LE DÉBAT ? OUI ! (MAIS PAS AVEC DES CONTRADICTEURS)

Fin 2018, une conférence-débat avec Michel Collon aurait dû avoir lieu à Namur, dans le cadre des « Conférences du samedi ». Elle a été annulée suite à des pressions sur les organisateurs. Même chose fin 2019, dans la même ville, tandis que l’asbl Carrefour des Cultures tentait d’organiser un débat avec Jean Bricmont, Michel Collon et des représentants des médias classiques ; le désistement de ces représentants avait ôté son sens à l’événement. Pour les initiateurs de ces débats, ce n’est que partie remise. Mais ils ont du mal à convaincre leurs partenaires (dans le premier cas(1)) et les acteurs médiatiques classiques (dans le second).

Exemple des pressions évoquées, un mail adressé à l’un des partenaires des organisateurs (une librairie) disait notamment : « Je vais détruire votre image commerciale ». À quoi s’ajoutent les dénigrements habituels des conférenciers prévus, comme « complotiste », « ami des dictateurs », etc.(2)

On trouve là deux des principaux reproches lancés d’habitude aux chercheurs et militants dont il s’agit, pour justifier la tentative de les exclure du débat de société. On y ajoute en général l’accusation d’antisémitisme. Examinons ces reproches.

PARODIE DE CRITIQUE

L’accusation d’antisémitisme est particulièrement ridicule, car elle ne se base que sur les fortes critiques de ces chercheurs et militants à l’égard du pouvoir israélien, par rapport à ses politiques révoltantes à l’égard des Palestiniens. Or, une série de personnalités issues de familles de culture hébraïque sont ou furent tout aussi radicales dans leurs critiques de ce pouvoir : Noam Chomsky, Shlomo Sand, Michel Warschawski, Stéphane Hessel, Emmanuel Todd, etc.

Ce n’est pas lors de conférences publiques que les dirigeants des USA ont décidé de renverser ou assassiner Allende, Lumumba, Arbenz, Mossadegh…

Le reproche de complotisme est absurde par nature, car l’histoire et l’actualité offrent de nombreux exemples de complots bien réels. Pour prendre les USA (mais on aurait pu choisir beaucoup d’autres puissances) : ce n’est pas lors de conférences publiques que les dirigeants de ce pays ont décidé de déstabiliser un gouvernement socialiste démocratiquement élu, au Nicaragua, en finançant des groupes paramilitaires (pratiquant intensivement meurtres et tortures)(3), ou décidé de renverser ou assassiner les progressistes et démocrates Allende(4), Lumumba (avec la Belgique)(5), Arben(6), Mossadegh (avec le Royaume-Uni)(7), etc.

La 3e accusation (défense de gouvernements problématiques) est la seule qui peut parfois se justifier. Mais, outre le fait que cela ne légitime aucune exclusion des débats, il faut mettre deux très gros bémols à cette critique. Un : ses auteurs ignorent en général superbement ce qui peut fonder, en partie, les défenses des gouvernements en question. Car si, d’un côté, ces gouvernements nuisent souvent à leurs peuples (corruption, répression…) et utilisent fréquemment l’impérialisme occidental comme moyen d’autolégitimation, d’un autre côté, ils sont également souvent des instruments par lesquels les peuples en question tentent de garder le contrôle sur leurs ressources, d’assurer une justice sociale, etc. Les situations sont complexes, et il est souvent difficile de juger dans quelle mesure on est dans les premiers cas, dans quelle mesure dans les seconds.

Or, en général, au lieu de prendre en compte cette complexité, les médias dominants se limitent à dénoncer les premiers types de situations (corruption, répression…), en passant sous silence la seconde dimension évoquée, la résistance à l’impérialisme. Pire : cet impérialisme est lui aussi très souvent ignoré par ces médias, voire déguisé en interventions humanitaires. C’est par exemple flagrant par rapport au Vénézuela(8) et à la Syrie(9) (cette critique ne s’adresse pas à tous les journalistes des médias classiques. Sur la Syrie par exemple, quelqu’un comme François Janne d’Othée a fait un très bon travail).

Second gros bémol au reproche en question : puisque les médias classiques inondent déjà le public occidental de critiques unilatérales des pouvoirs évoqués, J. Bricmont et M. Collon ont choisi de se centrer sur les informations manquantes. Choix aussi défendable qu’inconfortable, vu toutes les exclusions et diffamations qui en résultent. Les membres de nos « élites » qui opèrent ces diffamations, par contre, sont dans la situation confortable de ceux qui nagent avec le courant.

BHL ET MBN : OUI. BRICMONT, CHOMSKY , COLLON : NON

Dans ce sens, il est intéressant de voir que, dans la même ville de Namur, en 2016, une conférence de Bernard-Henri Levy n’a, elle, pas été annulée. Or, il s’agit là de quelqu’un qui a souvent défendu des politiques criminelles(10). Le propos n’est pas du tout ici de contester le droit d’expression de qui que ce soit ; au contraire, il serait très intéressant que de telles personnalités osent participer à des débats avec de vrais contradicteurs, comme M. Collon ou J. Bricmont.

Ces faits rappellent aussi un autre événement, qui aurait dû provoquer une indignation immense. En 2016 également, Noam Chomsky devait recevoir une distinction scientifique devant le parlement national français. Mais le groupe socialiste a empêché l’événement(11). Rappelons que Chosmsky (qui a justement collaboré avec Bricmont) est un grand intellectuel et humaniste militant pour la justice internationale – raison de l’opposition des « socialistes » français. En effet, ceux-ci sont trop compromis dans les géopolitiques criminelles, ce qui ressort par exemple de la remise, la même année, par ces mêmes « socialistes », de la légion d’honneur au prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Nayed(12)

Les auteurs des pressions évoquées et les journalistes qui ont refusé le débat devraient se poser cette question : veulent-ils ou non faire partie des valets du système ? De ce système qui a tendance à préférer trafiquer avec des pouvoirs comme celui des Saoudiens plutôt que de rendre hommage à des gens comme Chomsky ?

Daniel Zink

Notes et références
  1. Une alternative à l’événement annulé fin 2018 n’a toujours pas pu être organisée.
  2. Informations données par l’initiateur du 1er débat évoqué, qui a pu lui-même lire les mails concernés.
  3. «Comment la Cour de La Haye a condamné les Etats-Unis pour leurs actions en Amérique centrale», monde-diplomatique.fr
  4. «Putsch — Les sept gouvernements (officiellement) renversés par les Etats-Unis», lemonde.fr
  5. Ibid.
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. «Vénézuela, les répétitions font la vérité», Kairos n°37.
  9. «Syrie : quelles responsabilités de nos gouvernements ?», Kairos n°34.
  10. Voir p. ex. https://www.monde-diplomatique.fr/document/bhlnicaragua – qui montre justement que BHL était du côté des USA et des paramilitaires évoqués plus haut, au Nicaragua.
  11. «Noam Chomsky a obtenu l’asile au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris», lalibre.be – comme cela ressort du titre, l’article évoque aussi un fait bien plus réjouissant, à l’égard de la Belgique, que ceux traités ici.
  12. «La France décore le prince héritier d’Arabie Saoudite», lemonde.fr

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