Que nous racontent les rats et les fourmis?

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Depuis de nombreuses années, des scientifiques se penchent sur les effets délétères des rayonnements électromagnétiques sur les êtres vivants. Nous avons désiré faire le point avec deux d’entre-eux, dont les travaux ont connu un certain écho médiatique en Belgique.

«LA FOURMI EST UN BIO-INDICATEUR»

Marie-Claire Cammaerts-Tricot a travaillé, au sein du département de Biologie des organismes de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), sur les effets des rayonnements électromagnétiques de la téléphonie mobile sur les colonies de fourmis. Son étude fut publiée en juin 2012 dans la revue américaine “Electromagnetic Biology and Medecine”. Depuis la publication de cette étude, nous attendons les initiatives des différents ministères de l’environnement et de la santé, au vu des enseignements à tirer de ses résultats.

Pourriez-vous brièvement nous présenter votre parcours professionnel et scientifique?

Marie-Claire Cammaerts-Tricot. Je suis docteur en biologie et agrégée de la faculté des sciences. Durant 43 années j’ai enseigné en faculté de médecine, en première candidature. Pendant cette période j’ai également effectué de la recherche, dans la faculté des sciences, au sujet de la physiologie, l’éthologie et l’écologie des sociétés de fourmis.

Quelles furent vos motivations à travailler sur les effets des ondes électromagnétiques sur les fourmis?

Dans le cadre de mes recherches, j’ai travaillé longuement sur le conditionnement, le conditionnement classique, décrit par Pavlov et celui opérant mis au point par Skinner. Ces conditionnements sont aisés à appliquer aux fourmis. Elles apprennent à réaliser une chose (reconnaître un objet, répondre à un stimulus) en étant récompensées chaque fois qu’elles donnent la «bonne» réponse. Finalement, elles répondent au stimulus sans plus avoir la récompense : ellesont appris et sont conditionnées.

J’ai été très interpellée par le «Colony Collapse Disorder» des abeilles, un phénomène prenant une ampleur mondiale. On trouvait les abeilles mortes le matin, une situation entraînant le déclin progressif de la ruche. Des travaux ont alors montré l’effet des pesticides, ingérés par les abeilles buvant la rosée matinale. Cependant, dans beaucoup de cas, on ne voit rien! Il y a de moins en moins de miel fabriqué, mais aussi de moins en moins d’abeilles dans la ruche, elles ne rentrent pas! J’ai alors émis l’hypothèse que les abeilles perdaient la mémorisation de leur trajet au contact des rayonnements électromagnétiques artificiels générés par l’homme. J’ai donc décidé d’analyser les effets éventuels de ces rayonnements sur les fourmis dans mon  laboratoire.

J’ai eu un générateur d’ondes électromagnétiques en prêt, et très vite j’ai constaté que mon hypothèse était correcte! J’ai pu démontrer que sous radiation, d’une part les fourmis ne peuvent être conditionnées, et que d’autre part si elles le sont, en quelques secondes elles perdent leur conditionnement. J’ai poursuivi l’analyse des comportements en empruntant une nouvelle fois le générateur, et j’ai montré que sous les radiations les fourmis répondent très mal à leurs propres phéromones d’alarme, de piste et de marquage. Leur comportement n’est plus normal. Dans les deux séries d’expériences, les sociétés ont décliné exactement comme les sociétés d’abeilles. La reine est morte et le développement larvaire ne s’est plus réalisé. Ce développement larvaire dépend du cerveau, j’ai donc voulu progresser dans l’analyse des effets  des radiations agissant sur le cerveau, mais je n’ai alors plus pu disposer du générateur. Pourtant, les services scientifiques de l’ULB disposent de plusieurs générateurs non utilisés. Manifestement, il est difficile aujourd’hui de travailler sur les effets des radiations électromagnétiques sur le cerveau.

Vous avez tout de même poursuivi vos recherches?

Pour la suite, j’ai utilisé un téléphone mobile, placé à proximité des sociétés. Les fourmis ne savent plus se déplacer, elles ont des ataxies musculaires, recroquevillent leurs antennes, ne savent pas rentrer au nid, ne savent plus se nourrir, ne savent plus communiquer, et elles ne connaissent plus de développement larvaire.

