Le leurre de la diversité médiatique

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Les divers titres et chaînes donneraient à eux seuls la preuve de la diversité médiatique, sans qu’il faille pousser la réflexion plus loin : « s’il y en a beaucoup, c’est que c’est différent ». CQFD ? Pour ces mêmes médias, la réponse va de soi. Mais pour les politiques ? Aussi. Analyser la présence
médiatique lors des conférences de presse suivant les Conseils nationaux de sécurité révèle pourtant une toute autre réalité : les divers « marques » médias(1) appartiennent à une petite poignée de groupes de presse qui, tous, propagent une seule et même idéologie. Bienvenue dans le règne de la pensée unique, qui ne présage aucun « monde d’après » si on ne met pas
sur pied un contrôle démocratique de l’information.

Entre mars et juin, la liste que nous a remise le gouvernement dans le cadre de notre procès pour entrave à la liberté de la presse (celui-ci refusant notre présence depuis plus de 7 mois), montre que 16 « grands médias » sont présents lors des conférences de presse qui font suite au Conseil national de sécurité. Il s’agit de La Libre, La DH, LN 24, Belga, VTM, RTBF, VRT, Le Soir,
Sudpresse, De Standaard, Knack, Het Nieuwsblad, RTL, L’Avenir, L’Echo, Kanaal Z/Canal Z.

16 MÉDIAS DIFFÉRENTS, ISSUS DE 5 GROUPES DE PRESSE

En établissant la propriété de ces différents médias, la diversité s’érode déjà fortement, puisqu’on passe de 16 à 5 :

  1. La Libre et La DH appartiennent au même groupe : IPM(2), ce qui explique que lors des conférences de presse, un même journaliste représentait parfois les deux médias.(3)
  2. Le groupe Rossel est , notamment, propriétaire de Sudpresse, Le Soir, Belga.(4)
  3. Le groupe Roularta possède Kanaal Z/Canal Z, Knack, VTM. Par ailleurs, ce groupe se partage à part égale avec Rossel (50% chacun) la propriété de Mediafin, et est également détenteur du Vif/L’Express.(5)
  4. L’avenir, un peu « à part » puisque les principaux actionnaires sont la province de Liège et 74 communes wallonnes (plus une flamande et une bruxelloise), appartient au groupe Nethys, bien connu en Belgique pour ses scandales.(6)
  5. Le Groupe Mediahuis (Corelio) est propriétaire de Het Nieuwsblad, De Standaard (mais aussi de Het Belang Van Limburg notamment) et a des participatons dans de nombreuses entreprises.(7)

Les Groupes IPM, Rossel, Roularta, Nethys et Mediahuis (Corelio) possèdent donc ensemble 13 des médias: La Libre, RTL, La DH (IPM) ; Belga, Le Soir, Sudpresse, L’Écho (Rossel) ; VTM, Knack, Kanaal Z/Canal Z (Roularta) ; De Standaard, Het Nieuwsblad (Mediahuis) ; L’Avenir (Nethys), qui étaient présents lors de la plupart des conférences de presse faisant suite aux conseils nationaux de sécurité.

RTL Belgium, propriété d’IPM, est au cœur de participations croisées et est également indirectement liée à Rossel…, comme Belga est liée à IPM, actionnaire à hauteur de 16% de l’agence et à RTL, via Audiopresse. L’agence Belga qui, présente à chaque conférence de presse suivant le CNS, n’est pas un média à proprement parlé, mais fournit en images et textes les autres médias, et compte parmi ses clients les gouvernements(8).

