE (Société Royale des Architectes de Verviers et Environs), Inter-Environnement Wallonie, Urbagora, Les Amis de la Terre, Natagora, Opération Villages Roumains, Bernadette Merenne (Professeur de géographie économique à l’Université de Liège), Jean-Marie Pelt, René Schoonbrodt, mais également des artistes comme René Hausmann, François Waltery, Julos Beaucarne, Pic-Pic André, Marka et Maurane. Les soutiens de ce genre s’accumulent et vont se compter par dizaines.
Parmi eux, celle du Conseil International des Monuments et Sites (ICOMOS), organe consultatif de l’UNESCO, qui écrit une lettre ouverte au Collège communal de Verviers le 24 octobre 2007. Il y est souligné que plusieurs aspects du projet sont en violation de la charte de Washington (Charte internationale pour la sauvegarde des villes historiques), et finalement que « La réalisation d’un tel projet constituerait à très long terme un handicap majeur au développement harmonieux du centre de Verviers. »
Le constat de l’inadéquation totale du projet avec la ville de Verviers ne cessera d’être répété et affiné au cours des années. De passage à Verviers Nikos Salingaros, Professeur à l’Université du Texas à San Antonio, sommité internationale de la théorie urbanistique et architecturale, publie ainsi une lettre ouverte dans l’édition de juinjuillet 2010 du « Journal de l’architecte » à propos du projet Foruminvest. Il déclare notamment: « Il me paraît donc très clair que Verviers se prépare à franchir un pas dangereux vers l’autodestruction urbaine. Le second pas qui s’ensuivra sera le déclin commercial et culturel. »
LA MOBILISATION PREND ENCORE DE L’AMPLEUR
La pétition atteint finalement les 20000 signatures. Pour une ville de 56000 habitants, on peut dire que c’est significatif. L’association Vesdreavenir dépose les signatures à la commune.… qui déclare ensuite que la pétition n’existe pas. Oufti ! (7) Une attaque politicienne est lancée contre l’association arguant d’un mensonge qui vise à manipuler l’opinion publique. Mais l’association avait eu le bon réflexe de faire signer un accusé de réception par le fonctionnaire communal, attestant du dépôt effectif de la pétition comptant 20000 signatures. Une enquête administrative est ouverte sur le fonctionnaire oublieux. On en attend toujours les résultats (air connu).
Le succès colossal de la pétition indiquant une très forte préoccupation des Verviétois, les blocages répétés du parti socialiste sont d’autant plus mal reçus. Dans les premiers mois de l’année 2007, Vesdre-Avenir décide d’obtenir une consultation populaire, prévue par la loi communale, pour que la ville puisse s’exprimer sur son avenir. L’association propose la question suivante : « En tant que Verviétois soucieux du développement de votre ville, refusez-vous que l’on construise un bâtiment sur la Vesdre ? » En 15 jours, 7144 lettres demandant l’organisation d’une consultation populaire sont recueillies et déposées à la commune! Laquelle vérifie les feuillets un à un. C’est long, très. Mais tous sont conformes. La consultation populaire devrait pouvoir être organisée. Après des mois d’atermoiements, le Conseil communal vote en juin 2007 la consultation populaire à l’unanimité, sous réserve de l’avis du ministre régional Philippe Courard, également membre du PS. Comme sorti d’un chapeau, un obscur conseiller du cabinet du Ministre indique que la consultation populaire n’est pas possible car elle concerne la Vesdre, un cours d’eau qui n’est pas communal ! Sorte de subterfuge qui prouve à nouveau l’attitude antidémocratique de ces élus. Comme si l’implantation d’un mégacentre commercial pouvait d’aucune manière n’avoir rien à voir avec l’intérêt de la commune qui le porte, lequel justifie légalement la consultation populaire communale en Belgique. Mais les édiles de la ville, grands seigneurs, proposent tout de même une consultation le 2 juillet 2007, et avancent 5 questions, dont celle-ci : « Outre la création d’un nombre très important d’emplois directs et indirects, pensez-vous qu’un centre commercial qui accueille de nouvelles marques augmentera l’attractivité de Verviers ? » Même la presse locale note qu’il y a là quelque chose qui cloche sérieusement et qualifie l’initiative PS-MR de « bidon »(8). En attendant, la coupure entre les Verviétois et les élus est à peu près complète. Les citoyens sollicitent, interpellent, pétitionnent, demandent à être consultés, les élus refusent et bloquent systématiquement. La rupture est consommée en octobre 2007 quand le ministre Courard annule les deux consultations, la « bidon » parce qu’elle n’était pas portée à l’ordre du jour du Conseil communal, la citoyenne parce que la couverture de la Vesdre serait une compétence régionale. C’est plus qu’un malaise.…
PRESSIONS D’UN AUTRE ÂGE
À côté de ces assauts antidémocratiques, les promoteurs du centre commercial utilisent des méthodes «de persuasion » d’un autre âge.
