Les interventions terroristes de l’État français contre Notre-Dame-des-Landes n’ont rien d’étonnant. Car ce qui fonctionne autrement, les tentatives « hors-système », agit comme un miroir qui reflète l’anormalité de cette quotidienneté normée dont on se complaît. Et cette continuité pathologique, l’État capitaliste ne souhaite surtout pas qu’elle change. Il faut continuer à vouloir consommer, produire, travailler, privatiser, ne pas partager. Il faut que le Français gaspille sa moyenne de pétrole quotidienne, en roulant, en mangeant, en vivant. Le Belge et les autres aussi. Ceux qui n’ont pas atteint le niveau n’auront qu’à « se développer ».
La ZAD devrait frapper toutes les consciences, nous donner les lunettes qui permettraient de voir la réalité de nos sociétés pour ce qu’elle est : une zone de non-sens généralisée. La ville, dans ce rôle, est parfaite. Pensons à l’air vicié que nous respirons, alors que chaque jour le trafic se fait plus dense ; à ceux qui hurlent à une entrave à leur liberté individuelle quand on leur propose de fermer la rue aux bagnoles un jour par mois (un jour!), ou de remplacer des places de parking par des espaces pour vélos, des poulaillers, des bacs potagers… Ils sont persuadés de défendre leur liberté, alors qu’ils ne font que pérenniser un mode de vie imposé à la naissance, et qu’ils ont fait leur. Tout est à l’avenant : de ces ondes qui rendent de plus en plus malades, dans les intimités des foyers, alors que l’État et l’industrie, avec les universités, s’affairent à nous doter de la 5G (L’Université « libre » de Bruxelles notamment). Cela continue avec l’obsolescence des produits que nous consommons, programmés pour ne pas durer, qui dès lors implique plus de travail, plus de déchets, plus de consommation. C’est cela qu’il faut : davantage jeter pour consommer plus et travailler plus : jusqu’à 70 ans, 38 heures/semaine. La croissance.
Rien ne va plus, d’autant plus quand tout semble fonctionner. Tous les jours, dans nos emplois, nos non-emplois, nos sous-emplois ; dans notre alimentation, pestiférée, avec additifs et colorants ; dans nos grandes surfaces, monopsones* qui mettent les producteurs en compétition, les uns contre les autres, créent des tâches aliénantes et les détruisent quand bon leur semble. De tels emplois, il ne faudrait plus les défendre, car ce n’est qu’œuvrer à pérenniser ce qui nuit. Il faudrait y substituer des activités qui aient du sens. Il faudrait mettre fin à nos guerres, qui ne servent à rien si ce n’est enrichir les multinationales et marchands de canons, alimentant la haine de l’Occident. Il faudrait renoncer à ces smartphones prétendument essentiels, refuser de faire progressivement de l’école numérique une priorité pédagogique, avec ces technologies qui colonisent nos cerveaux et abêtissent nos enfants. Il faudrait changer nos rues, nos routes, nos chemins, où les bagnoles font, chaque année dans le monde, 1,3 million de morts (l’OMS en prévoyant pour 2030 2,3 millions et quelque 50 millions de blessés). Il faudrait dégager nos cieux du trafic aérien qui amène des hordes de touristes colonisant les derniers endroits vierges de la terre ou rejoignant les zones à touristes formatées, rejettant des tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Il faudrait d’autres médias que ceux qui ne donnent aucune clé de compréhension du monde et appartiennent aux mêmes qui font les guerres, les banques, les supermarchés, la mode.
La ZAD devrait frapper toutes les consciences, nous donner les lunettes qui permettraient de voir la réalité de nos sociétés pour ce qu’elle est : une zone de non-sens généralisée
« L’Éthiopie meurt peu à peu », « We are the world, we are the children »… Ah, ces spectacles affectés de la bonne conscience occidentale, qui mettaient insidieusement dans nos têtes d’enfants des décennies 70/80, l’idée que les famines étaient des accidents, la résultante d’un manque d’aide, de « développement », alors que nous les pillions allègrement, constituant nos réserves d’esclaves et de denrées alimentaires. Le succès du numérique allait leur rappeler que l’Occident les apprécie et en a besoin pour produire nos objets inutiles et récupérer les déchets quand nous en changerons. Un enfant meurt de faim toutes les 5 secondes, ne nous en plaignons plus : c’est le prix à payer sur l’autel de la croissance.
Si la ZAD Notre-Dame-des-Landes peut servir un objectif global, c’est, outre le combat localisé indispensable qu’elle mène, celui de ne tolérer plus rien de ce monde qui nous rend chaque jour moins humain, donc nous éloigne de la nature et de l’autre. L’État ne lâchera rien, il ne veut pas que cela se propage, car la propriété privée (des sols, des lieux de vie, de l’eau, des semences…) est le socle de la société bourgeoise.
Tout cela aura pourtant eu du sens seulement si la révolte se propage. Partout. Dans tous ces lieux et projets indécents, c’est évident, mais aussi, et surtout, où on pensait qu’ils ne l’étaient pas : dans les zones de « normalité ».
Alexandre Penasse
* « Situation économique dans laquelle une entreprise a le privilège exclusif de l’achat d’un produit ou d’un service. »