QUELLE SANTÉ DEMAIN ? LOGIQUE DE RENTABILITÉ, INDIFFÉRENCE POLITIQUE ET COVID-19…

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ENTRETIEN AVEC MOUNA CHOUATEN, INFIRMIÈRE SPÉCIALISÉE, ACTIVE DANS L’ASSOCIATION « LA SANTÉ EN LUTTE(1) »


Alexandre Penasse : Depuis quand l’association existe-t-elle et que fait-elle ? Dans le cadre du Covid-19, qu’est-ce qui est fait particulièrement et que revendiquez-vous ?

Mouna Chouaten : La première assemblée générale de La Santé en lutte s’est tenue en juin 2019. C’est né au départ d’un mouvement de grève qui a eu lieu sur le réseau Iris à Bruxelles. La santé en lutte a comme objectif d’aller chercher la voix du terrain. Nous ne sommes pas du tout associés à des représentations de métiers d’infirmiers, comme la FNIB ou la CN, ni avec les syndicats. Nous sommes des gens de terrain (infirmiers, ouvriers, brancardiers, aide-soignants, kinés, etc.). Nous avions déjà commencé des actions de grève et des manifestations il y a presque un an, mais qui n’ont pas été très médiatisées. On en parlait un peu au journal à la radio, c’était des petits groupes qui manifestaient, mais il n’y a pas eu un large mouvement national qu’on puisse entendre. Depuis, la crise du Covid-19 a exacerbé les difficultés du terrain et elle a également mis à jour le visage assez despotique de nos politiques. On nous a complètement lâchés, on nous a considérés comme de la chair à canon. Tout le système des soins de santé était en colère. Le mouvement, on le suit de très près pour mettre à jour la réalité du terrain tue aux informations. Un exemple concret : nous avons des décès du coronavirus qui sont comptés et relayés dans les médias, et à aucun moment on ne parle du personnel soignant contaminé ou qui est décédé. Nous les recensons pour pouvoir mettre des chiffres, des noms et des visages derrière ce personnel sacrifié. Alors qu’aujourd’hui il n’est pas normal de mourir en tant que soignant du Covid-19.

Paradoxalement, le Covid-19 vous a permis de faire connaître vos combats. Je rappelle quand même, comme vous le dites aussi, que Maggie De Block a reporté un projet de loi de réduction de 48 millions € d’aides aux hôpitaux et, récemment, le 4 mai, il y a eu un projet de loi pour réquisitionner le personnel hospitalier(2). Tout d’un coup, vous êtes les héros, alors que juste avant on supprimait des budgets de la santé, on réduisait le personnel hospitalier. Maintenant que c’est en train de se calmer, on vous réquisitionne. Vous avez été très obéissants en fin de compte, puisqu’on vous a empêchés de prendre des congés jusque fin juin, vous avez accepté beaucoup de contraintes… Quel est votre point de vue sur cette situation et ces incohérences ?

Pour la plupart, accepter ces contraintes était assez normal. On voyait ce qui se passait en Italie, on a fait notre job. Mais à l’heure actuelle, des services Covid sont en train de fermer dans des institutions de soins, les soins intensifs requièrent donc moins de travail parce qu’il y a moins de patients Covid, sachant que ces prises en charge sont quand même assez lourdes. Et aujourd’hui quand on découvre cet arrêté qui nous parle de réquisition… On est en train de déconfiner anormalement : on ne vérifie pas les paramètres, on n’attend pas 2 à 3 semaines entre chaque étape, on déconfine de semaine en semaine, c’est le bordel dans plein d’enseignes où il y a des files… Je suis désolée, mais nous on voit ça et on se dit « Mon Dieu, mais qu’est-ce qui va nous arriver ? ».

