Alors que les mesures prises en Belgique rendant obligatoire le port du masque dans de nombreux lieux publics semblent aller de soi pour certains, beaucoup de doutes demeurent quant à leur efficacité réelle. Chez Kairos, nous sommes en contact avec des médecins qui ont des avis contrastant avec la voix officielle. Nous nous faisons le relais de leurs analyses et préoccupations.
La saga des masques nous a occupés tout le printemps et continue de le faire. Tragicomique ou honteuse selon la lecture que chaque citoyen a bien voulu lui donner. D’inutile à obligatoire en tous lieux et toutes circonstances, le retournement de veste des politiciens nous est bien connu depuis la chanson de Jacques Dutronc. L’inconstance de ceux que l’on appelle les experts est par contre un phénomène nouveau qui surprend et est évidemment de nature à encourager le politique à varier ses messages au fil du temps et à déstabiliser le citoyen qui, le plus souvent, en revient à suivre son jugement propre ou celui de son voisin de palier. Cette versatilité du monde scientifique est-elle explicable ? Émettre un avis scientifique sur le bénéfice-risque d’une intervention médicale qu’il s’agisse d’un médicament, d’un dispositif médical ( prothèses, pace-maker, implant, …) ou d’un geste préventif, nécessite une démarche structurée: désignation d’experts, procédure d’évaluation et avis consensuel. Ces 3 éléments indispensables sont-ils réunis dans le cas du port du masque comme élément de lutte contre le Covid-19?
Procédures et conflits d’intérêts? Circulez, y’a rien à voir!
La Première ministre a constitué son groupe dʼexperts le 6 avril, appelé le GEES (Exit Strategy) sur base dʼune profonde croyance en lʼintelligence collective. Contrairement à ce que lʼon peut penser, il ne sʼagit pas uniquement de scientifiques puisquʼon y retrouve aussi Johnny Thijs, administrateur dʼentreprises comme Electrabel et Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque Nationale de Belgique et reyndersien de longue date. Une composition mixte savamment élaborée pour nuancer les opinions des experts scientifiques. Le site de la Première ministre ne dit par ailleurs rien sur la procédure de désignation de ce groupe ni des conflits dʼintérêts éventuels de ses membres, ce qui ne présage rien de bon en terme de transparence. Une des missions du GEES est de « fournir des analyses et des recommandations ». Ceci implique donc une description des procédures d’évaluation utilisées comme chaque fois que l’on effectue ce genre de travail au sein par exemple des sociétés scientifiques ou de la commission de remboursement des médicaments. Là encore le site de la Première est muet.
Venons-en aux masques et aux successives recommandations. Le 28 janvier, le Soir-titre : « le port du masque est inutile et inefficace selon les autorités sanitaires belges ». Marc Van Ranst, futur membre du GEES et Steven Van Gucht, porte-parole du gouvernement expriment que « cela ne sert à rien et est même potentiellement dangereux ». Le 5 avril, soit la veille de la constitution du GEES, la ministre de la santé Maggie De Block communique que « le port du masque nʼa scientifiquement pas de sens ». Dʼautres scientifiques vont progressivement sʼériger en faux contre ses prises de position. Le 24 avril, le GEES émet un rapport stratégique pour le deconfinement. Le port du masque y est fortement recommandé dans lʼespace public dès lʼâge de 12 ans, mais non encore obligatoire. Les bases scientifiques de cette recommandation ne sont pas communiquées. Fin avril, Erika Vlieghe qui préside le GEES, dit dans le Morgen que « le masque est une couche de vernis ». Enfin, le 17 juillet, un nouveau rapport recommande le port du masque même à lʼintérieur lorsque les espaces rassemblent de nombreuses personnes pour un temps prolongé et que la distanciation sociale ne peut être respectée. Ce nouveau rapport nous dit que cela pourrait durer jusquʼaprès lʼhiver, avec lʼarrivée dʼun vaccin.