On nous rapporte ainsi que certains opposants au projet de City Mall font l’objet d’intimidations au travail. La police se montre très présente devant certains magasins où règne pourtant un ordre paisible. Autre jour, autres manœuvres, des dizaines d’habitants affichent des banderoles sur des façades privées avec l’accord des propriétaires: les autorités leur demandent de les enlever au motif qu’il ne s’agit pas d’affichage culturel. Un zèle que l’on aimerait pouvoir constater avec tous les affichages non-culturels ! En juin 2007, alors que 7000 citoyens attendaient que la commune valide la demande de consultation populaire, Vesdre-Avenir distribue des tracts pour inviter à une réunion d’information sur l’évolution du projet. La police intervient et interdit la distribution. Le lendemain matin, alors que l’invitation est présentée de vive voix, sans tracts, des policiers reviennent et menacent de dresser des PV si les militants continuent. Un membre de Vesdre-Avenir se rend au commissariat pour déposer plainte mais le policier présent refuse de la recevoir… Pour le coup, la presse régionale fait des Unes dénonçant ce scandale.
Et les vexations politiques continuent, l’entêtement à museler la résistance ne faiblit pas. Les revendications ne sont pourtant pas révolutionnaires. Il n’est pas question de collectiviser les équipements verviétois, ni de renverser le capitalisme, pas non plus de devenir vizir à la place du vizir. « On veut être citoyens, et dire au politique: ce que vous voulez faire n’est pas bon, on n’en veut pas » disent les militants. Ils ont rencontré tous les partis tout au long de leur combat. Plusieurs élus sont restés interloqués par les récits qu’ils entendaient souvent pour la première fois. Le traitement médiatique reste trop frileux. Il y a bien eu quelques étincelles ici ou là sur des événements ponctuels comme ceux cités avant. Mais de traitement de fond, point. En regard de l’ampleur du projet qui concerne tous les Vervié- tois et même la région d’une part et ce qu’ont subi les citoyens qui refusent ce projet d’autre part, ce ton in fine précautionneux s’apparente à un silence médiatique qui interpelle fortement. Que se passe-t-il vraiment à Verviers?
PROPAGANDE, SPONSORING…
La mobilisation citoyenne se voit opposer un traitement digne des républiques bananières. Autre face de la même pièce, la machine à propagande tourne à plein régime.
Pour faire de la propagande, il faut un message et des canaux de diffusion.
En ce qui concerne le message, l’accroche est simple et utilisée partout en Wallonie : Foruminvest présente ses projets comme ceux de « la ville gagnante ». à Verviers, c’est en plus une initiative de « revitalisation du quartier ».
Faire reconnaître un projet comme étant une revitalisation permet en Wallonie de décrocher la timbale: pour deux euros amenés par le promoteur, la Région en amène un supplémentaire(9) . Et cerise sur le gâteau, la revitalisation permet de réaliser des expropriations de biens qu’il faudrait par exemple détruire pour mener le projet à son terme. Voilà une première raison sonnante et trébuchante de présenter le projet Foruminvest comme une opération de « revitalisation de quartier »
Du point de vue de la propagande, c’est également tout bénéfice. C’est là une technique largement utilisée par tous les bétonneurs du monde: quand bien même s’agirait-il de démolir un quartier, d’exproprier ses habitants installés de longue date, de spéculer sur des investissements adossés à l’argent public, d’alimenter l’inflation immobilière, le simple fait de présenter un projet comme une innovation, capable de «revitaliser» un endroit, permet d’enfumer le débat.
