Le mystérieux Constantin Mirabel est de retour

Kairos : Le 9 février, Le Figaro rapporte qu’« un grand écart idéologique à l’échelle mondiale se creuserait entre hommes et femmes ». Cette analyse émane d’une étude de son confrère The Financial Times.

Constantin Mirabel : Ce sujet est essentiel. Tout l’inverse d’une info sociétale secondaire. L’altérité sexuelle est le cœur de notre condition humaine. Elle est l’« altérité des altérités ». Nous venons tous d’un homme et d’une femme. Du rapport entre les sexes, on pourrait même dire qu’il détermine non seulement notre économie psychique, mais toute la société. C’est ce qu’étayent des travaux comme ceux, en France, de l’anthropologue Emmanuel Todd. Certes Cruella von der La Hyène & cie sont importants, mais l’essentiel se déroule dans nos foyers. Quand ils existent encore ! Le Portugal en est à plus de 95 % de divorces. Ce sont toutes les sociétés utilitaristes contemporaines qui cheminent vers cette atomisation. Le capitalisme libéral instituant la guerre de tous contre tous, il se conclut logiquement par la guerre ultime : celle des sexes. C’est ce à quoi nous assistons. Le mécanisme enclenché est celui d’une montée aux extrêmes.

Le quotidien du groupe Dassault relève que « les hommes auraient tendance à être plus conservateurs, alors que les femmes pencheraient davantage vers des convictions progressistes ». Comment l’expliquer ?

Il faut revenir à la dialectique des sexes. Jacques Lacan disait que la femme est le oui, tandis que l’homme est le non. Écartons tout de suite les imbéciles qui absolutiseront immédiatement son propos. Il s’agit, bien entendu, de la pente naturelle de chaque sexe. C’est bien la fonction du père que d’être le « tiers séparateur ». Le tiers séparateur, c’est celui qui sépare la mère de l’enfant. D’où sa fonction de sevrage, d’apprentissage de la frustration, de la limite, notamment de la loi. Une fonction difficile qu’il ne peut accomplir que soutenu par la mère et institué par la société. Tâche aujourd’hui quasiment impossible. Il est parfaitement logique que le capitalisme libéral s’emploie à délégitimer la fonction du père ; ce système veut des individus réduits à l’« âge du sein », c’est-à-dire des sujets exigeant de répondre instantanément à leurs pulsions et instincts, incapables d’accepter la frustration. De fait, ce sont des adultes malades, car on ne revient pas en enfance. Parallèlement, la part féminine est affranchie de son pendant masculin. Se croyant gagnante de la situation, elle en sera l’égale perdante. De la dialectique des sexes, le psychanalyste junguien Alain Valtério rappelait que c’est « quand ils se tournent le dos qu’il y a névrose » (Brèves de psy, 2016). Le capitalisme libéral pousse donc dans le sens de régression vers la mère archaïque, contrairement aux illusions des préœdipiens persuadés d’être encore sous l’emprise du patriarcaca. Jean-Claude Michéa relève le piège de « ces nouvelles formes d’emprise “matriarcales” – l’empire des mères, selon la célèbre formule de François Vigouroux – qui représentent aujourd’hui l’une des conditions essentielles de la reproduction psychologique et culturelle du capitalisme intégralement développé […]. “Dans certaines familles, écrivait ainsi Orwell en 1947, le père dira à son enfant : ‘Je vais te frotter les oreilles si tu recommences’, alors que la mère, les yeux pleins de larmes, prendra l’enfant dans ses bras et lui chuchotera tendrement : ‘Allons, mon chéri, est-ce que tu veux faire plaisir à ta maman ?’ Et qui irait soutenir que la seconde méthode est moins tyrannique que la première ? Ce qui est réellement déterminant, c’est moins la violence ou la non-violence que le fait d’aspirer ou non à exercer un pouvoir” (Lean, Tolstoy and the Fool). » (in Extension du domaine du capital, Albin Michel, 2023). Ailleurs, le philosophe explique que « La critique et la révolte ne peuvent être justes que si leur moteur principal n’est pas la haine ou le ressentiment, mais au contraire leur dépassement, c’est-à-dire la paix avec soi-même (ou sérénité). Et la condition préalable de cette dernière, c’est toujours d’avoir réglé la question du père » (Orwell anarchiste, Climats 2020). Il est tristement cocasse d’observer des individus récitant le catéchisme anthropologique du capitalisme libéral s’en présenter comme des résistants et des rebelles. D’où la montée en puissance actuelle, jusqu’à la prédominance, des hommes homosexuels dans nos gouvernements, car ils représentent des hommes tournés vers le féminin. Il est d’ailleurs étonnant de constater l’attrait chez des femmes d’hommes politiques enfantins comme Gabriel Attal aujourd’hui et Emmanuel Macron hier. En réaction, l’homme se met à revendiquer sa place. Il ne peut, bien entendu, le faire qu’en privé, ou dans l’anonymat d’un sondage. En public, pour accéder à l’autre sexe, il doit soit s’être laissé convaincre par la propagande actuelle, soit mentir. Dans les deux cas, il s’agira de se soumettre toujours davantage à la pente vers laquelle sombre l’ensemble de la société. C’est une spirale infernale caractéristique de la montée aux extrêmes.

