LE CRIME DU CHOLÉRA EN HAÏTI

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Il y a 10 ans, le 12 janvier 2010, un séisme dévastateur et meurtrier frappait Haïti. Une tragédie qui coûta la vie à près de 300.000 personnes. À la suite de cette catastrophe naturelle, l’aide internationale afflua et l’occupation militaire s’intensifia, avec pour prétexte de stabiliser le pays.

Ce pays des Antilles est souvent présenté comme le pays le plus pauvre des Amériques alors qu’il s’agit surtout d’un pays appauvri. Les références à l’esprit des Occidentaux se résument souvent aux ONG et à l’aide humanitaire apportée à un pays dit chaotique. Un chaos savamment orchestré par les pays occidentaux : les colonisateurs d’Europe puis leurs amis d’Amérique du Nord. Comme le rappelait le cinéaste Raoul Peck au journal Le Monde en 2016 suite à l’ouragan Matthew, une nouvelle catastrophe qui frappait le pays : « Nous payons également une ingérence étrangère qui n’a jamais cessé depuis la fondation même de cette République rebelle ». Pays appauvri par les dettes coloniales, les occupations étrangères, les injonctions du FMI et autres prédateurs, Haïti se révèle extrêmement vulnérable face à la pandémie du Covid-19.

PAYS APPAUVRI ET INGÉRENCES EXTÉRIEURES

Première république noire, pays rebelle pour avoir osé résister à l’empire français, l’histoire d’Haïti est rythmée par les ingérences et les crises politiques. Les infrastructures sanitaires défaillantes sont inadéquates à un point tel que seuls une centaine de lits sont actuellement disponibles pour les soins intensifs sur une population de 11 millions de personnes. Cette pandémie met en danger une fois de plus une grande partie de la population et rappelle l’épidémie de choléra apportée en 2010 par des troupes de l’ONU.

À l’occasion de la commémoration des 10 ans du séisme, le REHMONCO, Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti, écrivait en janvier 2020 : « Ce désastre n’est pas uniquement le résultat d’un phénomène naturel, mais bien, surtout, le produit d’un système social archaïque, sous-développé, dont tous les éléments constituant sa structure concourent à reproduire la misère, l’appauvrissement, l’exclusion, la marginalisation et l’oppression. » Le séisme de 2010 fut l’occasion pour les élites économiques et politiques d’approfondir la thérapie néolibérale comme le détaille très bien Naomi Klein dans son livre La stratégie du choc. Pourtant, le terme de catastrophe naturelle est à nuancer, comme nous pouvons tristement le remarquer ces dernières semaines avec la pandémie du Covid-19, les États et surtout leurs populations sont bien démunies après des décennies d’affaiblissement des services publics au Sud et plus récemment dans les pays du Nord. « Ce n’est pas le séisme qui a fait la catastrophe en Haïti, mais les bidonvilles et la pauvreté, l’absence d’infrastructures et de services sociaux. La catastrophe avait déjà eu lieu. Elle avait un nom : le néolibéralisme » faisait remarquer Frédéric Thomas dans L’Humanité du 13 janvier 2020.

LE CHOLÉRA, APPORTÉ PAR UNE MISSION DE LA PAIX…

Si les images les plus véhiculées concernant Haïti sont la splendeur de cette île des Antilles et la pauvreté qui étouffe une grande partie de ses habitants, peu d’occidentaux ont entendu parler du choléra. Et pourtant, des soldats de la force onusienne sont responsables de l’introduction du Vibrio cholerae en Haïti. Les missions de l’ONU n’ont rien fait pour combattre le choléra, tandis que l’argent disponible pour la maladie, ne permettrait d’accompagner qu’environ 10% de la population infectée. À partir de son apparition en octobre 2010, la maladie du choléra a fait plus de 10.000 morts et de 800.000 personnes infectées. C’est finalement en mai 2014 qu’est créé un Comité de haut niveau pour l’élimination du choléra par l’ONU via son secrétaire général. Et ce n’est qu’en 2016 que le bureau du secrétaire général reconnaissait enfin avoir un rôle dans l’épidémie du choléra. Cette déclaration faisait suite à un rapport de Phillip Alstom, professeur de droit à l’université de New York, rapporteur spécial avec une douzaine d’autres experts sur les questions de droits de l’homme, il affirmait que le refus de l’ONU de reconnaître sa responsabilité et réparer les victimes illustre un double standard de l’organisation.