Il existe de nombreux travaux montrant les effets de ces radiations sur les plantes et sur tous les insectes, les bourdons, les abeilles,… Si nous plaçons un téléphone mobile dans une ruche, c’est un véritable cataclysme, plus rien ne fonctionne! Ça agit sur les drosophiles, sur le développement embryonnaire, sur les amphibiens, sur les oiseaux, sur les rats, sur tout. Et donc également sur les êtres humains. Ça agit d’autant plus si l’animal possède de la magnétite, par exemple les pigeons, un élément permettant de percevoir le champ magnétique terrestre. Aujourd’hui, traversant des champs magnétiques artificiels intenses près des antennes de communication, il leur arrive d’être déboussolés. On trouve des pigeons voyageurs égarés dans les villes, où ils trouvent de quoi se nourrir pour survivre, mais ils ne savent plus rentrer chez eux (1).

Afin de poursuivre, j’ai demandé à la doyenne de la faculté à pouvoir disposer d’une petite ruche, afin de paralléliser les observations chez les fourmis et les abeilles, mais cela m’a été refusé. La raison? On m’a  répondu sans rire que les abeilles piquent. Si on s’arrête à une piqûre d’abeille dans le cadre de recherches scientifiques, on n’ira jamais très loin!

Quelles sont ses raisons selon vous?

Je ne sais pas. Certains font un lobbying consciemment et ne veulent pas des résultats inévitables, mais la plupart des gens font l’autruche, ne veulent pas voir le danger. Vous savez, les proportions doivent être plus ou moins semblables dans le monde scientifique et dans la société en général, les gens veulent continuer comme avant.

Pourrait-on projeter les enseignements de votre étude sur les fourmis en milieu naturel?

Tout à fait. Par ailleurs les fourmis sont un modèle, valable pour tous les insectes, ainsi que pour les vertébrés, les oiseaux par exemple, et bien entendu également pour l’être humain. Il est fondamental de rappeler que les fourmis sont utilisées comme un ‘modèle biologique’, il s’agit d’un bio-indicateur, montrant l’impact des radiations de la téléphonie sur tout être vivant.

Nous connaissons tous à présent la sensibilité de certains individus, qui ressentent les effets des radiations dans leur corps. Ils sont fatigués et ont des maux de tête puisque ça agit sur les fonctions nerveuses, ils sont irritables puisque ça agit sur le comportement. Les symptômes décrits par les personnes dites ‘électrosensibles’ sont semblables aux effets sur les colonies de fourmis. Ces personnes souffrent énormément, mais d’un autre côté nous pouvons dire qu’elles sont en quelque sorte ‘avantagées’, car elles vont au maximum se protéger. Même si ce n’est pas totalement possible, elles vont éviter les rayonnements tant qu’elles le pourront, notamment en n’utilisant plus les technologies sans fil, tandis que les personnes qui ne sont ‘pas sensibles’ connaissent la même attaque physique! C’est un peu comme un individu qui ne sentirait pas l’arrivée d’un coup de soleil, au final la peau est tout de même brûlée.

Pour terminer, pourriez-vous évoquer la question de la publication officielle de ces études?

Les publications ne sont pas toujours aisées, et le parcours parfois jalonné de malhonnêteté. La procédure est claire et identique pour toutes les publications scientifiques. J’ai présenté mes travaux à la revue «Belgian Journal of Zoology», les «referees» ont émis une série de critiques, auxquelles j’ai répondu, entraînant leur acceptation. L’éditrice a alors présenté mon travail à une personne dite ‘spécialiste des ondes’, une démarche non conforme aux règles en vigueur. On m’a fait traîner des années, ensuite l’éditrice a sans raison refusé de publier mon travail. Après cet événement, j’ai tenté le niveau européen, auprès de ‘Biologia’. Ça a été refusé, mais au moins de manière plus franche : «parce que ça concerne les ondes, on ne veut rien publier à ce sujet». Tel quel! C’est alors que j’ai envoyé mes travaux à la revue américaine ‘Electromagnetic Biology and Medicine’, où l’article a été accepté.

