Quelle radiotélévision aimerait-on?

Cher lecteur, détendons-nous un peu si vous le voulez bien.
Vous savez qu’à notre époque, lorsque l’on fait mine de ne pas donner blanc seing au monde tel qu’il va et à ses élites, on est bien vite accusé de négativité, de pessimisme, entre-autres choses. Ce qui est nettement moins bien que la positivité et l’optimisme à la mode de l’esprit médiatico-publicitaire qu’ont assimilé par containers entiers les spécialistes des petits-pas et des sparadraps. Si le Titanic avait eu des couches de peinture plus épaisses, il aurait maté l’iceberg, c’est sûr. Croyons‑y plus fort et tout ira mieux dans le meilleur des mondes. Les experts de cette pensée supertop, que l’on retrouve aussi bien dans la gauche libérale que dans la droite libérale — avec un excès tout particulier chez les libéraux — nous fatiguent un peu le dos à vrai dire. Ils nous font un peu penser à ce genre d’observateurs aguerris dignes des grands chasseurs capables de percer de leur flèche acérée un étourneau en plein vol à 250 mètres grâce à leur arc qu’ils bandent fièrement sans effort apparent. Ils sont à ce point perspicaces, qu’ils peuvent se permettre sans compromission de dire, quand il pleut, qu’en fait il fait beau, face à un tableau noir, qu’en fait il est blanc, et que si l’on regarde le monde aujourd’hui, en fait il va bien. Il suffit d’être positif que diable, les faits ne sont-ils pas nécessairement interprétés différemment par chacun? Le reste l’emportera. ça n’est pas que l’on est contre la pensée positive quand elle consiste à se saisir du beau et du bon pour dépasser le laid et le mauvais. Pas non plus que l’on néglige l’influence de l’esprit sur la matière. Mais enfin ne Mélenchon pas les serviettes et les torchons. La maïeutique n’est pas le marketing des supermarchés, le bouddhisme zen n’est pas le coaching en entreprise. Quelle époque chers lecteurs, tout fout le camp, rien ne va plus, argh.

  Critiquer l’entreprise publique autonome RTBF comme nous l’avons fait dans ces deux premiers numéros de Kairos (pour nous soutenir, abonnez-vous), c’est vraiment la preuve de notre impénitente négativité pessimiste. Et le projet s’il vous plaît, il est où ? Les alternatives, quid ? Quelles solutions ? Proposez plutôt que critiquer; que diable, dit la rengaine marketing dont les principaux ennemis sont la conscience et la critique. Bref, il faut proposer, pas critiquer, d’ailleurs la critique n’est jamais une proposition, cela va de soi.

Eh bien donc, faisons mea culpa et pénitence. Proposons la radio-télé du futur, ou du moins de quelque chose qui pourrait s’en approcher, c’est ‑à-dire dans le monde réel tel qu’il est, une radio-télé qui soit décente. Trop cool.

Pour commencer, disons que pour la télé ça part mal puisque la bonne télé est celle qui n’existe pas, étant donné que la petite lucarne est un objet nocif. Voilà que notre pessimisme antipositiviste reprend le dessus, il va s’agir de le combattre.

Donc. Que pourrait être une télévision décente, s’il en fallait une? Ce serait d’abord une télévision publique, c’est-à-dire au service du public, pas des intérêts publicitaires. Une télévision qui s’intéresse aux gens, à ce qu’ils vivent, à la façon dont ils s’organisent pour vivre bien, aux difficultés qu’ils rencontrent, aux questions qu’ils se posent, à ce qui les rend heureux ou malheureux., etc. Une télévision qui éduque pour émanciper, qui divertit intelligemment, qui informe de manière critique (oh nooooooonnnn.…). Une télévision qui parle des gens et qui parle aux gens.

Une télévision qui sait aussi écouter les gens, et prendre leurs avis en compte. Pour ce faire, une solution simple, efficace, pas chère, propre à bouleverser la face de vos écrans et radios: écouter les gens. Pfiou! Ce fut un effort intellectuel intense. Précisons un peu pour les personnes superpositives. Eh bien, on pourrait faire simple:

1)représenter les gens au Conseil d’administration de la RTBF. Par exemple en ajoutant à la représentation actuelle des partis autant de sièges pour des administrateurs issus d’associations ou groupes de citoyens représentant différentes tendances, et ajoutons qu’il devrait s’agir de groupes non-subventionnés par les pouvoirs publics pour éviter les conflits d’intérêts particratiques si chers à la Communauté française;

2)faire participer les gens à la construction des grilles de programmes. Comme cela demande un savoir-faire et que les gens sont bêtes, ignares et incompétents, il faut les éduquer sinon ils ne vont passer que des reportages façon Arte et des concours d’échec en langue russe (ce qui tétanise la Ministre Laanan et l’administrateur-général Philippot). Une solution inconnue jusqu’alors (copyright Kairos): le « panel citoyen auto-entretenu à boucle rétroactive »: vous prenez un panel de citoyens qui se documente, réfléchit et propose un nouveau canevas de grilles de programmes qui parle aux gens et qui les écoute. Le travail est continu pendant deux ans, et vous renouvelez alors ce panel pour moitié. Comme ça les gens participent, les savoirs s’entretiennent, s’affinent, et les gens décident!

3)faire participer les gens aux émissions. Bigre, encore une idée ré-vo-lu-tion-naire pour une radiotélévision de service public. Les gens dans les émissions, et même pas que sur les bancs du public où le bétail est prié de rire et d’applaudir quand on le lui demande, mais surtout de la boucler. Imaginez le débat du dimanche où tout à coup les politiques doivent débattre avec le public assisté d’experts choisis par lui pour, par exemple, et quand nécessaire, contextualiser le propos. Ou encore des émissions de médiation avec des plaignants en direct-live et avec un temps de parole garanti.

Enfin bref une télé pour les gens, avec les gens.

4) Et par les gens! Prenez deux heures hebdomadaires d’antenne consacrées à la diffusion d’une émission (documentaire, reportage, enquête, fiction, farce, etc.) réalisées par des gens – jeunes par exemple — avec l’aide de professionnels du service public: même pas plus cher! Et plutôt que d’acheter à des prix extravagants les droits de retransmission de coupes de foot internationales avec des joueurs de 23 ans qui risquent l’infar en live, ou des courses cyclistes de coureurs publicitaires dont l’espérance de vie est inférieur à 62 ans? Et bien un tournoi des clubs de foot locaux de toute la Communauté française organisé par une émission de la RTBF (le club gagnant organise une fiesta pour tous les autres) et la mise à l’antenne des sports qui en sont usuellement privés. Les gens positifs pourront de toute manière faire une orgie de pub façon foot ou vélo sur TF1 qui retransmet les coupes pour le même tarif. Coût estimé: plusieurs millions d’économie pour le service public.

Pour qu’une radiotélé au service de son public puisse exister (inventez-en d’autres), il faut sans aucun doute commencer par défaire la pub de l’entreprise publique autonome, parce qu’essayer de construire une radiotélé décente dans une institution gangrénée par la pub et le marketing depuis 30 ans, c’est comme essayer de bâtir une maison sur un terrain miné. à notre connaissance, les personnes positives qui tentent ce genre d’aventure terminent en pâté pour chien (en vente au supermarché en barquettes de 60 ou 100 grammes, au choix).

J‑B G

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