Il ne semble pas que les opinions soient nécessairement unanimes et fassent l’objet d’un consensus au sein du GEES, ce qui n’a rien d’étonnant au vu de sa composition. Y a‑t-il une assise scientifique à ces changements d’opinion? Classiquement, depuis des décennies, on s’appuie pour émettre des recommandations scientifiques sur ce que l’on nomme la médecine basée sur les preuves ( evidence-based médecine). Le niveau d’évidence le plus élevé qui permet un niveau de recommandation puissant est obtenu par l’obtention de multiples études de grande qualité méthodologique comparant une option A à une option B et qui permet la recommandation qu’un traitement ou une procédure est bénéfique, utile et efficiente, ce qui signifie qu’elle présente un coût-bénéfice favorable. Le niveau d’évidence le plus faible est obtenu sur base d’avis d’experts ou de petites études non comparatives.
Qu’en est-il du port du masque généralisé en situation de Covid-19 et qu’est-ce qui justifie le changement de position du GEES ? Le 3 mars, le groupe de recherche Cochrane, pape de la médecine basée sur les preuves, association non lucrative regroupant 28.000 scientifiques dans plus de 100 pays, publie que « si certains gestes comme se laver les mains ou porter des gants ou un masque peuvent peut-être réduire la diffusion de virus respiratoires l’évidence est très faible ». Une autre étude systématique publiée cette année par Marasinghe de lʼUniversite de Waterloo au Canada conclut également à lʼabsence dʼévidence du bénéfice du port obligatoire du masque. Depuis, seule une publication allemande utilisant un modèle comparant plusieurs régions où le port obligatoire du masque a été instauré va dans une autre direction, mais là encore le niveau dʼévidence est insuffisant.
Que faut-il en conclure ?
1. Il n’y a pas d’argument scientifique suffisamment établi aujourd’hui pour imposer le port du masque à toute la population.
2. Les recommandations édictées vers le public par un groupe d’experts doivent se justifier par une évidence scientifique démontrée et forte. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne le GEES.
3. Ces recommandations doivent être transparentes et lʼévidence sur laquelle elles reposent doit être accessible à toutes et tous. En leur absence, les recommandations sont susceptibles de jeter le trouble dans la population induisant des comportements rebelles liés à une forte perte de confiance. Le risque de diffusion accélérée du virus est non négligeable. Le risque est également important de voir des scientifiques ne faisant pas partie du GEES exprimer dans les médias des avis divergents accentuant encore le malaise de la population. Cʼest ce qui se passe aujourdʼhui.
4. L’option stratégique actuelle va totalement à l’encontre de l’évolution de la médecine moderne: le concept « One size fits all » est complètement dépassé . Des recommandations différentes doivent être données aux sous- groupes de la société : professionnels de la santé , personnes fragiles, porteurs asymptomatiques et proches de malades infectés.
5. Il faut que les experts fournissent une analyse précise de la balance risque-bénéfice quant au port systématique du masque pour chacun de ces groupes.
6. Les avis émis doivent l’être en concertation avec les pays voisins au vu de l’accès facile aux médias de ces pays par les citoyens. Une cacophonie au niveau des recommandations à également un effet extrêmement préjudiciable sur le respect de celles-ci. C’est ce que l’on observe avec la France en particulier.
7. Enfin, on peut sʼétonner quʼaucune étude nʼaie été initiée au niveau européen sur lʼutilité du port du masque au vu de lʼabsence dʼévidence scientifique et du coût particulièrement élevé de cette stratégie. La critique virulente des essais du Professeur Raoult, pour imparfaits quʼils aient été, contraste fortement avec une stratégie basée sur le vide scientifique en ce qui concerne le port du masque. Il est loin dʼêtre acquis quʼune telle étude sorte positive mais au moins on serait fixé. Comme si on considérait déjà que seul un vaccin peut nous sauver tous et quʼil faille entretenir lʼanxiété de la population la plus large afin de garantir la vaccination massive de type carpet bombing, au vu des investissements colossaux auxquels la communauté européenne a largement contribué.
Médecin cardiologue, anonyme