MAP. MOUVEMENT D’ACTION PAYSANNE
a.
La question c’est de savoir qu’est-ce- qui croît ou décroît.
La croissance infinie est bien sûr une vue de l’esprit; l’humour en déloge la contradiction pratique.
Lorsque l’arbre arrête de croître c’est qu’il meurt mais tout animal ou organisme agricole s’arrête de grandir lorsqu’il a atteint son équilibre, son optimum.
La décroissance du nombre de fermes est pour nous très inquiétante car elle reflète la perte de notre Souveraineté Alimentaire; l’homme moderne connaît de moins en moins le paysan qui sait s’allier les forces de la nature, où et comment s’élabore ce qui le nourrit. Ce cordon ombilical qui nous relie à la source de toute vie est rompu et la civilisation du carbone s’achève…
La croissance de l’agroécologie représente pour nous la solution. L’étude holiste des agroécosystèmes se mue en pratique interdisciplinaire capable de transformer les systèmes alimentaires. C’est un outil puissant et un vrai mouvement social dans certains pays, qui met le paysan au centre du processus pour faire croître la Souveraineté Alimentaire.
Selon nous, cette troisième révolution ne sera plus industrielle, elle sera véritablement écologique.
b.
L’essentiel de la production dans nos pays industrialisés est effectivement nondurable et va devoir s’adapter à un régime dans le contexte d’une économie post-pétrolière. C’est à la fois une nécessité physique, écologique et éthique puisque ce sont les pays qui polluent le moins qui ressentent en premier les effets du changement climatique.
Cela suppose au niveau technique réduire et réorienter à très court terme la production vers des systèmes autonomes relocalisés, diversifiés et à petite échelle, basés sur des savoirs et des savoirs-faire écologiques, qui pourront prendre le relais, lorsque le système tombera en panne.
Cela implique également une transformation économique (culturelle puisque la richesse est distribuée via des canaux idéologiques) qui remet la nature et donc l’humain au centre, dans laquelle les vrais besoins redeviennent prioritaires.
La coexistence des deux modèles socio-économiques pose problème en agriculture car les investissements de l’agro-industrie détruisent la paysannerie partout et la délocalisation est de mise.
Sans une volonté politique de sortir du libre-échange et de protection de cette nouvelle économie, les choses ne semblent évoluer que très lentement ou de façon informelle.
Protéger à la fois l’agriculture paysanne durable et les consommateurs, cela revient pour nous à réactualiser une instance de régulation citoyenne capable d’internaliser les coûts tout en offrant une possibilité de choix.
En effet, l’expérience nous montre que les produits issus de systèmes agroécologiques sont d’autant plus compétitifs que l’on tient compte du prix-vérité des énergies fossiles et de la pollution, ce qui ne pourrait tarder.
Mais pour que cette possibilité de choix existe demain, il nous faut dès aujourd’hui sauver ce qui peut l’être des petites fermes et favoriser l’émergence d’alternatives, officielles ou pas, élargir les champs d’autonomie alimentaire, énergétique, technologique… une utopie à incarner aujourd’hui pour qu’elle puisse être une solution demain.
c.
Nous sommes appelés à construire de nouveaux modèles de société… Le rôle des syndicats (et des associations en général) c’est de conduire les luttes engagées sur le terrain pour faire reconnaître par l’appareil juridico-politique la pertinence des modèles alternatifs, pour faire changer les règles du jeu de la coopération et du conflit. Dans notre système social-démocrate, c’est l’action du syndicat qui a négocié la reconnaissance des droits des travailleurs. Nous resterons encore longtemps dans une dynamique de lutte de classes. Et dans notre économie mondialisée, la force du capitalisme est à l’échelle de la faiblesse du syndicalisme. En Union européenne par exemple, les pratiques de délocalisation des entreprises, de dérégulation sociale au nom de la mobilité des travailleurs, de maintien d’un nombre important de chômeurs, les atteintes au salaire et à la protection sociale, ne trouvent pas face à elles une solidarité syndicale européenne: les états nations et les organisations nationales les plus forts (Allemagne, Espagne,…) conduisent le jeu. C’est dire que le syndicalisme doit changer fondamentalement, adopter l’idée du développement écodurable et partager les intérêts de tous les travailleurs parmi lesquels ceux des paysannes et des paysans. Dans ce mouvement émancipateur, la formation agro-écologique est une tâche essentielle du syndicat, pour l’installation des jeunes dans des conditions viables, et pour la liquidation du chômage, avec l’aide participative de la société civile.