Des images des effets sur les sociétés de fourmis en laboratoire sont visibles sur le site de l’association Teslabel, en date du 12 juillet 2012:

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«LE TAUX DE MORTALITÉ DES RATS EXPOSÉS EST DEUX FOIS PLUS ÉLEVÉ».

Dans le courant de l’année 2008, une thèse de doctorat a fait grand bruit à la Une de tous les médias, exposant les effets des rayonnements de la téléphonie mobile sur des rats exposés en laboratoire. Là aussi, depuis la publication de cette étude nous attendons les initiatives des différents ministères, qui viseraient à assurer la santé publique. Rencontre avec le professeur André Vander Vorst, superviseur de la thèse et ancien membre du Conseil Supérieur de la Santé (2).

Pourriez-vous vous présenter brièvement?

André Vander Vorst. Je suis professeur émérite à l’Université Catholique de Louvain (UCL), j’ai travaillé toute ma carrière sur les hyperfréquences, les micro-ondes. En 1966, j’ai créé un laboratoire d’hyper-fréquences, que j’ai animé jusqu’à mon éméritat en 2001. Mon premier intérêt sur les aspects biologiques s’est réalisé à la fin des années 1960, par des mesures d’échauffement sur des aortes de vaches. Et dans les années 2000, j’ai supervisé les travaux de la thèse de Dirk Adang sur l’effet des micro-ondes sur l’organisme et la santé des rats.

Comment avez-vous procédé?

Nous avons travaillé avec des rats provenant d’un laboratoire des États-Unis, des rats «spéciaux» car tenus à l’abri de toute autre maladie et d’influences extérieures, et tous issus d’une même famille génétique. Nous avions dès lors l’assurance que seul l’aspect «exposition» puisse jouer un rôle.

Ces rats ont une durée de vie d’environ trentemois. Si nous considérons un être humain ‑admettons ce rapport en exagérant un peu- d’une durée de vie de 90 années, nous avons alors trois ans de vie humaine pour un mois de vie d’un rat. Les rats ont été exposés dès l’âge de quatre mois, 12 ans d’âge pour un être humain, et ce durant 21 mois, équivalents à 63 années pour un être humain. Nous considérons donc une exposition à très long terme, d’une durée impossible pour un être humain à l’heure actuelle en ce qui concerne le GSM. L’exposition a été arrêtée à l’âge de 25 mois, l’équivalent de 75 années humaines.

Le niveau d’exposition utilisé correspond à la limite désignée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour l’être humain, si elle avait fait le calcul de la même manière pour les rats, en tenant compte des moyennes de longueur de 16cm pour un rat et d’1m60 pour un être humain. Nous avons donc réalisé un rapport 10 en fréquence et adopté un niveau, critiqué par nos détracteurs mais objectif, et lié à une norme approuvée – à tort ou à raison – par l’OMS à propos des êtres humains.

Nous avons partagé 124 rats en 4 groupes de 31 dont 3 ont été exposés à deux fréquences différentes et des modalités de signal différentes. Un quatrième groupe, le groupe témoin, a été traité exactement de la même manière en termes de bruit, de nourriture, etc… sauf que nous n’avons jamais enclenché l’interrupteur permettant l’exposition au rayonnement.

Quelles ont été les conclusions les plus marquantes?

Avant tout j’ai constaté, c’est un corollaire, que ces résultats ont fortement déplu à certains. Mais tout est toujours critiquable à posteriori.

Les résultats sont les plus marquants à deux niveaux. Premier niveau de résultat: le taux de mortalité des rats exposés est deux fois plus élevé! Je dis bien deux fois, un taux tout de même très surprenant. Concernant la raison de cette mortalité, la question s’est donc posée d’un vieillissement prématuré suite à l’exposition. Ce niveau de résultat n’avait jamais été mis en évidence par les thèses précédentes.