Ce genre de message présente pour les bétonneurs de tous poils un intérêt supplémentaire non négligeable: ils peuvent ensuite sans effort dénoncer comme « négatifs », « pessimistes », « grincheux », ceux qui auront le toupet de ne pas accepter un désastre paré frauduleusement des atours de la « positivité ». Un vieux truc, une ficelle éculée qui ne cesse pourtant de produire ses effets très concrets et redoutablement efficaces. Présenter sous un jour favorable ce qui ne l’est pas, faire marcher le monde sur la tête en renversant la signification, voilà une technique Orwellienne que les pouvoirs malintentionnés utilisent abondamment.
Le bourgmestre de Verviers, Claude Desama, ne se privera jamais de tirer à toutes forces sur cette mauvaise ficelle en rajoutant parfois même des tonnes. Ainsi lors d’un conseil communal où deux cents habitants l’interpellent, il arrive encadré par une dizaine de policiers. L’exercice est spectaculaire, relayé en images par la presse, et permet de créer l’illusion d’un élu confronté à une foule dangereuse qui mérite le déploiement des forces de l’ordre. Il en remet une couche. Les citoyens mobilisés sont qualifiés « d’extrémistes », ce que la presse relaie encore. N’en jetez plus, on atteint là les extrêmes de la manipulation politique de bas étage. La prochaine fois, le bourgmestre sera-t-il tenté de lâcher les chiens pour faire face à la cohorte de va-nu-pieds, d’indignés prêts à saccager l’intérêt communal et citoyen bien compris?
Le message « positif » est décliné à toutes les sauces. Grâce au projet de Foruminvest, Verviers « ville gagnante », « lutte contre la pauvreté », devient une « ville en mouvement » à « l’ambition retrouvée ». Lisez l’exact inverse et vous approcherez de la réalité. Lorsque l’on projette d’implanter un vaste blockhaus de supérettes en plein cœur d’une ville historique, on prend une direction mortifère, celle de la décrépitude et de l’asphyxie comme l’ont immédiatement compris les habitants et comme l’ont souligné les meilleurs experts.
Quant aux canaux de diffusion de ces messages, ils sont d’autant plus nombreux que Foruminvest est un monstre financier pour la région, et que le projet est porté par la majorité PS. Cela aide. Des pages entières sont achetées dans la presse. Des campagnes publicitaires sont affichées en ville avec le cachet communal. Des personnalités sont invitées à la rescousse, comme par exemple Jacques Bredael, ex-présentateur à la RTBF, qui vient par deux fois promouvoir le projet et le promoteur. La propagande est relayée tous azimuts. Mais les faits sont têtus.
La bataille des images, des mots et de manière générale des représentations est aussi celle des imaginaires. Elle est centrale dans la bataille politique. à Verviers, quoique les forces en présence soient complètement inégales, les signes sont nombreux que les promoteurs du blockhaus-surVesdre sont en train de perdre sur ce terrain.
… ET CORRUPTION PASSIVE ?
Et puis, il y a cette manière de mettre de l’huile dans les rouages, d’amadouer le (futur) chaland, en distribuant les lots de consolation. C’est d’une pierre deux coups: vous faites des heureux et vous les intéressez au projet, en les y liant. Pourraient-ils se plaindre ensuite, alors qu’ils ont profité des largesses du financier? On ne crache pas dans la main qui donne l’aumône, c’est bien connu. Foruminvest devient donc le sponsor du club de basket de première division de la commune. Du club de foot, de la patinoire mobile, d’un petit festival (Fiesta city), du festival « Au film de l’eau ». Foruminvest investit Verviers, à tel point que la presse commence finalement à se demander s’il ne s’agit pas d’acheter le silence, si tout ça n’est pas de la « corruption passive ».