GEA. FÉDÉRATION UNIE DE GROUPEMENTS D’ÉLEVEURS ET D’AGRICULTEURS
a.
Si la croissance se base sur l’exploitation des ressources naturelles (eau, sol, énergies fossiles, …) limitées en quantité et sur la capacité d’absorption naturelle du milieu (pollution), il est impossible que cette croissance soit infinie. Par contre, l’exploitation dans le respect du renouvellement du cycle naturel des ressources permet une croissance durable. Elle pourrait alors aboutir à un «climax» (une situation d’équilibre) où tout le monde pourrait trouver ce dont il a besoin sans consommer au-delà de ses besoins. Le problème est le désir d’accumulation, qui existe dans nos sociétés consuméristes qui fabriquent des besoins factices.
En agriculture, on peut régénérer des systèmes qui retournent à l’équilibre en 20 à 30 ans, grâce à des approches comme l’agro-écologie ou la permaculture. Aujourd’hui, la croissance en terme de production agricole, est basée sur un modèle productiviste qui pèse aussi bien sur les agriculteurs que sur la terre: engrais de synthèse et produits phytopharmaceutiques dont la production est fort consommatrice d’hydrocarbures, mécanisation du travail à outrance, irrigation intensive, etc.
Celui qui ne perçoit pas les enjeux (et qui peut donc être vu comme «fou» selon l’allocution proposée dans la question posée) ne peut logiquement pas voir que la croissance ne peut être que cyclique.
Nous percevons la volonté de croissance infinie comme irresponsable et injuste vis-à-vis des différents acteurs de la société, comme destructrice. Dans le secteur agricole, cette logique de croissance mène à un agrandissement des structures d’exploitation, qui éliminent les petites fermes et les structures familiales. Ensuite, les structures devenues trop grandes peuvent se disloquer en plus petites entités mais alors passées entre les mains des multinationales. Cette logique est la même dans la distribution où l’on observe aujourd’hui une multiplication des enseignes «de proximité» détenues par des grands groupes.
b.
Il est indispensable d’adapter la production à la demande et aux besoins réels des gens. Aujourd’hui nous vivons dans un monde complètement libéralisé où on doit pouvoir disposer de tout, pour tout le monde, à tout moment. C’est irréaliste.
Pour l’agriculture, nous considérons qu’il faut d’abord respecter le cycle des saisons (accepter que les fraisiers ne donnent pas de fruits en décembre…), ne pas forcer la nature. De ce point de vue, le métier d’agriculteur et d’agronome doit être réappris ou réorienté après deux générations de désapprentissage industriel.
Il n’y a pas trop peu de nourriture, il y a un gaspillage incroyable (environ un tiers du champ à l’assiette en moyenne), il est donc nécessaire de remettre l’offre en adéquation avec la demande en terme de quantité, mais aussi spatialement: il faut rééquilibrer la répartition de la production, arrêter l’intensification dans certaines zones très productives et empêcher la désertification des zones moins compétitives comme l’organise le système basé sur l’import-export au seul bénéfice de la balance des paiements des Etats et de l’agro-industrie.
Il n’y aura pas de bain de sang social si l’on remet les valeurs humaines au centre de la société à la place des valeurs économiques et de profit. Cela dit, on peut considérer que le «bain de sang» a déjà eu lieu dans l’agriculture puisque 80% des exploitations agricoles ont disparu en Europe en 50 ans depuis le début de la Politique Agricole Commune (PAC). En Région wallonne, il n’y a plus que 5% des agriculteurs qui ont moins de 35 ans et en Belgique, seuls 16% des agriculteurs de plus de 65 ans déclarent avoir un repreneur. Il y a donc une perspective sérieuse d’hyper-concentration des fermes en Belgique, ce qui est très préoccupant.
Il faut mettre le principe de souveraineté alimentaire au centre du débat pour donner le droit et les moyens aux peuples d’accéder à la terre et à une alimentation de qualité. Il faut favoriser le retour à la terre en évaluant s’il vaut mieux «tourner une manivelle ou appuyer sur un bouton toute la journée» plutôt que de travailler la terre! Dans le contexte de crise actuelle de l’emploi, la reconversion vers l’agriculture pourrait être une véritable aubaine..