LES PARTICIPATIONS CROISÉES ET LES MULTIPLES SIÈGES DANS LES CA

Les graphiques laissent à eux seuls voir les jeux de participations croisées des différents médias, dont l’un possède l’autre via une structure intermédiaire qui elle-même est la propriété des différents groupes. Les administrateurs eux-mêmes siègent dans les conseils d’administration des autres groupes ou organisations qui y sont liés. Dans le Conseil d’administration de RTL, on retrouve par exemple Bernard Marchant (CEO de Rossel) et Patrice Le Hodey (propriétaire, avec la famille Le Hodey, du groupe IPM) ; au CA de Belga, on retrouve Philippe Delusinne (administrateur délégué de RTL), Bernard Marchant (Rossel), François Le Hodey (IPM) ; dans le groupe Mediahuis, on retrouve Thomas Leysen (IPM) en tant que président du CA, Bruno de Cartier d’Yves (L’Avenir, RTL, Audiopresse). Etc.

RTBF ET LN24

Demeurent trois médias qui n’appartiennent à aucun groupe de presse(9).

- LN24, lancée le 2 septembre 2019 à 20h00 en direct du Parlement de Bruxelles-Capitale. Après à peine un an d’existence le gouvernement considère déjà la chaîne comme « un grand acteur du paysage médiatique belge ». Peut-être parce que ses co-fondateurs, Joan Condijts et Martin Buxant, ont de bons contacts : le premier est l’ancien rédacteur en chef de L’Écho ; le second est passé par La Libre, ami de l’ancien rédacteur en chef Francis Van de Woestyne, chroniqueur à L’Écho, journaliste pour la matinale de Bel-RTL, en 2014 dans une émission politique de RTL, journaliste au Morgen. L’homme a des relations.

Le coronavirus aura permis à LN24 d’augmenter considérablement son audience(10), ayant été par ailleurs accueilli à toutes les conférences de presse suivant les CNS (contrairement à la RTBF ou la VRT notamment). Pas beaucoup d’informations sur la société LN24 sur le site du CSA(11). Sur Wikipedia, on trouve que cette dernière a comme partenaires Belfius, Ice-Patrimonials (la société d’investissement de Jean-Pierre Lutgen, le frère de l’autre, qui possède Ice Watch), Besix et Giles Daoust (administrateur délégué de Daoust et Title Media) qui ensemble mettront 4,2 millions € dans le capital de départ ; le reste sera complété à parts égales par les trois fondateurs (dont le dernier s’est retiré) depuis : Joan Condijts, Martin Buxant et Boris Portnoy(12).

- RTBF : on sait les conflits d’intérêt qui traversent la chaîne publique, dont le CA est constitué par les représentants des principaux partis politiques du paysage francophone : MR, PS, Ecolo, cdH…, le PTB faisant exception avec ses deux membres. L’administrateur général, Jean-Paul Philippot, a des amis bien placés et le bras long(13), lui dont avait été révélé le salaire, supérieur depuis 2014 à celui fixé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. La « lanceuse d’alerte » a depuis été renvoyée, la décision ayant été actée par le CA(14). Le dossier serait toutefois bien plus lourd et les actes reprochés au patron nombreux. Silence pourtant depuis : le licenciement sonnera comme un avertissement pour ceux qui pourraient à l’avenir nourrir de telles velléités…

Par ailleurs, la Régie des Médias Belges, deuxième régie publicitaire au Sud du pays, détenue à 99,98% par la RTBF(15), commercialise les principaux espaces publicitaires, des chaînes TV, radio et des sites internet liés aux médias. Parmi ceux-ci : La Une, La Trois, LN24, AB3, NRJ, Be Tv, RTBF Auvio, RTBF.be, La Première.be, Vivacité, Classic 21, Musiq 3, RTBF.be, Cinebel… Cela crée inévitablement des liens avec ceux qui en sont les propriétaires, j’ai nommé les groupes décrits plus haut.

ET L’AJP DANS TOUT CELA ?

L’Association des Journalistes Professionnels, censée défendre les journalistes, que fait-elle, mais surtout, qui représente-elle ? Il est intéressant d’aller voir les membres qui composent son Conseil de direction : son président représente Belga, sa vice-présidente Le Soir, son secrétaire la RTBF, le Trésorier L’Avenir, les autres sont issus de la RTBF (3), L’Avenir (1), Belga (1), Persgroep (1) No Tele (1), BRF (1), RTC Télé Liège (1), RTL (1), ou sont indépendants (6)… mais dépendent des médias mainstream pour leur rémunération.