La question reste posée, alors que le bourgmestre s’étonne : « Si c’est de la corruption passive, on va tous y passer ! » Verviers n’est pas Charleroi, où les médias avaient fait grand cas de pratiques douteuses. Les investissements du promoteur sont pour l’instant concentrés sur Verviers, Namur et Mons. Et aussi Herve, dans une plus modeste mesure, où le bétonneur sponsorise le « Bel’Zik festival ». Herve, où Monsieur Jeholet, Président de la fédération MR de l’arrondissement de Verviers depuis octobre 2008, est conseiller communal. De là à dire que cela pourrait avoir un lien avec la coalition PS-MR verviétoise apparue au lendemain des élections communales de 2006, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Mais que diable fait Foruminvest dans un festival de Herve? Là encore la question reste entière.
ELUS ET PROMOTEURS…
Y a‑t-il un seul élu à la commune ou à la Région qui ait la stature pour s’opposer à ces pratiques et ce projet ? Le PS de Monsieur Desama a endossé le projet depuis le début et il n’y a donc rien à attendre de ce côté-là. Il l’avait montré au mois de mai 2006. Le Conseil communal, mis sous pression par Foruminvest, qui menaçait de se retirer si les conventions avec la ville n’étaient pas signées, avait alors eu lieu portes closes et gardées par les forces de l’ordre. L’enquête publique n’était pas terminée, mais le PS et le MR, déjà unis pour l’occasion alors que le MR était encore dans l’opposition, repoussent les amendements CDH et votent en faveur de Foruminvest. C’est ce jour-là que deux cents manifestants huent ces élus qui bafouent les règles de la démocratie pour faire passer un projet contre lequel 17000 signatures ont déjà été rassemblées à ce moment là… Monsieur Desama a par ailleurs indiqué depuis le début du projet vouloir goûter les fruits de la « manne céleste » fiscale que représenterait l’arrivée du blockhaus.
Le MR, après avoir fait mine de s’opposer au projet, s’est très rapidement allié avec le PS comme dit plus haut, pour accéder au pouvoir et pour satisfaire quelques intérêts privés.
Après avoir refusé de voter les conventions de mai 2006 avec le promoteur imposées par la majorité PS et après que l’ex-ministre CDH de l’environnement Benoît Lutgen ait annoncé en décembre 2007 refuser de délivrer un permis qui conduirait à recouvrir la Vesdre et ses berges, le CDH, déforcé par l’attitude du secrétaire d’Etat Melchior Wathelet, s’est ensuite montré beaucoup plus frileux dans son opposition au projet.
Restait Ecolo, dont la locale affirmait depuis le début être fermement opposée au projet.
LA TRAHISON D’ÉCOLO
Il y avait un espoir de ce côté-là et l’ancien coprésident du parti Jean-Michel Javaux, venu à la rencontre de Vesdre-Avenir lors des élections régionales de 2009, avait déclaré que dans ce genre de situation le parti suit toujours l’avis de sa section locale, ce qu’il ferait ici aussi. Ecolo avait donc promis de s’opposer au projet Foruminvest qui, il est vrai, est l’archétype du cauchemar écologiste: temple de la surconsommation, blockhaus de béton, aspirateur à voitures et embouteillages, lieu de décivilisation mercantile, monstre urbanistique, tueur de petits commerces et d’espaces verts. Le « parti vert » pouvait difficilement se renier au point de donner son blanc seing pour la dévastation de Verviers.
Mais des vestes ont été retournées. Au niveau Régional, André Antoine (CDH) était le ministre en charge et son action en faveur des centres commerciaux n’augurait rien de bon pour Verviers. En juin 2009 lors des élections régionales, les attributions changent et c’est écolo qui hérite du portefeuille, lequel tombe dans la poche de Monsieur Henry, ministre de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de la mobilité. Dès ce moment-là, Jean-Michel Javaux, patron du parti, n’est plus joignable. Rien, peanuts, nada. Et M. Henry donne le permis à Foruminvest.
