Les pandémies ne sont jamais loin

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Hier Ebola, aujourd’hui Zika. Parmi les risques majeurs qui pourraient déclencher ou participer à un effondrement de civilisation, les pandémies ne sont pas des moindres. L’idée paraît pourtant saugrenue dans nos pays riches et industrialisés…

Et si la civilisation industrielle était avant tout celle qui a su contrôler les épidémies? Grâce à une médecine de pointe, à la découverte de vaccins et d’antibiotiques, ou à l’invention du tout-à‑l’égout, nous en avons fini avec la peste noire qui a décimé la population européenne au milieu du XIVe siècle ou la grippe espagnole de 1918.

Mais pour combien de temps ? Serait-il possible que nos pays subissent à nouveau des épidémies ou des pandémies (quand l’épidémie traverse des frontières)? Attention, nous parlons ici uniquement des maladies
transmissibles
, car chacun sait que la prévalence des maladies non-transmissibles, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires ou les effets des pollutions, est en pleine explosion dans les pays industrialisés(1).

Le rempart technologique

Si l’on regarde attentivement, à l’heure actuelle, tous les ingrédients d’une pandémie sont réunis : forte densité de population, chaînes d’approvisionnement rapides et globalisées, tourisme de masse, urbanisation galopante, perte de biodiversité (qui a un rôle tampon), apparition de nouvelles maladies (par exemple Ebola, hépatite C, SIDA), réchauffement climatique, etc.

Finalement, le seul rempart qui nous protège des pandémies est notre technologie, et en particulier la médecine d’urgence et les mesures d’hygiène (le traitement des eaux usées, par exemple). Une étude datant de 2010 a montré que les zones les plus sensibles au risque de manque d’eau potable sont les plus peuplées, c’est-à-dire la Chine, l’Inde, l’Est des Etats-Unis et l’Europe(2)! Bien entendu, les chercheurs précisent que le niveau technologique d’un pays réduit considérablement ce risque (ce qui exclut donc aujourd’hui des zones à risques les Etats-Unis et l’Europe). Mais si l’on tient compte de la fin des énergies fossiles et de la possibilité d’un effondrement, ce rempart pourrait très vite sauter et exposer nos pays à un risque très élevé de pandémie.

Une autre manière d’illustrer ce rempart technologique est d’imaginer ce que serait devenue la pandémie d’Ebola sans l’utilisation massive de combinaisons, de masques, de gants en plastique ou de seringues stériles ? Et si le système financier ou énergétique s’effondrait, de quels moyens disposerions-nous pour juguler les épidémies? Sans cash, il n’y a pas de réponse globale, rapide et coordonnée possible. C’était d’ailleurs l’une des principales leçons de la pandémie grippale H1N1 de 2009(3). Sans pétrole, comment pourrions-nous transporter les médecins, isoler les individus contaminés ou acheminer le matériel indispensable?

Quand l’épidémie cause l’effondrement

On a tous en tête des images des films de zombies ou des films catastrophe dans lesquels une pandémie sévère provoque des millions de morts et fait vaciller l’ordre mondial(4). En réalité, pour que ce genre de fléau déclenche un effondrement de civilisation, il n’y a pas besoin d’éliminer 99 % de la population humaine, seul un faible pourcentage peut suffire.

En effet, lorsqu’une société se complexifie, la spécialisation des tâches devient de plus en plus poussée, et fait émerger des fonctions clés dont la société ne peut plus se passer. Tel est par exemple le cas des transporteurs routiers qui approvisionnent le pays en carburant, de certains postes techniques de centrales nucléaires, ou des ingénieurs qui maintiennent des « hubs » informatiques, etc. Pour le physicien Yaneer Bar-Yam, spécialiste en science des systèmes,  «l’un des plus profonds résultats de la recherche sur les systèmes complexes, est de constater que lorsqu’un système devient hautement complexe,  les individus deviennent importants.(5)»