En conclusion, mieux partager les fruits de la production ne suffit donc pas, car outre qu’il faille adapter la production aux besoins (notamment pour limiter les gaspillages), il faut également tenir compte de la limitation des ressources pour la durabilité de notre société.
c.
Remarquons que si ce compromis ne survit pas, ce sera un autre modèle de compromis qui le remplacera, avec des gagnants et des perdants…
La situation pour les agriculteurs est un peu spécifique puisqu’il s’agit d’indépendants. Mais il y a également dans ce secteur un rapport de domination entre le travail fourni par les agriculteurs et leur dépendance aux banques et à l’agro-industrie. Bien souvent, les agriculteurs deviennent de simples prestataires de services de l’agro-industrie (comme dans les cultures sous contrat ou l’élevage en intégration) et sont liés par des emprunts bancaires démesurés par rapport à la force de travail disponible à la ferme. Dès lors que le marché ne fournit pas de prix raisonnable à l’agriculteur (jusqu’à ne pas couvrir les coûts de production!), ces emprunts peuvent rapidement devenir impayables.
Le capital doit être mis au service des travailleurs, pas l’inverse!
Le rôle des syndicats est sans doute de réduire les inégalités en tenant compte que tout le monde ne cherche pas la même chose dans la vie, tout le monde n’a pas les mêmes besoins.
Notre mission est avant tout de défendre les «maillons faibles» de la société, et d’apporter un soutien réel à la profession tout en lui faisant prendre conscience qu’un autre modèle agricole est possible. Un autre système de production peut être mis en place: un système, plus autonome, moins dépendant de l’agro-industrie et de la distribution, produisant en plus petite quantité mais de la qualité (produits à haute valeur ajoutée). Nous visons à retrouver l’égalité selon la demande et les besoins de la société, en commençant par assurer les besoins de base telle que la nourriture.
FWA. FÉDÉRATION WALLONNE DE L’AGRICULTURE
a.
La Fédération Wallonne de l’Agriculture n’a jamais pris de position sur la question de la croissance en général.
Par contre, en ce qui concerne le secteur agricole, la question qui se pose est davantage liée au modèle économique dérégulé dans lequel nous évoluons, plutôt qu’à une question de croissance au sens strict. La FWA regrette que ce modèle économique, qui nous est imposé par la politique agricole commune (PAC), elle-même soumise à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), pousse les agriculteurs à s’agrandir pour garder la rentabilité de leur exploitation.
En effet, la disparition progressive des outils de gestion des marchés soumet les agriculteurs à de très fortes fluctuations des prix des matières premières agricoles. En conséquence, l’agriculteur n’a d’autre choix que d’agrandir son exploitation pour atteindre le seuil de rentabilité. Bien sûr, la diversification reste une autre possibilité, mais transformer et commercialiser ses produits implique de nouveaux investissements et demande une main d’œuvre accrue. De plus, nos concitoyens font pour la plupart leurs courses en supermarché, et la vente directe est un type de commercialisation qui ne concerne qu’un nombre réduit de consommateurs.
Il est donc important de mettre en place un modèle économique appliqué à l’agriculture qui redonne davantage de poids aux producteurs de matières premières, tant chez nous en Europe, que dans d’autres régions du monde.
b.
L’agriculture produit des denrées dont on ne peut se passer: l’accès à l’alimentation est d’ailleurs l’un des droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Notre secteur est amené à répondre à de nombreux défis: il faut nourrir une population en constante augmentation tout en répondant aux défis climatiques. Dans ce contexte, il semble difficile d’envisager l’avenir de notre secteur comme potentiellement en décroissance. Par contre, il nous semble évident que l’avenir de l’agriculture au niveau mondial devra passer par le redéveloppement d’une agriculture vivrière dans certaines régions du monde. C’est particulièrement crucial dans le modèle économique dérégulé décrit ci-dessus. En effet, si les fluctuations fortes que connaissent les matières agricoles ont un effet désastreux sur le revenu des producteurs lorsque les prix sont en baisse, les conséquences sont aussi dramatiques, lorsque les prix sont en hausse, pour les populations qui ne sont pas autosuffisantes en matière de production alimentaire. On peut ainsi rencontrer des situations proches de la famine. C’est évidemment totalement inacceptable.