VOUS AVEZ DIT « AIDE » ?

Au livre de Ricardo Seitenfus, auteur de plusieurs ouvrages sur cette période en Haïti et sur le choléra et notamment L’échec de l’aide internationale à Haïti. Dilemmes et égarements, Ricardson Dorce, écrivain haïtien, répliquait : « Tout compte fait, l’aide internationale en Haïti est-elle vraiment un échec ? En quoi consistent les vrais objectifs de l’aide internationale ? L’aide n’est-elle pas conçue même comme obstacle au développement des pays appauvris ? Peut-on vraiment orienter l’aide internationale vers l’investissement productif ? Est-ce que le plan de la communauté dite internationale – en complicité avec les organisations non gouvernementales transnationales et les différentes élites du pays – n’a pas toujours été de maintenir le pays dans sa situation de misère et de dépendance extrême à travers l’aide ? Qui profite de cette crise chronique et persistante à laquelle fait face le pays ? ». Un exemple parmi d’autres, à propos de l’argent envoyé vers Haïti en 2010, seul 0,6% de l’argent est allé vers les institutions ou entreprises haïtiennes et l’État haïtien a directement géré moins de 1% des fonds. La quasi-totalité de l’aide est allée vers les organisations internationales des pays donateurs, elle a servi à payer les frais de gestion, les intermédiaires et personnels étrangers.

À de nombreuses occasions, organisations populaires et mouvements sociaux ont demandé à l’ONU le retrait total des troupes d’occupation de la MINUSTAH, la fermeture de la Mission et la réparation des dommages et des crimes commis. La présence de la MINUSTAH, au contraire de ce que semble être une mission de la paix de l’ONU, a signifié un affront terrible pour la dignité et la capacité du peuple haïtien, pour l’exercice de sa souveraineté et le respect de ses droits. Sans parler des femmes, des jeunes, filles et garçons qui ont subi des abus, des violations et l’exploitation sexuelle de la part de troupes toujours impunies, envoyées soi-disant pour accomplir une mission d’appui et de stabilisation du pays. Le processus électoral qui a abouti à installer le très impopulaire Jovenel Moise à la présidence s’est déroulé malgré tout au début de l’année 2017 avec la participation de moins de 21% de l’électorat. Malgré des résultats controversés et les dénonciations d’une grande quantité de candidats pour leurs relations avec diverses activités criminelles. Une Mission dite de paix alors qu’il n’y avait pas de guerre. Trop impopulaire la MINUSTAH était remplacée fin 2017 par la MINUJUST… L’ONU, le Conseil de Sécurité, les pays qui contribuent à son budget et qui contribuent aux troupes, ont pourtant l’obligation de réparer les crimes et les violations des droits humains commis, en y incluant la mise en place d’un système pour obtenir l’accès universel à l’eau potable.

En s’intéressant à l’histoire du pays, le contexte géopolitique, économique et social on remarque rapidement les causes externes de l’appauvrissement d’un pays, présenté comme pauvre, avec une image redondante dans la plupart des médias comme étant peu chanceux voire même fautif de par l’inaction ou la mauvaise gestion. Raoul Peck, qui répondait au journaliste du monde à la question de la malédiction qui toucherait l’île, « comme le proclamait un pasteur américain en 2010 », formulait ainsi sa réplique: « Ce cliché de “pays maudit” est un signe de paresse intellectuelle, c’est une manière rapide et pratique d’occulter la vraie histoire de ce pays, les sources bien réelles de sa situation actuelle, ainsi que la responsabilité des uns et des autres dans cette histoire. Il n’y a rien de maudit dans tout cela. Il y a l’histoire tout simplement, avec toutes ses contradictions. L’aide qu’on apporte à Haïti depuis des décennies est contradictoire, aléatoire et paternaliste. »

Robin Delobel

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