Le sentiment de trahison est total et l’on se souvient en Belgique de ces images d’un J.-M. Javaux interpellé vigoureusement lors d’un passage à Verviers au début du mois d’avril 2011. Il écope d’un seau d’eau et de crème fraîche sur la tête ce qui lui fait dire sur un air affecté au journal télévisé qu’il est « inquiet pour la démocratie ». Orwellien. à Vesdre-Avenir on parle de ce film « Tous au Larzac » qui rappelle la lutte contre l’implantation d’un camp militaire sur le plateau des Cévennes et qui sonne comme un écho presque parfait à la lutte menée à Verviers depuis 7 ans maintenant. à une différence près : Mitterand avait donné sa parole que s’il était élu, le projet de camp militaire serait abandonné. Et il tint parole. Ce que ne fit pas écolo.
D’ailleurs depuis, écolo s’est semble-t-il mis au service de Foruminvest. Le Ministre Henry collabore à présent ouvertement avec le promoteur. D’abord en présentant en primeur un « nouveau » projet relifté par son propre cabinet. Ensuite en se préparant à accorder, toutes les dérogations destinées à contrecarrer un recours toujours pendant au Conseil d’Etat. Vous avez dit bonne gouvernance?
Sans doute s’agit-il là de la « responsabilité » revendiquée par les partis qui font de leur impuissance morale une vertu. Comme écolo a décidé que le monstre de Verviers ne pouvait être arrêté — les citoyens sont d’un autre avis — autant pré- tendre l’adapter pour le rendre « développement durable » compatible. Cette formidable volonté politique qui rêve de transformer les dinosaures en hirondelles…
PROPOSITIONS
Pourtant, des alternatives existent, bien sûr. A commencer par la situation actuelle, inchangée, qui en comparaison du projet de dévastation tient lieu de solution. « On est en état de guerre: on est attaqués, on a le droit de se défendre même sans projet alternatif » nous dit-on. Et en effet, si Foruminvest parvient à imposer son mégacentre commercial, les multiples scénarios conviviaux envisageables ne pourraient que rester lettre morte. La priorité est donc à l’évitement. Mais des visions préférables présentent un intérêt politique certain: elles permettent de montrer d’autres possibles, de les rendre plus concrets et perceptibles et du même coup éloignent l’impression de fatalité que les promoteurs tentent de donner à leur projet dévastateur.
En montrant une autre voie, celle du pire ne peut plus être présentée comme inéluctable et en devient plus aisément évitable. Vesdre-Avenir a proposé de nombreuses pistes. à commencer par celle élaborée par Luc Schuiten qui a fait don à l’été 2008 d’une réflexion illustrée à l’association. On y voit notamment un aménagement qui mêle la nature très peu présente au centre de Verviers avec la ville dont le cours d’eau reste l’épine dorsale vivante. Une place centrale vient remplacer l’actuel parking en bord de rivière pour permettre le contact direct avec elle. Le pôle commer- çant du centre-ville rejoint cet espace dans des volumes décroissants. Vesdre Avenir souligne combien ce projet est préférable et correspond aux besoins de la ville actuelle. Verviers peut développer son potentiel touristique à condition de protéger son patrimoine, de sauvegarder son espace public qui fait ville. Les emplois locaux, non-délocalisables sont ceux sur lesquels il est le plus réaliste d’envisager la pérennisation de la cité dont la topographie et la géographie sont si particulières. L’artisanat, les emplois faiblement qualifiés, le petit commerce devraient faire l’objet prioritaire des attentions. L’implantation du blockhaus de Foruminvest à Verviers écraserait littéralement ces voies d’avenir.