Il faut aussi revenir sur la question de l’évolution du nombre d’exploitations agricoles dans notre région. Ainsi, en Wallonie, on comptait près de 38.000 fermes en 1980 contre seulement 14.000 aujourd’hui. S’il n’y a pas eu de «bain de sang» social, on constate tout de même une forte diminution du nombre de fermes et, en conséquence, de la main‑d’œuvre occupée dans le secteur.
Si l’on veut pouvoir limiter voire arrêter cette évolution, il faut inévitablement revenir à un modèle plus régulé, sans lequel il sera difficile de rendre aux exploitations une rentabilité de nature à conserver l’emploi agricole de nos régions.
c.
Tout d’abord, notre organisation est représentative de travailleurs indépendants, ce qui rend le contexte de travail et les enjeux très différents de ce qu’ils sont pour un syndicat ouvrier et/ou employé.
Par ailleurs, la situation du secteur agricole est particulière. La politique agricole commune (PAC) est en effet l’une des seules politiques déterminées au niveau européen. Les pouvoirs fédéraux ou régionaux ont une influence limitée sur le cadre dans lequel nous fonctionnons, puisqu’ils doivent traduire dans nos législations belges ou wallonnes des lignes directrices déjà très précises déterminées au niveau européen. Il est donc important que notre organisation occupe sa place au COPA, qui est le comité qui regroupe les organisations représentatives des agriculteurs de tous les pays d’Europe. C’est là, ainsi qu’auprès de nos députés européens belges, que nous tentons d’influer sur le cadre imposé à l’agriculture par l’Europe. Le processus est évidemment rendu complexe par le fait que les 27 nations membres de l’Union ont des agricultures très différentes et des intérêts parfois très divergents.
Il est également très important que notre organisation soit attentive à la traduction des réglementations européennes dans nos législations fédérale et surtout régionale (l’agriculture est en effet régionalisée).
En qualité d’organisation représentative de travailleurs indépendants, il ne nous appartient évidemment pas de commenter la manière dont évolue le rapport de force dans le domaine des relations syndicat-patronat-pouvoir politique. Néanmoins, nous sommes convaincus qu’un dialogue responsable et serein est de nature à assurer une paix sociale susceptible d’aider l’ensemble des acteurs économiques à traverser la crise, dans le respect des droits de toutes les parties.
Yvan Hayez, secrétaire général de la FWA
CGSLB. CENTRALE GENERALE DES SYNDICATS LIBRES DE BELGIQUE
Quelques remarques préalables semblent souhaitables.
Le sujet comportant de multiples facettes et nécessitant de nombreux développements, il paraît quelque peu illusoire de rechercher des réponses simples et courtes aux questions posées.
Les thèmes abordés imposent évidemment d’être attentif aux aspects sociaux, environnementaux, économiques et éthiques, pour ne citer que quelques-uns des angles d’approches incontournables dans une telle réflexion. Une difficulté particulière réside dans le fait qu’il peut manifestement exister des appréciations différentes selon les niveaux considérés, les contextes géopolitiques et les perspectives dans l’échelle du temps.
Il n’est pas réaliste de penser que la croissance puisse être infinie partout, toujours et dans tous les domaines. La question ne se pose cependant pas en ces termes. Les enjeux se situent en effet plutôt dans la prise de conscience de certaines limites, des changements nécessaires et de l’anticipation des modifications. La redistribution équitable des fruits de la croissance, la lutte pour les droits de l’Homme, le respect des normes environnementales et de l’Organisation internationale du travail, sont autant de facteurs essentiels à prendre en compte. Cela peut et doit induire des modifications en matière de consommation et ouvrir de nouvelles perspectives dans la recherche et le développement ainsi que dans la production.
Le développement des services et tout particulièrement dans le domaine de l’aide aux personnes doit être une préoccupation constante. En effet, des besoins sociaux énormes ne sont pas rencontrés actuellement.
