Revue Variations

- La revue variations s’intéresse au travail, sous un angle critique. Critique inévitable, car persuadés de la nécessité du travail salarié à force d’en entendre les vertus dans les médias dominants, nous avons difficile à imaginer une vie qui en serait libérée. Ainsi croyons-nous, baignés depuis notre naissance dans le spectacle du travail/consommation, que seuls ceux qui bénéficient d’un revenu sont actifs, chômeurs et pensionnés étant par là même considérés comme des oisifs qui ont du temps ; que travailler pour vivre – comme ces paysans non-occidentaux qui ne travaillent que lorsqu’ils en ont besoin en période de récolte – est insuffisant, sans réaliser que le surplus de travail se justifie par la nécessité créée de produire plus d’objets qui seront achetés par des individus qui devront travailler pour se les offrir objets le plus souvent servant d’uniques symboles de la société de consommation, devant à court terme être remplacés par leur obsolescence programmée ; que la critique du mythe du travail n’est que la résultante de dispositions individuelles (oisiveté, intérêt, assistanat…). 

La revue s’attaque donc à l’ « inattaquable », cherche « à fragiliser et à démasquer le fétiche travail qui se présente toujours avec un air de nécessité évidente, transhistorique, qui le place au-dessus de tout débat. Le travail serait ainsi toujours bénéfique, utile, voire neutre. Si le monde tel qu’il va est en crise, le travail n’y serait pour rien et nous n’aurions à nous en prendre qu’à un segment très particulier et restreint du système, une instance toujours fuyante, chargée de tous les maux, le capital financier. Dans ce jeu de cache-cache où les grands industriels se présentent du côté du travail, comme des bienfaiteurs de l’humanité, tenter de ressaisir constamment toutes les médiations qui se trouvent au cœur des rapports sociaux capitalistes est une tâche complexe qui nécessite de multiples analyses. D’autant plus que le conte bleu d’un travail forcément positif est une représentation extrêmement prégnante et répandue, et notamment partagée par ces partis de gauche qui n’ont jamais pris au sérieux les avertissements donnés par Karl Marx dans sa critique du programme de Gotha, ou par Walter Benjamin dans ses thèses sur l’histoire. Manifestement, les termes du débat doivent changer : il ne s’agit pas de libérer le travail, mais de se libérer du travail. s’émanciper, intellectuellement et socialement de son cortège d’abstractions marchandes et bureaucratiques, dont la règle d’or qui doit assurer des rendements stables n’est que le point d’orgue ».

Prenant exemple sur les nouvelles solidarités qui émergent au Portugal, en Espagne, en Italie et en Grèce, la revue y voit une forme de dépassement du travail nécessaire à l’émergence d’autres possibles. Mais le travail c’est aussi celui des « autres», éloignés, qui tels des esclaves s’échinent à assurer l’acheminement des objets de consommation moderne, comme l’iPhone, dont l’usage et sa généralisation rendent encore plus criant le silence qui entoure sa production : « les écrans des iPhone du groupe apple sont tapotés et caressés par des millions de consommateurs sur les cinq continents. Ces séduisants objets dits « conviviaux » sont fabriqués en chine dans les usines du groupe taïwanais Foxconn. Récemment dans l’une d’elles, la colère de 2000 ouvriers a explosé contre la brutalité des gardiens et contre les conditions de travail. Quarante ouvriers ont été blessés et sept d’entre eux seraient morts à la suite de l’intervention de 5000 policiers antixémeutes ». 

Au sommaire de ce numéro, notamment, une réédition d’un dialogue entre Jean-Marie Vincent et André Gorz, un extrait du dernier ouvrage d’Arno Münster, qui lie l’approche de Gorz à la critique du capitalisme vert. Pierre Dardot et Moishe Postone offre une relecture critique de Marx hors des sentiers battus, stimulant une analyse renouvelée de la catégorie de travail, David Puaud explore les effets et contradictions d’une statue à la gloire de l’industrie automobile. Des recensions de livres, etc… 

Revue variations, revue internationale de théorie critique, « critique du travail », numéro 17, automne 2012 

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