RIEN N’EST JOUÉ BIEN AU CONTRAIRE
« La monstruosité est en train de court-circuiter tout ce qui fait qu’une ville est une ville» nous dit un habitant. Cette monstruosité projetée au cœur de la ville a fait naître une mobilisation qui n’est pas seulement sociale ou urbanistique, mais plus fondamentalement identitaire. Les Verviétois ont été touchés en même temps que leur ville, qui est leur lieu de vie. C’est sans doute pour cette raison que le projet de Foruminvest pourrait ne pas voir le jour: mal conçu, mal amené, pas concerté, pas démocratique, il a été l’occasion d’une levée géante de bouclier.
En dehors des promoteurs et de ceux qui pourraient bénéficier du bétonnage — ils sont peu nombreux — personne n’est réellement résolu à laisser la monstruosité saboter la capitale wallonne de l’eau. Il reste beaucoup à faire aux citoyens responsables pour préserver leur ville face à l’acharnement des bétonneurs spéculateurs et à l’appât du gain qui fait tourner les esprits faibles. Mais à Verviers une victoire citoyenne est possible, elle devient même probable.
Il y a encore un recours pendant au Conseil d’état, qui pourrait stopper la machine. Les Verviétois se sont exprimés dans le cadre d’une enquête publique sur le projet cet été (il fallait que cela tombe pendant les vacances). Leurs avis seront-ils cette fois entendus ? Et au mois d’octobre, les élections communales. M. Desama, dont on dit dans la région qu’il ne vit pas à Verviers mais à Dison, sera-t-il reconduit ? En 2014, les élections régionales. On verra où en sera le projet à ce moment-là mais tout indique qu’il n’en sera encore qu’à ses débuts. Qu’en dira le prochain ministre « compétent »? Le cours des choses joue contre les mégacentres commerciaux, actuels temples de la consommation et demain matin vestiges des sociétés de la démesure. Peut-être que d’ici là, certains partis se saisiront de l’intérêt qu’ils ont à défendre celui des gens et de leurs lieux de vie. Mais il est inutile de s’en remettre aux mains des élus comme cette patiente et remarquable action l’a illustré de façon éclatante, à Verviers où la résistance citoyenne se porte comme une fleur.
JBG
Vous souhaitez soutenir la résistance verviétoise ? Vous pouvez faire un don à l’association Vesdre-Avenir (compte bancaire 068–2439579- 56) ou proposer votre aide en la contactant via son site internet www.vesdre-avenir.be
ENCADRÉ:
FORUMINVEST – CITYMALL
FORUMINVEST
ForumInvest Group «Groupe d’Investissement et de Promotion de Centres Commerciaux et de Centres Villes», a été créé aux Pays-Bas en 1987, est présent en Belgique depuis 1999. Son slogan: «la ville gagnante». Le groupe possède aussi sa chaîne de télévision lancée en 2007, ForumTV qui diffuse ses programmes publicitaires — réalisés dans ses studios belges de Sovifo — notamment dans les centres commerciaux du groupe. ForumInvest est dirigé par Michel Riaskoff.
En Belgique, ForumInvest a réalisé les centres commerciaux “Les Grands Prés” à Mons (inauguré en 2003) et “K in Kortrijk” à Courtrai (inauguré en 2010), autour d’une entente commerciale entre M. Riaskoff et P. Huon et même peut-être d’autres personnes.
DEVIENT CITY MALL
City Mall Development est administré par Patric HUON et détenu à 75% par l’Immobilière HUON (créée en 1992) et à 25% par Banimmo, société foncière cotée en bourse (le lien est réalisé publiquement par la personne d’Amaury de Crombrugghe, administrateur de City Mall Development et également membre du Comité de direction de Banimmo).
«Pour mémoire, Banimmo, foncière de repositionnement et de redéveloppement, acquiert des immeubles présentant un haut potentiel de redéveloppement pour les revendre après transformation.» indique www.cercle-finance.com
UNE STRATÉGIE SPÉCULATIVE
ForumInvest investit dans la rénovation urbaine en même temps qu’il développe ses centres commerciaux dans les centres villes (Namur, Verviers) ou ses abords (Mons). Ensuite, il les revend à des fonds immobiliers.