Face à ces mutations et aux nouveaux défis, les organisations syndicales ont un rôle extrêmement important à jouer. Les notions de développement durable et de travail décent doivent être pleinement intégrées dans leurs actions et leurs revendications. Il serait naïf de penser que les changements peuvent toujours s’opérer sans difficultés et qu’il existe des solutions absolument idéales pour tout. C’est la raison pour laquelle il convient absolument d’assurer des transitions justes. Les travailleurs n’ont pas à subir les conséquences de manques d’anticipation ou de créativité industrielle. Des mesures d’accompagnement des mutations doivent être mises en œuvre.
Il serait irresponsable de renoncer progressivement à une capacité industrielle en Europe. Ceci ne doit d’ailleurs pas porter préjudice au développement dans d’autres parties du monde. Des complémentarités doivent encore être accentuées tout en veillant à l’amélioration des conditions d’occupation. L’Agenda pour le travail décent fixe les principes à respecter pour aller dans la voie du progrès.
La recherche effrénée de la maximalisation des profits a provoqué de graves dégâts sociaux.D’autres causes peuvent cependant aussi générer des difficultés spécifiques. Si les emplois verts constituent assurément un important potentiel pour un développement différent et durable, il faut pouvoir reconnaître que par exemple, l’introduction de normes environnementales plus strictes peut parfois aussi avoir une incidence négative sur l’emploi existant. Ceci est susceptible d’entraîner des formes de «déplacements» d’emplois. Les travailleurs sont en droit d’attendre un soutien dans ces situations, notamment au travers d’aides à la reconversion ou à l’acquisition de nouvelles compétences. Laisser se dégrader l’environnement n’est en tout cas pas une option acceptable.
Certaines des considérations qui précèdent reposent sur des résolutions adoptées par le Syndicat libéral lors de son congrès du 15 février 2008. La résolution suivante est appropriée au contexte évoqué par les questions:
La CGSLB est pleinement consciente de l’importance d’une économie performante. Cette dernière doit cependant constituer une source de bien-être pour la société dans son ensemble, et pas seulement pour quelques privilégiés. Les travailleurs doivent bénéficier de manière équitable du fruit de leur travail et de la croissance économique. Les activités industrielles, commerciales et les services et d’une manière générale l’ensemble du développement économique, doivent être bénéfiques et favorables à tous. Il ne doit pas se faire au détriment des travailleurs et des populations, où que ce soit dans notre pays, en Europe ou dans le monde.
D’autres résolutions du congrès «Notre libéralisme social» pourraient assurément aussi trouver leur place dans la réflexion. En résumé, pour le Syndicat libéral, il s’agit d’encadrer la croissance, mais pas d’en nier l’importance pour le développement. Les alternatives vraiment crédibles faisant défaut, l’accent doit donc être mis sur les corrections sociales et environnementales.
La Confédération européenne des syndicats dont la CGSLB est membre, a bien entendu traité des points qui sont en rapport avec la problématique visée ici. On peut par exemple citer certaines des considérations relatives à la stratégie «UE 2020» ou la résolution relative à l’anticipation du changement et des restructurations, adoptée par le Comité exécutif de la CES en mars 2012. Le point de vue de la CES au sujet de la stratégie pour de nouvelles compétences et de nouveaux emplois (25 novembre 2010) peut aussi être évoqué ici. Le Syndicat libéral juge bon de mentionner également l’avis rendu récemment par le Comité économique et social européen sur le thème de la «Croissance intelligente et inclusive» (19 septembre 2012).
Ces différents documents soulignent l’importance des choix face à l’avenir mais ne mettent pas en cause la recherche de croissance en tant que telle.
Pour conclure, il est clair que la crise provoque des difficultés énormes et génère d’innombrables drames sociaux. Cette situation accentue encore les défis. Dans ce contexte, le rôle des organisations syndicales est essentiel. Dans l’immédiat, il s’agit notamment de s’opposer aux politiques d’austérité et d’agir fermement en faveur de mesures de relance.
Bernard Noël, secrétaire national de la CGSLB
FGTB. FÉDÉRATION GÉNRALE DU TRAVAIL DE BELGIQUE
a.
Je ne sais pas si celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est un fou ou un économiste mais je dirais qu’une société basée sur un modèle de croissance infinie est un paradigme dangereux, a fortiori pour les générations futures.
Et ce n’est pas le projet de société de la FGTB.
