Nucléaire : le confinement de l’information a bien fonctionné pendant huit mois

L’année qui se termine aura été riche en évènements qui, en d’autres temps, seraient passés moins inaperçus. Le 15 avril dernier, alors que la Belgique était totalement confinée, l’ONDRAF (Office National des déchets radioactifs et des matières fossiles) lançait une grande consultation publique sur son projet de stockage géologique ou souterrain sur le territoire national comme destination finale pour les déchets fortement radioactifs issus de l’activité des centrales nucléaires belges.

Une consultation sur un projet d’une telle gravité dont les conséquences porteront sur des siècles, voire des millénaires, et en un moment où chacun est assigné à résidence était pour le moins intempestive et devait être postposée. C’est ce qu’ont réclamé quatre associations (les ASBL Fin du Nucléaire, Les Amis de la Terre et le Grappe, ainsi que la coopérative Rescoop Wallonie) lesquelles ont fait remarquer que l’initiative de l’ONDRAF pouvait être considérée comme un détournement de procédure et, en conséquence, ont réclamé une nouvelle consultation en période normale au cours de laquelle chaque citoyen(ne) pourrait obtenir une réponse aux questions qu’il ou qu’elle pourrait poser et se poser, tant sur les données juridiques que sur les données scientifiques du dossier.

Non seulement l’ONDRAF n’a pas donné suite à cette demande, mais le Parlement fédéral a cautionné ce refus en rejetant une proposition, pourtant très modérée, déposée par les députés écologistes qui demandaient un allongement du délai de consultation au-delà de la date du 13 juin. Cette demande était basée sur l’attitude adoptée par les Régions pour les autres enquêtes publiques. La bonne nouvelle, c’est la position adoptée par les trois Régions à l’encontre du projet de l’ONDRAF. Toutes ont déclaré qu’elles refusaient tout stockage géologique sur leur territoire. Un camouflet qu’il est agréable de signaler !

FEU DE FORÊT À TCHERNOBYL

En même temps, entre le 4 et le 26 avril, des incendies de forêt se sont déclarés sur les territoires contaminés proches de la centrale de Tchernobyl. Sur plusieurs centaines de km², ces incendies ont remis en suspension les substances radioactives accumulées au sol et dans le couvert végétal depuis 34 ans. La ville de Kiev, à une centaine de km de là a été atteinte par les retombées de césium 137 ; on y a mesuré une activité plus de 700 fois supérieure à la « normale ». Les données relatives au strontium 90 et aux transuraniens comme le plutonium et l’américium n’ont pas été communiquées.

Les incendies ont finalement pu être maîtrisés ; il n’en reste pas moins que l’évènement rappelle à tous ceux qui voudraient croire que la catastrophe de 1986 appartient définitivement au passé se trompent lourdement et nous trompent. La dangerosité du site de la centrale accidentée reste bien réelle, a fortiori quand on sait que des milliers d’assemblages de combustibles irradiés y sont présents et que le dérèglement climatique multiplie les risques majeurs d’incendie(1).

La contamination radioactive des forêts et des eaux est aussi une préoccupation importante au Japon, dans les régions proches de Fukushima. Pour obtenir l’attribution des Jeux olympiques prévus l’été dernier, le gouvernement japonais avait annoncé que la décontamination des sites évacués après l’accident majeur de mars 2011 serait terminée et que les conséquences de la catastrophe de mars 2011 seraient totalement maîtrisées. La communauté internationale a fait semblant de croire à cette fable largement démentie par les faits à ce jour.

Dans la forêt de Namie, à une vingtaine de km au Nord-Ouest de la centrale, dans la zone dite de « retour difficile » soumise à des restrictions d’accès, la radioactivité mesurée en août dernier y était plus de 50 fois supérieure aux niveaux relevés dans le centre-ville de Fukushima(2). Les rivières reçoivent en continu un apport de césium accumulé dans les forêts ; cet apport ne diminue que lentement si bien que la contamination des poissons d’eau douce reste importante et maintient impropres à la consommation certaines espèces carnivores.