Ceux censés nous représenter et nous défendre sont donc majoritairement issus du monde des médias dominants, ceux-là mêmes que les services de presse gouvernementaux nomment « les grands acteurs médiatiques du paysage belge », dont certains qualifient toutes voix dissidentes de « complotistes »(16)… Ce qualifiicatif de « grand » ne sert-il tout simplement pas à occulter le processus de cooptation qui permet à un média de devenir grand, qui une fois qualifié ainsi bénéficiera de certaines prérogatives qui ne le pousseront pas à mordre la main du maître. Une fois entré dans le cercle, on ne crache pas dans la soupe et on ne critique pas celui qui vous a fait entrer. Dans nos sociétés, « grand média » signifie « média du pouvoir ».

« GRANDS MÉDIAS » ET « GRANDES » FAMILLES

De Persgroep, possède 50% de Mediafin, 50% de Medialaan, 100% de De Persgroep Publishing SA. Mediafin SA qui édite De Belegger, De Tijd, L’Echo, L’Investisseur, et lecho.be fait partie du Groupe Roularta. Medialaan SA qui édite Anne, Joe FM, KADET, Q‑Music, Q2, Q2 HD, Vitaliteit, Vitaya, VTM, VTM HD, VTM Kids, VTM Kids Jr., et VTM KZoom fait partie du Groupe Roularta De Persgroep Publishing SA possède 7sur7.be, De Morgen et Het Laatste Nieuws. De persgroep est la propriété de la famille Van Thillo, 15ème fortune belge, avec € 1.629.240.000. Lorsque l’affaire KB Lux a pris fin en 1996, Herman Van Thillo sera identifié par le tribunal comme l’un de ses plus importants clients privés.

De Persgroep, c’est donc un peu Roularta, via Mediafin et Medialaan. Mais Roularta c’est aussi un peu De Persgroep, les deux étant les principaux actionnaires de la chaîne commerciale VTM. Roularta, qui appartient à la Famille Clayes (327ème fortune belge) et De Nolf (112ème fortune belge),

Le Groupe Rossel possède 50% de Mediafin, lequel est donc la propriété à parts égales de De Persgroep et de Rossel. Le Tijd et L’Écho par exemple, c’est donc Rossel mais aussi un peu Roularta. Rossel, c’est aussi Club RTL, RTL Belgium SA, Plug RTL, RTL.be/videos, RTL Belgium SA, RTL à l’infini, RTL Belgium SA, radio contact, radio mint, Cobelfra(17), 7 Dimanche, Les Éditions urbaines SA, De Belegger, Sud Presse (La Capitale, La Meuse, La Nouvelle Gazette, La Province, Nord Eclair, et Sudpresse.be), Les Éditions du Hainaut SA (Les différentes éditions du Vlan. Le groupe Rossel appartient à la famille Hurbain. 136ème fortune belge avec € 169 471 000(18).

Le groupe Mediahuis (ancien Corelio) (De Standaard, Het Nieuwsblad, Nostalgie…) possède avec d’autres groupes, un peu de Belga, un peu de RTL qui, dans un montage digne des entreprises du Bel20 ou du Cac40, rachète, acquière, reprend, en gros : concentre. Mediahuis Partner SA, propriété de Thomas Leysen (373ème fortune belge), possède 50,6% de Mediahuis ; Concentra, qui en détient 32,7% fait partie du groupe Mediahuis.

Reste IPM, détenu entièrement par la famille Le Hodey (438ème fortune belge).

On ne s’étonnera dès lors guère de la façon dont cet été La Libre et Paris Match (IPM), ainsi que Le Soir (Rossel), ont fait l’éloge de l’ancienne Première ministre(19). On vend des politiques comme on vend un produit.

Alexandre Penasse

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