Selon Jon Lay, à la tête d’un plan global d’urgence d’Exxon Mobil qui simulait les effets d’un retour de la grippe de 1918, «si nous parvenons  à persuader les gens qu’il est sans danger de venir travailler, nous pensons que nous aurons environ 25 % d’absence(6)». Dans ce cas, si tout est mis en place pour préserver les postes importants, il n’y aura pas de conséquences graves. «Mais si nous avons 50 % d’absences, c’est une tout autre histoire». Et si aux malades s’ajoutent les personnes qui restent à la maison par peur de la contagion, les effets en cascade sur l’économie pourraient être catastrophiques, et d’autant plus que les mesures de quarantaine seront sévères. Au-delà de quelques jours, tout le système peut s’éteindre au risque de ne plus redémarrer correctement, voire plus du tout.

En 2006, des économistes ont simulé les effets qu’aurait la grippe de 1918 sur le monde d’aujourd’hui. Résultat: 142 millions de morts dans le monde, et une récession économique qui amputerait le PIB mondial de 12,6%(7). Dans ce scénario, le taux de mortalité était de 3% (des personnes infectées). Or, pour le virus H5N1 ou Ebola, ce taux peut dépasser 50 ou 60%…

Certains rétorqueront qu’au Moyen-Âge, la peste a décimé un tiers de la population européenne sans pour autant effacer de la carte la civilisation européenne. Certes, mais la situation était différente, les sociétés étaient beaucoup moins complexes qu’aujourd’hui. Non seulement les économies régionales étaient compartimentées, réduisant ainsi le risque de contagion, mais la population était constituée d’une majorité de paysans. Or, une diminution d’un tiers des paysans réduit la production agricole d’un tiers, mais ne fait pas disparaître des fonctions vitales à l’ensemble de la société, comme ce serait le cas aujourd’hui. Sans compter qu’à l’époque, les survivants pouvaient encore s’appuyer sur des écosystèmes non-pollués et diversifiés, de nouvelles terres arables potentielles, des forêts en abondance et un climat stable. Aujourd’hui, ces conditions ne sont plus réunies.

L’épidémie fait partie d’un effondrement

Avant la révolution industrielle (notre rempart technologique), l’Europe a essuyé de nombreuses catastrophes économiques et démographiques. Une étude publiée en 2011 a pu mettre en évidence la chaîne de causalité des catastrophes. Les étincelles ont toujours été des perturbations climatiques, qui dégénèrent en famine. C’est cette dernière qui a déclenché ensuite les troubles sociaux, les guerres et les épidémies, et qui au final a réduit la population(8).

Comprendre les pandémies et leur rôle dans les effondrements n’a pas pour objectif de faire peur, mais de nous rendre plus lucides sur les risques que nous encourons. Il s’agit aussi de prendre conscience de ce que nous cache le mythe si bien ancré (et si doux) du progrès. Il nous empêche de voir les choses en face, et donc de concevoir des politiques réalistes. Des politiques catastrophistes et éclairées.

Notes et références
  1. A. Ciccocella, « La vraie raison de la diminution de la durée de vie », Reporterre, 30 janvier 2016.
  2. C. J. Vörösmarty et al., « Global threats to human water security and river biodiversity », Nature, vol. 467, n°7315, 2010, pp. 555–561.
  3. Never again, The Economist, 21 mars 2015voir par exemple, World War Z (2013) de Marc Forster, ou Contagion (2011) de Steven Soderbergh.
  4. Voir par exemple, World War Z (2013) de Marc Forster, ou Contagion (2011) de Steven Soderbergh.
  5. Cité par D. MacKenzie, « Will a pandemic bring down civilisation? », Scientific American, n°2650, 5 avril 2008.
  6. Cité par D. MacKenzie, 2008. Op. Cit
  7. (7) Id.
  8. D.D. Zhang et al., « The causality analysis of climate change and large-scale human crisis », PNAS, 2011. Vol. 108, n°42, pp. 17296–17301.

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