LA RÉSISTANCE À LA PUBLICITÉ S’ORGANISE

Illustré par :

Kairos 43

Malgré l’accumulation de preuves des effets dévastateurs de la surconsommation dans nos sociétés d’abondance, la majorité de nos contemporains continuent à se goinfrer sans retenue. Les bilans de fin 2019 sont effrayants : année record de vols en avion (35 millions en Belgique) ; ventes maximales de voitures (550.000, et surtout de lourds SUV). Ceux qui tentent de repousser la catastrophe réalisent que derrière ces comportements irrationnels, il y a l’influence néfaste de la publicité. Ils se mobilisent donc pour lutter contre son omniprésence.

INTERDIRE LA PUBLICITÉ POUR LES VOITURES

Le mois de janvier celui du salon de l’auto et dès le début décembre la Febiac (fédération belge de l’automobile et du cycle) a lancé sa campagne promotionnelle. Des avalanches de publicités pro-bagnoles saturent les médias. Mais la résistance s’organise et une coalition d’associations et de mouvements citoyens actifs dénonce ce matraquage. Leur objectif ? Faire comprendre que « L’objectif de cette campagne de promotion est de générer le désir d’achat d’un des “produits phares des constructeurs automobiles, c’est-à-dire ceux qui leur assurent les marges bénéficiaires les plus confortables. Ce désir d’achat est alimenté à dessein par des plus-values symboliques attribuées aux véhicules et notamment aux véhicules les plus tendance du moment, les SUV. Ils promeuvent virilité, puissance, liberté et protection face aux “dangers extérieurs” »(1).

Le collectif a transmis ses revendications aux « autorités compétentes » : « Au mieux supprimer toute publicité pour les voitures ; si une progressivité s’avère nécessaire, interdire toute publicité pour les véhicules à moteur à combustion interne émettant plus de 95g/ CO2/km et pour tout véhicule dont le poids, la puissance et la vitesse sont excessifs et dont la forme de la face avant est dangereuse pour les autres . (…). L’objectif ultime est que des normes de mise sur le marché soient édictées pour les véhicules “déraisonnables” afin qu’ils ne soient plus produits. »

Cette action ridiculise les visuels publicitaires de voiture de rêve dans des décors de rêve, loin de la triste réalité des embouteillages quotidiens. Ce qui est réjouissant est qu’elle est portée par une coalition unissant des organisations de divers secteurs peu habituées à agir de concert : GRACQ (cyclistes quotidiens), Bruxsel’Air, Inter-Environnement Wallonie, BRAL, Fietsersbond, Extinction Rebellion, Welkom op de Kleine Ring, Réseau ADES, Critical Mass Brussels, Les Bloemekets, Inter-Environnement Bruxelles, UrbaGora, 1060/0, Pro Vélo, Tous À Pied, Mundo‑n… Le combat anti-publicitaire serait-il un moteur de la convergence des luttes ?

DES ÉCRANS PUBLICITAIRES, PARTOUT, PARTOUT, PARTOUT…

L’invasion publicitaire qui s’intensifie aujourd’hui par la multiplication de télévisions de rue et autres écrans pousse à la consommation et a fait bondir François Ruffin, député français et aussi rédac chef de notre honoré confrère Fakir : « Dans le “petit coin” de ce café parisien, j’étais donc en train d’uriner quand, surprise, stupeur : à 20 centimètres de mes yeux, posé au-dessus de la vespasienne, un écran m’impose ses certitudes. “ Impossible de passer à côté de votre publicité ”. Et en effet : comment échapper à ce message, lumineux, en couleur et en mouvement, qui s’affiche au-dessus de chaque urinoir, sur chaque porte de ce sous-sol ? Difficile d’y échapper, à moins de fermer les yeux et de risquer un accident liquide… Tandis que défilaient les annonces pour Uber, Bnp-Paribas, la Fnac, j’ai songé : “Même ici !” Même ici, les publicitaires envahissent notre temps de cerveau disponible ! Ils viennent nous traquer jusque dans les chiottes ! Même ce contentement millénaire, et même plus, qui nous vient de la nuit des temps, même ça, ils vont réussir à le salir ! »

Et c’est vrai que ces dernières années, dans les rues et dans tous les lieux publics, les écrans publicitaires saturent l’espace public (d’abord déroulants, puis illuminés et finalement numériques). Les sociétés de publicité extérieure mènent un lobbying intense pour en poser partout, parfois même en toute illégalité.

BIG BROTHER IS WATCHING YOU

Certaines de ces machines, qui consomment autant d’électricité que 2 ménages (7.000kWh/an), deviennent même des espions : dotés de caméras, ces écrans nous scrutent afin de lire sur nos visages nos réactions à leur pub: le message est-il reçu ou non, sur quelle « cible » ? Ce Big Brother vous espionnera de plus en plus : le Digital Out-Of-Home (DOOH), comme le nomment les publicitaires, les fait saliver : « C’est une révolution pour les annonceurs de pouvoir programmer eux-mêmes leur campagne, de façon centralisée et de pouvoir y associer des ciblages data » explique une directrice générale d’une entreprise spécialisée en branding et retargeting.

Francois Ruffin et neuf autres membres de la France insoumise ont déposé à l’Assemblée nationale française un amendement à une loi sur la « Prévention des risques liés aux nuisances sonores et lumineuses » pour interdire les écrans dans les sanitaires et lieux de travail. Pas sûr que les petits soldats de La République en marche soutiendront ce texte qui protège pourtant notre santé physique et mentale.

Et nous, simples citoyens, que pouvons-nous faire contre cet envahissement de nos vies privées ? Devrons-nous encourager les plus radicaux des « cacheurs de pub » qui se mettent à saboter des dispositifs indiscrets ?

Alain Adriaens

Notes et références
  1. Tous les détails sur https://boycottautosalon.wordpress.com

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