LES EAUX POLLUÉES DE FUKUSHIMA

Une autre problématique, tout aussi préoccupante, est celle du devenir des immenses quantités d’eau utilisées pour refroidir le combustible fondu des réacteurs endommagés. Ces 1,23 millions de tonnes d’eau radioactive sont actuellement stockées dans de très grands réservoirs (plus de 1000) qui, selon l’exploitant TEPCO devraient arriver à saturation d’ici la mi-2022. Confrontés à ce qui apparaît de plus en plus clairement comme une impasse, TEPCO et le gouvernement japonais ont annoncé récemment, en pleine épidémie de Covid-19, une décision prochaine quant à l’option retenue pour « résoudre » un problème insoluble : déverser progressivement ces vastes quantités d’eau radioactive dans l’océan Pacifique.

Certes, cette option impliquerait selon ses promoteurs une filtration préalable pour retenir les éléments radioactifs les plus problématiques, mais il n’en reste pas moins qu’elle entraînerait une pollution radioactive non négligeable des écosystèmes marins et de la faune piscicole. La levée de boucliers des associations de consommateurs et des fédérations de pêche japonaises a provisoirement fait reculer le gouvernement. On attend une réaction politique au niveau international et notamment de la part de l’Union européenne pour dénoncer ce qui constitue clairement une violation du droit de l’environnement.

Parallèlement à ces évènements relatifs au nucléaire civil, on a eu droit le 21 septembre à une prise de position d’une exceptionnelle portée politique en ce qui concerne le nucléaire militaire. Cette prise de position consiste en une lettre ouverte de soutien au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) signée par 56 anciens présidents, premiers ministres, ministres des Affaires étrangères et ministres de la Défense de 20 États membres de l’OTAN ainsi que du Japon et de la Corée du Sud.

Je ne résiste pas au plaisir de faire déguster quelques passages succulents de ce message historique aux lecteurs de Kairos :

« Nous appelons nos dirigeants actuels à faire progresser le désarmement avant qu’il ne soit trop tard. Un premier pas évident serait de déclarer sans réserve que les armes nucléaires ne servent aucun objectif militaire ou stratégique légitime… En revendiquant le besoin d’être protégés par des armes nucléaires, nous encourageons une croyance dangereuse et erronée selon laquelle ces armes renforcent la sécurité… Il ne fait aucun doute qu’une nouvelle course aux armements nucléaires est en cours et qu’une course au désarmement est nécessaire de toute urgence.

Il est temps de mettre un terme définitif à l’ère de la dépendance aux armes nucléaires. En 2017, 122 pays ont pris une mesure courageuse, attendue depuis longtemps, dans cette direction en adoptant le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Ce Traité va bientôt devenir une législation internationale contraignante…

À ce jour, nos pays ont choisi de ne pas se joindre à cette majorité d’États pour soutenir ce Traité. Mais nos dirigeants devraient reconsidérer leur position. Nous ne pouvons plus nous permettre de tergiverser face à cette menace existentielle. Nous devons faire preuve de courage et d’audace et adhérer au Traité. Avec près de

14.000 armes nucléaires, réparties sur des dizaines de sites à travers le monde et dans des sous-marins qui patrouillent les océans en permanence, la capacité de destruction dépasse l’imagination. Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires jette les bases d’un monde plus sûr, libéré de cette ultime menace… Nous devons l’adopter dès maintenant »(3).

Parmi les 56 signataires de cette lettre ouverte, il y a l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon et deux anciens secrétaires généraux de l’OTAN, Javier Solana et Willy Claes. Outre Willy Claes, qui fut aussi ministre des Affaires étrangères de Belgique, il y a aussi trois autres personnalités de notre pays. : Eric Derycke, lui aussi ministre des Affaires étrangères, Yves Leterme et Guy Verhofstadt, tous deux anciens premiers ministres. Cette lettre ouverte est passée quasi totalement inaperçue, la presse belge jugeant sans doute qu’il s’agissait d’un évènement mineur.

Quelques semaines plus tard, le Honduras ratifiait le TIAN et en tant que 50ème pays à l’avoir fait permet ainsi au Traité d’entrer en vigueur le 22 janvier 2021 ! Cette information a fait l’objet d’un entrefilet dans la plupart des quotidiens belges mais n’a trouvé aucune place dans les informations télévisées… quasi entièrement accaparées par les bavardages anxiogènes des experts à propos du Covid-19 et les commentaires journalistiques sur les derniers chiffres de Sciensano !

Notes et références

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