Le chef du gouvernement français pose avec son caniche devant l’Hôtel Matignon le 5 février 2024.

Peut-on  changer la donne ?

Fondamentalement non. Le savoir n’est pas cumulable, et c’est en partie heureux. C’est même la condition de la condition humaine, autrement le monde serait fini. Pour retrouver davantage de raison, il faudra donc que ces hommes et ces femmes se brûlent au contact du réel. Pour le moment, ils en sont largement affranchis grâce au confort matériel procuré par la société moderne. Cela ne signifie pas qu’il faille abonner notre devoir d’expliquer. En attendant, en perdant progressivement le contact avec la nature, notre société engendre de plus en plus de mâles préœdipiens. « Préœdipien », c’est-à-dire que ces hommes au psychisme immature ont une image de la femme qui demeure celle de leur mère. Inconsciemment, ils y projettent le paradis intra-utérin perdu. Ils font de leur immaturité un discours politique : « Le patriarcaca est le mâle absolu » (C’est le même phénomène avec certaines femmes misandres qui transforment leur névrose en discours politique). Nous qualifierons ici ce discours de « néo-féminisme ». De fait, ce soi-disant féminisme dévoile sa matrice de misogynie, c’est-à-dire qu’il renvoie à une compréhension de la femme comme un être exempt du conflit entre les vices et les vertus. Elle est réduite à l’état d’un enfant. Enfant qui pourra laisser libre cours à sa toute-puissance. C’est bien sûr une illusion préœdipienne de croire que les femmes sont exemptes des mécanismes du capitalisme. Nos mécanismes archaïques veulent qu’elles sélectionnent les hommes qui leur offrent le maximum de chances dans la reproduction.

« Le mouvement #MeToo a été le principal déclencheur, donnant naissance à des valeurs radicalement féministes parmi les jeunes femmes », explique le Financial Time dans l’article originel. Faut-il donner ce pouvoir à Twitter ?

C’est toute la société qui a basculé, « évolué » diront les ravis de la crèche. Aliénés à la propagande qui les a produits, les nouvelles générations de techno-zombies rivés à leurs écrans prétendent néanmoins éclairer les générations précédentes. C’est une des bases de la psychologie que de mesurer le degré d’aliénation à l’illusion de liberté. Les positions tenues par la majeure partie de la gauche ou les communistes voici moins d’un demi-siècle sur les questions de mœurs ne sont aujourd’hui plus tenables, même par l’extrême droite. Cette dernière en arrive à être pour l’inscription de l’avortement dans la constitution, ce qui est proprement aberrant. Que l’on soit pour ou contre, le rôle d’une constitution est de garantir les libertés, pas de criminaliser des opinions légitimes. Entendons-nous bien, je pense que certaines transgressions sont aussi importantes que les normes. Il y a même une dialectique fondamentale entre la norme et la transgression. Mais la caractéristique de notre dérive est de normaliser la transgression. C’est le fameux « Je suis Charlie ». Si des journaux pour ados rebelles et boutonneux sont légitimes, ils ne peuvent constituer la norme sociale. Et la normalisation de la transgression aboutit paradoxalement à son refus ; on ne tolère alors plus ce qui est différent. L’expression en est que toute personne prenant du recul sur la production, la culture et les mœurs du capitalisme libéral se retrouve propulsé dans un champ qui relève quasiment du délictuel.