Une 2ème vague va nous tomber dessus. Il n’y a eu aucune concertation, aucune discussion et la ministre De Block nous ment quand elle dit qu’elle a récolté l’avis du terrain. Le « terrain », pour elle, ce sont les organisations d’infirmières reconnues comme la FNIB ou la CN. Pourtant, on a demandé à ces dernières si elles avaient été contactées, mais elles ne l’ont jamais été. C’est quelque chose que De Block a décidé seule. Dans une émission télévisée, elle disait qu’elle ne comprenait pas pourquoi le personnel infirmier était à ce point choqué. On nous ment et en plus on nous prend pour des cons. Donc, vous êtes dans l’obligation d’aller travailler et en plus si vous ne pouvez pas, si vous refusez, vous risquez un emprisonnement et une amende. Mais où on est, là ? C’est juste pas possible ! C’est inadmissible. Alors, la reconnaissance des politiques, on n’en a rien à battre ! Ils ne nous ont jamais reconnus, ce n’est pas aujourd’hui qu’ils vont nous reconnaître. Ils nous remercient, mais c’est manipulateur, c’est pour faire belle image devant le public. C’est dire : « Ah on comprend ce que vous vivez, merci, heureusement que vous êtes là », mais ils n’en ont rien à foutre, on n’a encore jamais vu Madame De Block venir voir ce qui se passait dans un hôpital. On n’a pas vu Madame Wilmès venir voir ce qui se passait sur le terrain, ils s’en foutent(3). Eux, ils prennent des décisions globales, et dans leur vision globale je pense que ce qui prime surtout c’est l’économie du pays, le pognon. Mais finalement, les vies humaines et ce qui se joue réellement dans les institutions de soins n’est pas du tout pris en compte.

Dans cet arrêté, on parle de la réquisition, mais aussi du fait de pouvoir déléguer des actes infirmiers à du personnel de soin non qualifié. On est en train de brader la profession au détriment de la sécurité des patients. Et tout ça sans cadre, sans règles, on ne sait pas ce qui peut être déchargé ou pas. Les conséquences ? Si un patient porte plainte contre un soignant non qualifié, on ne sait pas sur qui ça va tomber : sur le soignant non qualifié, l’infirmière ou le médecin qui a mandaté ? Il n’y a rien de clair. Et on ne peut pas prodiguer des soins, sans être qualifié. On sent vraiment là un décalage entre eux et nous.

Il y a vraiment une fracture que vous mettez bien en évidence entre les politiques, les médias aussi et les gens qui sont sur le terrain. On dirait qu’ils sont hors-sol. La Première ministre Wilmès a dit que les masques devaient être soumis à la logique de l’offre et de la demande. Les hôpitaux pour le moment achètent-ils les masques au prix du marché ?

Oui, mais les hôpitaux, c’est la débrouille ! Il y a des businessmen qui ont des relations économiques avec la Chine, qui commerçaient dans l’immobilier ou le textile et qui se sont reconvertis aujourd’hui dans les masques. Et donc les institutions de soins essayent de trouver des masques comme ils peuvent. On a fait appel à la population pour la couture, et ces gens essayent de fourguer ces masques à des institutions à des prix incroyables ! Et ce qui nous fout les boules, c’est que maintenant les supermarchés vendent des masques.  D’où ça sort ?!  Parce que depuis le début de cette épidémie, nous étions à la recherche de masques, victimes de l’incompétence de gestion des politiques. On parle de déconfinement, du fait que le masque est de plus en plus recommandé et obligatoire dans les transports en commun, puis quelques jours après on apprend que ces masques vont être vendus au supermarché, à des prix entre 35 et 70€. Aujourd’hui encore à l’hôpital, on n’a pas assez de masques, certains services travaillent sans masques.

Le marché avant tout… Est-ce que cette situation paradoxale permet une conscientisation politique chez vos collèges, est-ce que vous sentez qu’il y a quelque chose qui prend ? Se rendent-ils compte que faire confiance aux politiques et aux médias de masse, cela ne semble plus possible ?

