Au vu de la situation présente, j’estime que nous sommes dans une situation totalement surréaliste. Nous le savons depuis l’opération Covid, nous avons en face de nous des gens parfaitement déterminés et prêts à tout. La caste politique est très bien organisée, contrairement même à certaines apparences qui nous laisseraient penser à de la désinvolture ou de la bêtise. Cela peut être considéré comme un piège subtil parfaitement mis au point par une ingénierie sociale très raffinée. Mais vous allez vite vous rendre compte que le monde politique est totalement clos et hermétique à toute réforme du système. Oui, les portes sont closes. Il faut s’en rendre compte, nous avons véritablement à faire à une mafia, et j’ai rarement vu une mafia accepter de partager un territoire, aussi petit qu’il soit, et une part de son butin.
En Belgique, quel que soit le niveau de pouvoir, fédéral ou régional, les rares intrus qui ont réussi à se glisser dans les arènes parlementaires ont vite déchanté, leur possibilité d’action étant réduite à sa plus simple expression. La censure des médias à leur encontre est totale et leur visibilité est nulle. Ainsi, pour relayer une opinion différente de la norme, mission principale qui incombe à un mandataire d’opposition, la tâche s’avère donc très pénible. En outre, je voudrais vous rendre attentifs au fait que les élections auxquelles la population est généralement conviée représentent le renouvellement du pouvoir législatif. Or, la réalité de ce dernier, son réel pouvoir d’action, est désormais réduit à la portion congrue. Dès lors, il est nécessaire de relativiser les choses. Le renouvellement des assemblées n’a guère d’impact sur la conduite des affaires de l’État. Le réel pouvoir ne se situe plus dans les travées de ces assemblées tant fédérales que régionales. Même l’exécutif, nos gouvernements donc, voit son pouvoir de décision détourné, dans les faits. Les décisions sont prises à l’abri dans d’autres cénacles. J’en veux pour preuve l’aveu de la députée et ancienne ministre Catherine Fonck (ex-CDH, aujourd’hui les Engagés). Dans une interview récente, elle explique sa décision de ne plus se représenter, en raison d’une forme de dégoût, et avoue que la politique belge se décide entre une petite vingtaine de personnes se trouvant dans les staffs ou le top management des partis traditionnels. Une petit nombre de personnes qui décident de tout, hors assemblée. Qui plus est, ces décideurs nationaux ne sont en fait que les relais d’instances supérieures internationales. Ce ne sont que les gérants de franchises locales, de filiales de puissances principalement économiques et financières. Même à l’échelon européen, otanesque voire onusien, ces instances sont occupées par des représentants, des fondés de pouvoir, des fonctionnaires subalternes qui appliquent les décisions et vont dans le sens désirés par les réels décideurs, qui se retrouvent dans les mondes économique et financier. Le pouvoir politique tient dans la main du pouvoir économique.
Ce paysage politique que je dépeins là nous oblige à relativiser les enjeux de ces élections. Par conséquent, je suis sidéré par votre réaction face à ces élections. Vous avez été attirés par celles-ci comme des papillons par la lumière. Par conséquent, vos disputes, vos chamailleries s’avèrent ridicules et totalement déplacées. Encore une fois, les egos surdimensionnés ont prévalu. Je n’ose imaginer quelles sont les ambitions intimes auxquelles certains d’entre vous ont sans doute rêvé. L’attrayant salaire de 6.000€ d’un député, la gloriole de pouvoir monter aux perchoirs pour poser sa petite question à la caste politicienne. Tout cela relève d’une extrême puérilité et de fantasmes dont je ne souhaite pas connaître les sous-jacents psychologiques. Résultat des courses, les résistants, les révoltés, les indignés partent au combat en ordre dispersé. Triste spectacle dont la caste doit certainement se gausser. Pour des enjeux, nous l’avons vu, somme toute modestes, vous n’avez pas pu vous entendre et vous réunir sous la même liste. Division des listes, donc division des voix. Puisque vous vous retrouvez face à un même électorat. Autant dire que dimanche soir, les voix de ces électeurs ont été dispersées à la façon d’un puzzle. Avec pour conséquence logique et mathématique de n’avoir aucun élu pour la résistance. Bravo les gars ! Je trouve cela très regrettable de ne pas avoir pu vous entendre, ne fût-ce que sur un programme minimum, dans le cadre d’un cartel par exemple. Alors que, je le répète, les enjeux étaient modestes et ne devaient pas entraîner de bouleversement majeur dans le paysage politique belge francophone. Unis, vous auriez peut-être même pu récolter les 5.000 signatures nécessaires pour présenter une liste européenne.
Dès lors, je vous interroge. Qu’allez-vous faire le lundi matin, après la « gueule de bois » du dimanche soir, lorsque vous découvrirez vos résultats à la télévision ? Ne serait-ce pas le temps de se réveiller ? D’abandonner vos rêves illusoires et de revenir à la réalité ? Ne serait-il pas temps de ravaler sa fierté et de se réunir autour d’une table ? Pour quoi faire ? Peut-être pour discuter des véritables enjeux, c’est-à-dire là où les citoyens peuvent réellement marquer leurs empreintes et créer un réel rapport de forces. Je le répète, le système politique vit en vase clos. On ne pourra pas le changer de l’intérieur. Je le redis, c’est le pouvoir économique qui domine le politique, qui le chapeaute. Mais ce pouvoir, aussi puissant qu’il soit, a aussi un talon d’Achille, et nous pouvons appuyer, en tant que citoyens, là où ça fait mal. Ce pouvoir économique, aussi puissant qu’il soit, notamment en matière de poids financier, reste affaire d’entreprises. Les BlackRock, les Vanguard, les J. P. Morgan, aussi énormes qu’elles soient, restent des entreprises qui dépendent de leur chiffre d’affaires. Si, tout à coup, les citoyens du monde entier décidaient de ne plus boire de coca, Coca-Cola serait dans le rouge et en grande difficulté. C’est leur talon d’Achille. Là se trouve le levier.
En même temps, je l’ai évoqué personnellement dans plusieurs émissions économiques chez Kairos, nous assistons actuellement à une guerre économique sans précédent. Nos PME, nos petites entreprises en prennent plein la gueule. Il faut voir le nombre de faillites. Nous vivons un phénomène de concentration majeur. Les grands groupes, les multinationales, les fonds spéculatifs détruisent notre tissu socio-économique. Avec l’aide des instances internationales non élues, comme la Commission européenne, qui ne sont rien d’autre que des relais de ces puissances financières. Par nos choix de consommation, par notre action sur le plan local, notamment communal, nous pouvons agir. Nous pouvons aussi agir en mettant en place une contre-société plus humaine, plus respectueuse, plus confraternelle. Ouvrir des coopératives, des écoles alternatives, soutenir une agriculture différente, défendre une alternative médicale plus holistique. Tout cela, mes chers amis, c’est aussi faire de la politique et c’est peut-être plus efficace encore que de se présenter aux élections et (a)voir sa bouille sur des affiches collées sur des panneaux. Vous voyez, il y a du pain sur la planche. C’est en se réappropriant l’économique que l’on peut aboutir à réenchanter le politique. C’est comme cela que nous avons les moyens réels de faire bouger les choses. Et rien ne nous empêche, le soir ou le week-end, après avoir fait tourner les coopératives et les projets alternatifs, de se réunir à nouveau pour ébaucher un nouveau modèle politique pour demain. Dans le cadre notamment d’un atelier constituant, à l’instar de ce que prône l’infatigable militant qu’est Étienne Chouard ou la remarquable juriste qu’est Valérie Bugault.
Bernard Van Damme