La FGTB défend, entre autres, mais avant tout, un projet de société plus égalitaire. Or l’on sait combien, surtout depuis la crise de 2008, le modèle financier capitaliste fait des dégâts au niveau social, les plus fragilisés économiquement étant les premières victimes. Mais les conséquences sont tout aussi désastreuses pour l’environnement et pour l’économie réelle. Nous ne voulons pas de ce projet-là pour les travailleurs et les allocataires sociaux.
Rappelons que ceux-ci ont déjà payé pour une crise financière dont ils ne sont pas responsables. Ils ont renfloué les banques.
Aujourd’hui, l’austérité est à leur porte avec son lot de modération salariale, de remise en cause de l’index (objets des négociations interprofessionnelles du groupe des 10) et de la liaison des allocations sociales au coût de la vie, d’ajustements budgétaires.
Ce que les travailleurs demandent, c’est un modèle de société qui crée des emplois durables et de qualité de façon à pouvoir rencontrer les besoins de base de chacun. Il ne s’agit donc pas pour ceux qui ont déjà tout ce dont ils ont besoin de consommer encore et toujours plus mais bien de partager davantage le gâteau des richesses, qui augmente sans cesse, avec les inégalités.
A cet égard, la fiscalité constitue un outil essentiel de redistribution des richesses; il est urgent de corriger le tir et de mettre sur pied une fiscalité plus juste où chacun contribue enfin en fonction de ses réelles possibilités.
b.
Nous n’échapperons pas à l’un et l’autre. Il nous faut d’une part mieux partager les fruits de la production et, dans le même temps, nous préparer à une transition qui devra être juste et ne laisser personne sur le chemin. C’est à un véritable défi de Solidarité que nous sommes confrontés.
Et la créativité devra être au rendez-vous.
C’est aujourd’hui que nous devons réfléchir, ensemble, à de nouveaux équilibres qui puissent à la fois être soutenables, garantir une véritable qualité de la vie, soutenir les emplois de qualité, tout en maintenant notre modèle de concertation sociale et une sécurité sociale forte pour tous.
Une première étape réside sûrement dans l’évolution des emplois actuels vers davantage de respect des normes environnementales ainsi que par la verdurisation de l’économie réelle, qui doit permettre la création de productions de qualité (y compris moindre) et la mise en route d’un modèle social (non capitaliste) qui « moralise » l’économie, évince la spéculation, place le travailleur et l’allocataire social au centre des intérêts politiques et économiques, tout en respectant notre environnement.
c.
Ce qui est certain c’est qu’un changement de cap est indispensable. Sous quelle forme, avec quelle appellation ? Cela dépendra des responsabilités et des choix politiques de chacun.
Le rôle des syndicats est déterminant aujourd’hui. Ils restent, et c’est valable pour nos autres collègues belges, des organisations fédérales qui gardent l’intérêt général comme objectif numéro un. Ils sont aussi un indispensable révélateur de ce qui se passe sur le terrain, dans les entreprises, que nombre d’employeurs (a fortiori des multinationales) et de responsables ne connaissent pas/plus.
Les syndicats constituent un rempart majeur contre l’insécurité provoquée par les défenseurs du capitalisme financier et continueront à jouer un rôle central dans la défense et la garantie des valeurs de l’avenir : un modèle durable source de bonheur pour tous et la fin des inégalités.
Ainsi, la FGTB a toujours défendu bec et ongles les services publics, parce qu’ils sont, par essence, un outil de redistribution des richesses. Les services aux personnes et leur expansion représentent certainement un des fers de lance d’un nouveau modèle qui devra porter en lui une nouvelle façon de vivre ensemble, où le lien aura une place déterminante.
Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB
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CNE. CENTRALE NATIONALE DES EMPLOYÉS
a.
Les positions de la CNE sur la croissance ont été prises au Congrès de 2010 après de longs débats avec des centaines de militants (les italiques sont des citations tirées des décisions de ce Congrès). Elles peuvent se résumer à un refus de considérer la croissance du PIB comme un objectif souhaitable pour nos pays riches. Ni l’instrument de mesure (le PIB), ni l’accroissement de la grandeur mesurée (l’addition des échanges marchands) ne nous paraissent pouvoir contribuer à résoudre les problèmes essentiels qui se posent à nous. Et parailleurs, certaines composantes de la croissance comportent évidemment plus de menaces et d’inconvénients que d’avantages.