Oui. Les hôpitaux ne vont pas bien depuis un moment, mais cela restait cloisonné au sein de l’institution hospitalière. On peut parler presque d’un régime de dictature et de harcèlement, vous devez suivre le mouvement avec soumission. La logique de rentabilité met une pression sur le personnel soignant. Donc, cette colère, on l’avait surtout vis-à-vis de nos directions. On n’osait pas trop s’exprimer. Aujourd’hui, le Covid est venu, de manière générale, montrer que le problème ne vient pas forcément des directions des institutions de soins, mais de beaucoup plus haut. Les directions de soins sont elles aussi tenues par les politiques d’adopter ce management taylorien, technocratique, basé sur du budget, sur l’argent et non sur le soin lui-même. Même si on nous fait croire que l’humain est avant tout le reste, ce n’est pas vrai. Et c’est devenu vraiment utile de faire ressortir que c’est suite aux décisions des politiques que nous sommes dans l’embarras.

Quid de la santé à deux vitesses avec des hôpitaux privés et semi-privés, pensons par exemple à l’industrie hospitalière qui vient de se créer à Delta ? Comment mobiliser le personnel des hôpitaux privés par exemple ? Quelle est votre vision par rapport à ça ?

C’est très compliqué. On n’a déjà pas la même manière de travailler. Les hôpitaux privés sont tenus à une pression encore beaucoup plus importante, qui est en train d’arriver dans les hôpitaux publics. Mais pour mobiliser du personnel infirmier, il faudrait qu’ils aient le courage de s’afficher. J’ai eu une discussion avec une amie qui travaille à Delta dans un gros service. J’ai essayé de l’amener dans La Santé en lutte, et elle m’a dit : « Non, écoute, je suis sur Facebook, en anonyme parce que j’ai peur. Je sais que nos directions surveillent Facebook ». Mais pour cela, pas besoin d’aller à Delta. Moi-même, dans un hôpital public à Charleroi, j’étais surveillée sur Facebook et on m’a coupée également de mes collègues de l’hôpital. J’ai dû en partir, étant devenue la « tête à couper ». Je disais haut et fort ce que les autres pensaient et j’ai été convoquée à la direction. Je pense qu’il faut encore plus de caractère dans le privé que dans le public si on veut s’afficher. Ce qui est aussi dommage, c’est qu’à côté de La santé en lutte, il y a d’autres groupes, comme Take Care of Care et Oxygène, qui naissent séparément. L’idéal serait d’avoir un seul et unique mouvement qui puisse reprendre l’ensemble du personnel, pour avoir plus de force. Globalement, les divers groupes reprennent plus ou moins les mêmes revendications, mais pas forcément. Donc, l’idéal serait d’avoir un seul mouvement pour faire bloc.

Au-delà des applaudissements, est-ce que vous pensez que la population vous soutiendra, notamment quand vous parlez de manifestations, est-ce que ce ne serait pas le moment d’appeler à une grande manifestation avec des revendications claires, tout ce qu’on est en train de dire là ? Et, sous question, est-ce que vous ne pensez pas que dans ces applaudissements il y a une certaine confusion qui met les médecins et les infirmiers ensemble ? Il faut quand même savoir que 90% des médecins votent MR, que ce sont eux qui ont appuyé le numerus clausus.

Si j’ai un message à faire passer, c’est d’arrêter de nous applaudir et de venir nous soutenir sur le terrain quand on aura besoin de vous. Je pense que c’est surtout pour eux qu’ils le font, c’est eux qui s’applaudissent. Parce qu’ils sont confinés, qu’il y a un virus en train de circuler vous rappelant qu’à tout moment vous pouvez être malades ou mourir. Est-ce que les applaudissements viennent des tripes ou de la peur que tout cela engendre ? Nous, ce qu’on veut aujourd’hui est une grande manifestation, qui aura lieu probablement en septembre, à vérifier. Mais là où nous sommes assez méfiants et très attentifs, c’est qu’ici on déconfine, mais comment nos chers politiques vont-ils autoriser nos regroupements ? Est-ce qu’ils vont permettre les manifestations, après les bars et les discothèques ? Ou bien ils vont dire « pas de manifestations avant novembre, décembre, janvier ? ». Parce qu’ils le savent que ça bouillonne sur le terrain. Donc ils se disent qu’ils vont faire reculer ces assemblées et autoriser les manifestations le plus tard possible pour refroidir la marmite en espérant que ça retombe. Les magasins seront ouverts, les terrasses avec les copains… Du coup, on sera un peu sortis de cette dynamique dans laquelle on est aujourd’hui. Là, maintenant, nous discutons pour savoir quelle position adopter si ça doit arriver. Je pense qu’on va braver l’interdit.