Par exemple ?

En matière de mœurs, de culture comme d’économie, le capitalisme n’avance évidemment pas de façon dévoilée. Il fait constamment de vice vertu. Ainsi, il commence par récupérer et endoctriner ceux qui se pensent et se présentent comme ses réfractaires. Le cas le plus flagrant est celui la techno-marchandisation de la reproduction. Il est sidérant d’observer toute une partie de la gogôche, soi-disant anticapitaliste et féministe, se muer en militants exaltés des laboratoires et des marchands de ventre de femmes. Elle le fera en agitant des sentiments et des détresses qui sont compréhensibles, mais qui, absolutisés, dérivent vers le triomphe des émotions, processus qui dégénère vite en barbarie. Il en va ainsi pour toutes une partie « conquêtes sociétales » du demi-siècle passé :

  • le divorce, qui engage l’atomisation de la société produite par le capitalisme libéral. Légitimement plus sujette à ses émotions, la femme y sera encouragée. Il est bien entendu présenté comme une libération de l’emprise masculine. Nous sommes passés d’individus élevés dans le respect de la parole donnée, jurant fidélité « pour le meilleur et pour le pire » et considérant le parjure comme un crime majeur à « Si tu perds tes cheveux, je te quitte ». Construire une famille sous l’emprise de cette propagande relève de la gageure. Résultat, l’amour se dissout au profit d’une liberté obèse qui finit par se nier elle-même.
  • Le pacs recouvre la contractualisation du mariage. Ce dernier est un engagement moral devant la communauté. Il est substitué par un contrat répudiable à tout instant. Le nombre de pacs a d’ailleurs dépassé celui des mariages en cette décennie 2020. Nouveau signe des temps. Plus largement, dans la société de consommation on consomme des objets pour ensuite se consommer les uns les autres et finir par se consommer soi. Le philosophe Günther Anders (1902–1992) appuyait que « le rythme croissant de la consommation ruine l’institution du mariage ».
  • Le « Mariage pour tous » constitue un point-clé. Derrière les discours anti-homophobes ingurgités et régurgités par des gogos endoctrinés qui y trouve leur dernier faire-valoir social, il signe le déni de l’altérité sexuelle : un couple potentiellement fécond est mis à égalité avec un autre de « mêmes » par nature stérile.
  • L’euthanasie, l’avortement, la vasectomie, la crémation, le transsexualisme… signent la toute la puissance d’un nihilisme qui donne à penser que nous sommes maîtres et possesseur de nos existences. Aucune transcendance ne vient s’y opposer.

« Je me suis engagé à rendre irréversible la liberté des femmes de recourir à l’IVG en l’inscrivant dans la Constitution », a communiqué Emmanuel Macron le 28 février dernier.  Votre réaction? 

Le mot « irréversible », répété par le président de République française, est symptomatique ; comme si une instance transcendante s’imposait ici à la démocratie. Pourtant, par nature, rien n’est irréversible dans une démocratie conséquente. Le peuple doit, ou devrait être, souverain. Mais pour les libéraux rien ne doit arrêter la grande marche du Progrès. Et ils sont à l’œuvre pour rendre inconstitutionnel, donc criminaliser, tout ce qui déroge à leur religion fondamentaliste. Demain, c’est le Macronisme, ou assimilés, lui-même qu’ils voudront rendre irréversible. On y est presque, d’ailleurs. Cependant, on pense très différemment dans une société où l’énergie est abondante et bon marché. Demain, dans la pénurie, de nombreux « acquis » déclarés « irréversibles » voleront en éclat dans un rapport au monde qui aura été bouleversé. 

Peut-on espérer un retour de balancier pour retrouver un peu d’équilibre ?

Oui, mais sans doute de façon marginale. Toute société va d’abord au bout de son processus d’autodestruction avant de renaître.

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