«Nous contestons l’idée que la croissance économique, entendue comme croissance du produit intérieur brut, soit la principale condition du développement, du moins dans les pays riches. Bien qu’elle ait permis par le passé de réels progrès, la croissance économique bute aujourd’hui sur des limites écologiques et sociales et n’a pas empêché la détérioration des conditions de travail et de vie d’une large partie de la population»
Le débat est toutefois souvent dégradé par des caricatures ou des polémiques. Divorcer de la «religion de la croissance» n’a pas conduit la CNE à épouser l’objectif de la décroissance – on conçoit d’ailleurs difficilement qu’un instrument dont on récuse la signification (le PIB) lorsqu’on critique la religion de la croissance puisse soudain redevenir un bon instrument si c’est pour plaider l’inverse. La CNE réclame donc des politiques de développe
-ment d’une économie soutenable, «agnostiques de la croissance» et orientées vers le bien-être et l’égalité. Ni la croissance du PIB, ni sa décroissance, ne peuvent constituer en soi des objectifs suffisants pour orienter l’activité d’une société.
«Une économie soutenable exige des politiques démocratiques de développement: qui contrôlent, limitent ou interdisent certaines activités, ou pratiques susceptibles de nuire à l’Humanité, qui régulent fortement des secteurs stratégiques (secteurs financiers, énergétiques, des transports, de la construction…), qui investissent massivement dans d’autres secteurs, comme les services et soins aux personnes, l’éducation, la culture et les médias publics en vue de former des citoyens critiques vis-à-vis de la société de consommation, de compétition et de lucre qui tiennent compte des objectifs de plein emploi.»
Certes, le «bien-être» reste une notion ouverte; mais l’intérêt et la difficulté de la répudiation du PIB comme seule boussole et seul objectif résident dans la nécessité de refaire du développement des activités humaines une question politique. Que produire? En quelle quantité? Où? Comment? A toutes ces questions, le modèle actuel ne connaît qu’une réponse, qui ne nécessite nul débat: ce sont les marchés qui décideront, en fonction de la maximisation de la croissance. (Ou plus exactement de l’accumulation du capital – mais j’y reviens plus loin). A toutes ces questions, une société réellement démocratique devrait répondre sur base d’une délibération sur ce qui contribue le mieux à l’égalité et au bien-être, à l’intérieur de limites naturelles données. («Le système économique est intégré dans un environnement social, naturel et physique.») La prise en compte de ces limites (ressources naturelles non renouvelables, émissions polluantes …) oblige toutefois à penser que dans nos sociétés riches il faut se préparer à augmenter le bien-être et l’égalité dans une économie «stationnaire».
Enfin, ces objectifs nouveaux réclament de nouveaux instruments, c’est-à-dire des indicateurs alternatifs (ou complémentaires) au PIB. Il ne suffit pas que de tels indicateurs soient définis (c’est déjà le cas!); encore faut-il qu’ils soient utilisés dans les politiques publiques … et dans la négociation collective.
Donc la «croissance infinie» n’est, pour la CNE, ni souhaitable ni possible. Toutefois il y a évidemment des activités, des savoirs-faire, des services, que l’on pourrait développer indéfiniment – sans qu’ils pèsent sur les ressources naturelles ni ne polluent. Plus de science, de culture, de soins aux enfants et aux personnes âgées, de soins à la nature, seront toujours bienvenus…
Nous voulons la transition effective vers une économie soutenable. Une telle économie doit privilégier la croissance du bien-être de tous, l’éradication de la pauvreté et l’amélioration de l’environnement grâce au rééquilibrage de la répartition des richesses produites en faveur des besoins sociaux et de la réduction collective du temps de travail.
b.
Nous nous refusons doublement à répondre à la question posée sous cette forme. D’abord parce qu’il ne peut pas y avoir de réponse satisfaisante à une question sur «la croissance» ou sur «la production» entendue comme un agrégat indistinct. Si l’on met dans un même sac la consommation d’essence dans les embouteillages et l’enseignement fondamental (deux composantes du PIB –parmi mille autres), alors qu’on ne nous demande pas de nous prononcer sur ce sac. Il faut donc, si on parle des «fruits de la production», ouvrir le sac, et faire le tri entre les fruits pourris ou toxiques, et ceux dont on redemande.