J’allais vous le demander, il y a quand même une question de désobéissance qui va être posée ?

Plusieurs questions se posent. Est-ce qu’on brave l’interdit pour manifester ? Sera-t-on assez nombreux ? Crée-t-on des mouvements par exemple à Bruxelles dans différents lieux avec distanciation pour ne pas se faire arrêter ? À un moment donné il va falloir se décider. Notre objectif est aussi d’être en accord avec d’autres mouvements d’infirmiers européens, en France, Italie, Espagne, etc. Ce que l’on veut faire concerne la Belgique, mais le problème de l’austérité est dans l’Union européenne. On est donc en contact.

Est-ce que vous avez une stratégie médiatique aussi ? Les médias vont jouer le jeu habituel ? Aujourd’hui vous nous consacrez une interview. Est-ce que vous vous êtes dit « à un moment donné, il ne faut plus jouer dans leur jeu » ?

Aujourd’hui, ceux qui nous donnent la parole, on la prend pour dire qui on est et ce qu’on veut. Mais on n’a pas vraiment de stratégie par rapport à ça. Je pense que ce qui nous fait connaître, ce sont les réseaux sociaux, Facebook surtout, Twitter et Instagram aussi. Après, on attend de voir. Je suis assez surprise qu’il n’y ait jamais un infirmier sur les plateaux de C’est pas tous les jours dimanche sur la RTBF, seulement des politiciens et des médecins. Mais alors s’il faut un infirmier, qu’il ne vienne pas de la FNIB, car celle-ci a un discours plus modéré. Nous sommes juste beaucoup plus réalistes, on reflète vraiment ce que l’on vit ! À la FNIB, il y a beaucoup de personnes issues des directions hospitalières. Un directeur infirmier qui descend dans les services pour dire à son personnel : « Ah oui, mais vous savez, le taux d’occupation est d’autant en chirurgie cardiaque, le taux a diminué d’autant… » On n’en a rien à foutre du taux d’occupation des lits ! Nous on veut savoir si vous avez des choses à nous dire sur la qualité des soins, le taux d’infection, les patients se plaignant des soins, etc. Je ne sais pas si vous savez, mais les institutions hospitalières sont rentrées dans une logique de badges de qualité. Ils ont dépensé des milliers d’euros, voire des millions, pour avoir un p… de badge qu’on va mettre à l’entrée de l’hôpital pour dire : « On est reconnu badge d’or ou badge de platine ». Et tout cela a demandé de l’investissement financier au sein des institutions de soins parce qu’il a fallu réexaminer au niveau du management, du matériel, des efforts du personnel soignant. Le Covid arrive donc à un moment où les soignants ont dû s’investir là-dedans pour faire tous ces changements et protocoles. Et s’il y a une 2éme vague, ce n’est pas fini ! Après ça, on va encore subir en devant rentabiliser toutes les pertes. Les salles techniques, comme un bloc opératoire, cela comporte en général 10 salles et cela peut aller jusqu’à 20 salles. Par salle non occupée, on est à 100.000€ par jour. 100.000€ fois 10 salles ou 20 salles, et on est à des millions d’euros de pertes. On va reprendre sur les chapeaux de roues, avec une pression dingue parce qu’il va falloir rentabiliser, encore beaucoup plus qu’avant, pour pouvoir récupérer tous ces déficits. Mais où est l’État ? Où sont les politiques ? Qu’est-ce qu’on va faire pour nous ? Est-ce qu’on va aider les institutions ? On a débloqué 1 milliard € pour aider les institutions, mais elles vont devoir les rembourser ! C’est nous qui allons trimer. On va encore de nouveau en prendre pour notre grade, et en plus de ça, si à un moment donné on a envie de s’arrêter, on est réquisitionné ! Donc pas d’autre choix, tu marches ou tu crèves quoi, sauf si…