Deuxième niveau de résultat, qui cette fois représente plutôt une confirmation: lorsqu’on soumet des animaux vivants à des expositions de ce type-là, il y a perte de mémoire. Il s’agit de phénomènes de comportement, liés aux fonctions cognitives. Nous avons utilisé un groupe de 31 rats non exposés, et un groupe de 31 rats exposés 15 mois, l’équivalent de 45 années. Chaque rat a vécu l’expérience individuellement, en répétant le processus 5 fois. Nous avons constaté que tous les rats – je dis bien tous – du groupe non exposé avaient le même type de comportement. Tous les rats du groupe exposé avaient également le même type de comportement entre eux, différent de l’autre groupe.

Nous avons posé le rat dans une cage face à des objets inconnus. Il tourne autour de l’un, puis de l’autre, et quand il les connaît il va jouer dans les coins. On enlève le rat, on le remet 15 minutes plus tard en ayant remplacé un objet par un autre. Le rat non exposé ne va plus voir l’objet connu, il l’a en mémoire et va tourner autour de l’objet inconnu, puis va jouer dans les coins. Nous avons constaté un comportement identique pour les rats exposés durant 2 mois, c’est à dire 6 années pour l’être humain. Mais lorsque les rats sont exposés durant 15 mois, ce n’est plus du tout la même chose, ils vont s’intéresser aussi fortement au premier objet qu’ils connaissent pourtant, et devraient avoir en mémoire.

Ces résultats ont été largement présentés en Une des journaux. Des années plus tard, quel effet ont-ils eu selon vous sur la société?

A mon avis pas grand chose, sauf chez des individus. Au niveau des décideurs, il semble n’y avoir aucun effet, rien. Outre le monde politique, un autre élément préoccupant réside dans le corps médical dans son ensemble qui, pour le dire simplement, ne connaît rien à cela. Certains ne veulent simplement pas en entendre parler pour diverses raisons qui me semblent confuses. Le conseil de la santé des Pays-Bas a nommé un collège, dont la plupart des membres étaient médecins, biologistes, avec un seul ingénieur dans la douzaine, pour mener une discussion basée sur nos résultats. Ce conseil nous a transmis un projet de rapport, pour avis de notre part. Par la suite, le Conseil a émis un avis à la ministre, expliquant qu’un changement de normes n’était pas nécessaire, car une série d’éléments de la thèse ne permettraient pas de considérer les statistiques comme fiables. Personnellement, cela ne me fait ni chaud ni froid, lorsqu’on n’a pas envie de dire une chose, on trouve une manière de ne pas la dire…

Vous considérez qu’il y a une volonté manifeste de discréditer les résultats?

Oui. Bien sûr. Le calcul, selon moi, est de laisser aller les choses suffisamment longtemps pour qu’un retour en arrière semble impossible. Les gens, notamment les plus jeunes, seront tellement ‘accros’ que, même si l’on admet plus tard un manque de prudence, plus personne n’en tiendra compte.

Vos descriptions au sujet des effets cognitifs et de la mémoire des rats rejoignent ceux des victimes des opérateurs de téléphonie mobile: problèmes de concentration, pertes de mémoire ou encore l’impression que des événements vécus la veille semblent déjà tellement lointains…

Oui, ce n’est vraiment pas neuf, nous avons simplement apporté des confirmations. Nous avons entendu en réaction : «qu’est-ce que vous prouvez?» Mais nous ne prouvons rien! Nous exposons simplement des résultats, conformes à d’autres, antérieurs, montrant que ce type d’exposition aux rayonnements de hautes fréquences sur animal vivant est susceptible d’affecter la mémoire.

Propos recueillis Par Sarah Fautré.

Notes et références
  1. NDLR. Notons que la présence de magnétite dans le cerveau humain a été mise en évidence par Joseph Kirschvink.
  2. Cet entretien est la retranscription partielle d’une rencontre effectuée en vue d’un reportage radiophonique, réalisé par Sarah Fautré, «Ondes sensibles», produit par le GSARA (Groupe Socialiste d’Action et de Réflexion sur l’Audiovisuel). Il est disponible à l’écoute à cette adresse: http://gsara.tv/outils/?p=161

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