L’autre raison de récuser la question sous cette forme est qu’elle semble indiquer qu’il faudrait choisir entre «partager» et «réduire»: or un des facteurs de la frénésie de vendre et de consommer est l’inégalité (voir le livre de Tim Jackson, ou bien «The spirit level»): une part de la consommation est «positionnelle», elle sert aux «pauvres» à tenter de rattraper les standards (toujours fuyants) de la «distinction sociale» — et elle sert aux entreprises à vendre à des gens qui n’ont pas l’argent pour les acheter des objets dont ils n’ont pas besoin…
Dès lors pour nous, la priorité reste le partage le plus égal des biens nécessaires à l’épanouissement de toutes et tous – mais il est clair aussi que les contraintes naturelles imposent de réduire certaines activités. Cette position diffère donc du «compromis fordiste» classique, qui voulait que les syndicats se contentent d’un partage des fruits de la croissance, quels que soient ces fruits.
Quant à la sous-question «comment éviter le bain de sang social» si on réduit (une partie de) l’activité, la réponse de la CNE tient en 4 lettres: RDTT. La réduction collective du temps de travail, sans diminution des salaires et avec création d’emplois compensatoires, fait partie des meilleures conquêtes du mouvement ouvrier; elle s’est depuis toujours justifiée par les gains de productivité (qui permettent de produire autant en travaillant moins), et par le double objectif de «travailler tous» et de «vivre mieux». Un troisième objectif rend cette RDTT plus urgente désormais : l’accompagnement de politiques économiques non dopées à la croissance et respectueuses des limites de la nature qui demande que l’emploi soit partagé.
c.
Il est bien évident que l’accroissement des quantités de richesses monétaires a servi de «lubrifiant» au système: tant que le gâteau grandit, des compromis sont possibles, qui ne retirent rien à personne. Apparemment … Car une limite intrinsèque de ce modèle tient à la mécanique même de l’accumulation: tandis que les richesses distribuées sous forme de salaires (au sens large: la protection sociale est évidemment aussi du salaire!) sont consommées et sans cesse recyclées dans les échanges, la part des richesses qui va au profit s’accumule à travers le temps, constituant un capital qui est toujours plus un instrument de pouvoir.
Remarquons que ce raisonnement ne s’applique pas uniquement à la croissance dans le sens habituel de ce mot: toute extension du périmètre de l’accumulation produit le même effet «pacifiant»: piller le tiers-monde (et la nature), envahir les économies des anciens pays de l’Est, ou privatiser les services publics, permet d’augmenter la quantité des richesses «partageables» — et donc de poursuivre l’accumulation du capital à un rythme soutenu sans entrer frontalement en conflit avec les travailleurs.
«La globalisation au service de l’accumulation du capital n’est pas compatible avec nos droits fondamentaux.
La CNE réaffirme sa conviction que la globalisation sous sa forme actuelle est incompatible avec une économie soutenable, avec la défense de services publics et non marchands , et avec le développement de la démocratie sociale et économique.»
Les quelques décennies de fonctionnement de ce «compromis fordiste» ont permis des avancées sociales considérables – à commencer par la généralisation de la sécurité sociale et des services publics – mais sans réduire de façon décisive l’emprise du capital. A la faveur de la crise des années 70, la révolution néo-libérale de 1980 a fait reculer ces progrès et accélérer considérablement l’accumulation et la concentration du capital.
La pression croissante et désormais urgente des contraintes environnementales demanderait que ce soit désormais le capital qui fasse d’importants «compromis», et que la seule priorité qui dirige actuellement la société – l’accumulation du capital – fasse place à d’autres priorités (voir ci-dessus). Il est cependant peu probable que la seule bonté naturelle, ou la seule mauvaise conscience des grands détenteurs de capitaux les incite à renoncer à une part significative de leur puissance accumulée. Un autre compromis est nécessaire … mais qui peut croire qu’il ne passera pas par le conflit?
1Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la CNE
La CNE fait partie de la CSC et répond ici au nom du mouvement.
- Voir « Prospérité sasn conflit?» sur le site d’Econosphères: www.econospheres.be/