Vous allez trimer, « sauf si », et ce « sauf si », ce serait quoi ?

Sauf si l’État décide de soutenir financièrement les institutions de soins, sans remboursement, évidemment. Afin de compenser les pertes, il va falloir débloquer des millions, si pas des milliards, pour aider les institutions à compenser le manque à gagner.

Pourquoi l’État qui, juste avant la crise du Covid s’appliquait minutieusement à privatiser la santé, à lui enlever des moyens, mais aussi comme vous le dites, à mettre dans les hôpitaux tous des systèmes onéreux de reconnaissance d’identité, de vérifications des données, pourquoi tout d’un coup l’État se ferait-il le garant de l’intérêt du public et des hôpitaux ?

Mais parce qu’on voit quand même aujourd’hui que les hôpitaux et le système des soins sont un pilier de notre société. Et que quand notre système de soins de santé n’est pas bon, rien ne va. Comment on aurait fait, si on n’avait pas été là ?

On est encore dans le Covid et ils mettent en place des lois de réquisition, remettent à plus tard un projet de 48 millions… Pourquoi, tout à coup, s’intéresseraient-ils au bien commun ?

Je ne sais pas, peut-être avec un système comme en France où des médecins ont remis leur démission. Peut-être faire du chantage ou être plus agressifs ? Parce qu’on ne peut pas dire qu’eux soient doux, n’est-ce pas ? Peut-être les tenir par le cou et leur dire : « On a besoin de vous, sinon autant de personnel va remettre sa démission ». Et encore, je ne suis même pas sûre que ça fonctionnerait !

J’ai l’impression qu’on demande sans cesse : « S’il vous plaît, chers politiciens, aidez-nous ». N’y a‑t-il pas une perte de temps et une forme de délégation de pouvoir ? Est-ce qu’il ne faudrait pas, si on veut politiser le corps médical, dire qu’il n’y a plus beaucoup à attendre des « représentants politiques » ?

Vous savez, le personnel médical a eu une prise de conscience. En 2020 en Belgique, des médecins anesthésistes ont été travailler dans les unités Covid, aux soins intensifs, pour pas un balle, ils ne sont pas payés ! Donc ils mettent leur vie en danger, peuvent être contaminés et ne sont pas payés. C’est hallucinant. Personne ne travaille gratuitement. Il y a aussi des médecins, des chirurgiens, comme mon mari (il ne vote pas MR !) qui ont été travailler gratuitement en tente Covid. Comme il n’opère plus, eh bien il ne gagne pas sa vie. Il a demandé le droit passerelle comme tout le monde. Et pourtant tous ces gens ont fait des études, ils sont là pour soigner et sauver des vies… et ils ne sont pas reconnus. Des hôpitaux engagent des infirmières bénévoles, des maisons de repos ont été rachetées et sont maintenant en bourse, privatisées et reprises par des actionnaires, qui demandent des bénévoles pour aller travailler ! Et nous, on veut nous réquisitionner pour aller travailler dans ces maisons de repos, là aussi ?

Donc, des maisons de repos privées, parce qu’elles ont un business, engagent des bénévoles ?