«Les Grands Prés» a été revendu au fond allemand Deutsche Immobilien Fonds AG (DIFA, devenu depuis lors «Union Investment Real Estate») en septembre 2003, soit 4 mois après son inauguration, avec une plus-value pour ForumInvest estimée à 10 millions d’euros sur un prix de vente d’une centaine de millions. ForumInvest, qui reste gestionnaire du centre, a passé un contrat avec le même groupe qui finance à hauteur de 69,7 millions d’euros l’extension et le développement des «grands prés».
C’est toujours avec le même fond immobilier allemand «Union Investment Real Estate» que ForumInvest a conclu un accord d’achat du centre commercial K in Kortrijk le 10 décembre 2009, c’est-à-dire avant même son ouverture…
DÉVELOPPEMENT, PROLONGEMENTS
Michel Riaskoff reste proche, il est actionnaire minoritaire de City Mall Development et conseiller pour le développement du centre «Les Grands Prés» qui va prochainement s’adjoindre un magasin Ikéa. Il s’apprête à revendre l’ensemble des parts de Forum Invest à David Ermia (directeur général de Forum TV) alors que l’entreprise va investir dans le développement d’un mégacentre commercial à São Paolo au Brésil.
Dans les cartons de CityMall, on trouve les projets «Au fil de l’eau» à Verviers, «Côté verre» à Namur et le «Palais des Expositions» à Charleroi. Ce dernier est le projet le moins avancé mais il est pensé comme devant être le plus gros (58.000 m², 4.400 places de parking). Patrick Huon déclare vouloir y imposer «le shopping de référence de la Wallonie, comme Wijnegem l’est pour la Flandre» (La Libre, 04/09/2010). City Mall indique sur son site internet que «[Le projet] évolue actuellement en fonction des choix urbanistiques stratégiques des autorités communales.» Depuis les affaires carolo, la situation semblait bloquée. Cela tombe remarquablement bien:les élections communales approchent et un certain Paul Magnette devrait investir le costume de bourgmestre. Affaire à suivre, donc.
- « Etat des lieux socio-économique de la région de Verviers — Edition 2011 », www.leforem.be
- http://www.luttepauvrete.be/chiffres_campagne.htm
- « La situation reste préoccupante et s’aggrave même pour les quartiers abritant de forte concentration d’étrangers issus de pays pauvres, avec des problèmes aigus de qualification et d’emploi et l’émergence de phénomènes de ghettoïsation. », « Analyse dynamique des quartiers en difficulté dans les régions urbaines belges » in Atlas des quartiers en difficulté, Vandermotten Christian, Kesteloot Christian, Ippersiel Bertrand e.a. 2007, p. 43. http://mi-is.be/sites/default/files/doc/atlasfr_0.pdf-
- Plus tôt pour les préparatifs à Verviers, dès 2002 avec Messieurs Desama et Van Cauwenberghe, Messieurs Huon et Riaskoff notamment pour Foruminvest si l’on en croit une enquête réalisée par l’ex-journaliste Philippe Engels — Le Vif/L’Express, 23 mars 2007. Mais les débuts belges de Foruminvest sont encore antérieurs puisque le premier mégacentre commercial a été ouvert en 2003 à Mons, commune de monsieur E. Di Rupo [Voir plus haut].
- Huit entreprises sur 10 de la région vérviétoise emploient moins de 10 personnes. « Etat des lieux socio-économique de la région de Verviers — Edition 2011 », www.leforem.be
- http://www.vesdre-avenir.be Le site de l’association regorge d’informations et retrace 7 ans de luttes. Cet article s’en inspire, ainsi que de la rencontre de certains protagonistes de l’association.
- « Oufti » vient du wallon, est une contraction de « ouf ti» (« ouf toi » en français), interjection de la région liégeoise exprimant l’étonnement, la surprise, et parfois la sidération.
- Le Jour, 4 juillet 2007
- Pour ce qui concerne le logement. En vertu de l’article 172 du CWATUPE – le Code wallon de l´Aménagement du territoire, de l´Urbanisme, du Patrimoine et de l´Energie.