Oui, ces réquisitions sont peut-être des réquisitions pour des maisons de repos publiques, mais c’est aussi à l’avantage du privé. On ne fait pas de distinctions… Quand Maggie De Block dit « C’est quand même pas normal que ce soit l’armée qui aille travailler dans ces maisons de repos là »… Oui, mais ce n’est pas normal non plus d’aller chercher du personnel bénévole ou réquisitionné pour des hôpitaux privés, alors qu’on sait que ceux-ci sont des plaques tournantes financières. C’est juste du business, quoi.

Vous disiez justement au début que la crise du Covid a permis de sortir du contexte propre de l’hôpital et d’aller voir plus haut. Est-ce que cela ne pose pas la question de savoir où va notre argent ? On sait qu’en Belgique des milliards partent dans les paradis fiscaux… Et que c’est de nouveau le moyen de dire « Le peuple va payer, les infirmières vont payer au risque de leur santé, c’est pas grave, on s’en fout. Le capital, le business, les hôpitaux privés, on ne va surtout pas les déranger. » Est-ce que ça percole dans les milieux des travailleurs, des infirmières ?

Entendre la réalité de tous ces paradis fiscaux, de l’exil fiscal, eh bien oui, forcément. Au plus vous êtes une grosse société, au moins vous êtes taxés. Vous êtes plus riches parce que vous donnez moins, en fait. On va toujours aller chercher dans les poches des travailleurs. Rien à voir avec ces milliardaires qui sont au-dessus de nous. Donc on a l’impression que c’est encore sur nous, « les petits », qu’on va frapper. Comme si avoir beaucoup d’argent permettait d’acheter nos politiques. Mais nous, nous n’avons pas les moyens d’acheter les politiques. Nous, on voudrait une politique humaine, proche du peuple, des citoyens, qui est à l’écoute et qui prend de justes décisions pour tous, mais on n’en est vraiment pas là aujourd’hui. Il y a ce petit peuple de petits citoyens, puis les politiques, et au-dessus les multinationales, qui exercent un pouvoir sur le politique. Donc, oui, on revendique, oui on va manifester, oui on veut une politique plus juste, citoyenne, démocratique, mais on sait bien que le problème se situe beaucoup plus haut.

La colère monte, je l’entends, c’est justifié. Revenons sur la question des réquisitions. Pour le personnel hospitalier, la procédure de réquisition existait déjà avant, on pouvait dans des cas de force majeure obliger le personnel hospitalier à intervenir. Comment se fait-il que le gouvernement revienne avec cela ?

Quand il y a eu la grippe H5N1, ils avaient déjà voté ça, mais on ne l’avait pas entendu, et cette grippe n’a pas fait tout ce tollé, provoqué ce confinement, cette médiatisation autour du Covid, qui est quand même beaucoup plus virulent et mortel. Avec les pouvoirs spéciaux, ils en profitent pour faire ce qu’ils veulent, sans jamais nous consulter. D’abord, nous ne l’avons pas appris par les médias, mais par un syndicat, quand c’était en discussion. Ils ne sont jamais venus vers nous, peut-être parce que les politiciens doivent savoir que ça grouille sur le terrain, que des mouvements sont en train de se créer. Vous avez vu qu’on existait. Pourquoi, eux, ne le sauraient-ils pas ? Et donc cette réquisition, c’est aussi une occasion détournée de nous empêcher de manifester ou de faire grève. C’est aller complètement à l’encontre de nos droits les plus fondamentaux. Ils ne nous interdisent pas formellement de manifester ou de faire grève, mais par cette réquisition, ils nous en empêchent.

Propos recueillis par Alexandre Penasse, le 11 mai 2020

Notes et références
  1. Rebaptisée depuis « Forum de la santé »
  2. Depuis, ces arrêtés ont été suspendus. https://lasanteenlutte.org/suspension-des-arretes-royaux-le-pouvoir-recule-continuons-la-lutte
  3. NDLR Le 16 mai, la ministre s’est rendue , pour la première fois, dans des hôpitaux, notamment l’Hopital Saint-Pierre, à Bruxelles, où elle a été accueillie par le personnel de l’hôpital lui faisant une haie « d’honneur » le dos tourné.

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