Alors que la presse révélait cette semaine que le rapport annuel de la RTBF avait « omis » de mentionner le salaire perçu en 2018 du patron de la RTBF Jean-Paul Philippot, le déclarant 50.000 euros en dessous du montant réel, l’information occultait quelques éléments essentiels. En premier lieu, que le salaire annuel indiqué, 325.000 euros, était déjà indécent, injustifié et injustifiable. Ensuite, que les émoluments de ce « manager » du service public, dont le comité de rémunération composé de personnels politiques fixe le montant, collaient avec ses fréquentations et son pedigree. Rien à attendre d’une telle structure en termes d’informations pouvant instiller l’esprit critique et le doute, dès lors que ceux qui la dirigent font partie du monde qu’il faut renverser. Retour sur un article paru dans le kairos 36.
L’orientation libérale des services publics, qu’on lamine doucement mais sûrement, s’explique aussi et surtout par leur « gouvernance » qui a vu se mettre en place des dirigeants issus du monde économique n’ayant plus comme seul et unique dessein la rentabilité financière. Au détriment de l’information, à l’avantage du business.
La bienséance de la RTBF à l’égard des politiciens et des hommes d’affaires et sa tendance à inviter toujours les mêmes, représentants fidèles de la pensée dominante, ne s’expliquent pas uniquement par l’importance de la publicité, l’origine sociologique des journalistes, leur parcours de formation balisé par « l’esprit d’entreprendre » ou l’individualisme de certains, mais aussi par le fait que celui qui dirige la maison est issu du monde économique et politique, sur lequel il a bâti son carnet d’adresses.
Jean-Paul Philippot, diplômé de l’école de commerce Solvay, est l’ancien chef de cabinet adjoint du ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale Charles Picqué, fonction qui lui a fait rencontrer des gens importants, comme Steven Vanackere où Jean-Claude Marcourt. Il partage sa vie avec Laurence Bovy, ancienne directrice de cabinet de Laurette Onkelinx, passée par le conseil d’administration du port de Bruxelles, la présidence de la SNCB, actuelle directrice de Vivaqua.
Ses bons amis, il les a aussi connus sur les bancs de la fac, comme Thomas Spitaels et Bruno Colmant. Le premier, 393ème fortune belge avec près de 43 millions d’euros, est le big boss de TPF, une entreprise qui emploie 4.200 personnes, implantée sur quatre continents, active dans les domaines du bâtiment, des infrastructures de transport, de l’eau et de l’énergie, et qui s’est développée grâce à une série de fusions et acquisitions. L’autre, habitué des micros de la RTBF, est professeur à l’ULB et à l’UCL, membre de l’Académie royale de Belgique, maître en sciences fiscales (ICHEC) et docteur en économie appliquée (Solvay, ULB). Bruno Colmant a débuté chez Arthur Andersen, comme Bernard Marchant (président de Rossel, propriétaire notamment du quotidien Le Soir) qui s’y initia comme conseiller juridique et fiscal. Il devient ensuite administrateur délégué chez ING, qu’il quittera en 2006 pour devenir directeur de cabinet du ministre des Finances Didier Reynders, dont il dira qu’il a « toujours grandi les hommes qui ont travaillé pour lui. » Depuis 2015, il est « Head of Macro Research » à la Banque Degroof Petercam, d’où provient un autre habitué de la RTBF qui lui déroule son tapis rouge comme chief economist, Etienne de Callatay, mais aussi Alain Siaens, qui n’aime pas trop qu’on fustige les riches et les exilés fiscaux. Une bande de copains au service… d’eux-mêmes.
LA MAFIA DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES
Jean-Paul Philippot touche comme administrateur général 337.049€/an, soit 28.087 /mois. Francis Goffin, directeur général de la radio, 397.939€. François Tron, directeur des antennes TV, 334.932€. La compagne de Philippot, inconnue des listes des bénéficiaires du CPAS, touche 249.298€ brut par an, sans compter l’assurance hospitalisation, la voiture de fonction, chèques-repas, carte Visa…*
* « Découvrez le vrai salaire de la directrice de Vivaqua », Laurence Bovy, La Libre, 7 septembre 2017
Un troisième larron complète le trio : Laurent Levaux, patron actuel d’Aviapartner. Ingénieur commercial, licencié en économie appliquée, possesseur d’un MBA de l’université de Chicago, il fonde une PME de services industriels à Liège avant de rejoindre MC Kinsey, multinationale de conseils stratégiques en management, structure qui conseille ces mêmes exilés fiscaux qu’on critique dans nos pages… Après, ce sont CMI (groupe de maintenance et ingénierie internationale), ABX Logistics, filiale de la SNCB cédée en 2006 au fonds d’investissement 3i pour 10 millions d’euros, qu’elle revendra deux ans plus tard 750 millions d’euros. Est-ce un hasard d’ailleurs, si l’homme devient CEO la même année d’Aviapartner, racheté en 2005 par… 3i. Laurent Levaux est par ailleurs administrateur chez Proximus, FN Herstal, Bpost, Circuit de Spa-Francorchamps. Estampillé MR, il est enfin président de la Sogepa, « fonds d’investissement répondant au critère de l’investisseur privé », où le conseil d’administration mélange politiciens et hommes d’affaires.
Inutile d’allonger le descriptif, car il s’agit ici uniquement de souligner les amitiés, connivences et accointances du patron de la RTBF qui peuvent nous suggérer son positionnement idéologique. Procès d’intention ? Non. Car même un enfant de 10 ans normalement constitué, au vu de tout cela, pourrait comprendre que quand Philippot va dîner avec Colmant et Levaux, la probabilité qu’il évoque les moyens de taxer les millionnaires ou la nécessité de stopper le diktat de la croissance économique, est aussi grande que celle de gagner au Lotto. C’est également pour cette raison, et d’autres, qu’après 16 mois de mutisme sur l’affaire du Kazakhgate, Dider Reynders encourait peu de risque à se livrer aux journalistes de Jeudi en prime sur la RTBF.
LA RTBF ET LA POLITIQUE
Jean-Claude Marcourt, ministre en charge des médias, a appris à connaître Jean-Paul Philippot quand il était au cabinet. Ils sont devenus depuis de « vrais amis »(1). Les deux aiment « passer des heures à table à refaire le monde », mais aussi peut-être à discuter de « révolution numérique », pour atteindre l’objectif « visions 2022 »(2) de la rtbf visant à la « convergence, numérisation, globalisation », pour « un monde qui sera numérique et global ». Parlent-ils de la suppression de la publicité à la RTBF ? Sa « très grande complicité » avec le patron de la régie publicitaire (RMB), Yves Gérard, Anne Bataille, CEO d’Aegis Media Belgium, ou Martine Clerckx, fondatrice et directrice associée de l’agence de conseils en stratégie Wide, nous fait douter.
Médias et politiciens se côtoient et font plus que s’apprécier. Les seconds siégeant au conseil d’administration de la RTBF assurent les intérêts partisans, solidaires de la « pensée » de leur groupe politique. Parmi les membres effectifs du CA de la RTBF : 6 PS, 5 MR et 2 CDH. Certains de ces membres siègent au comité de rémunération qui fixe les salaires des administrateurs de la RTBF (voir encadré). Il s’agit donc pour ces derniers de ménager ceux qui décident de ce qui tombe dans leur escarcelle chaque fin de mois, même si le MR soulignait le manque de transparence et des rémunérations, « nébuleuses à la tête de la RTBF »(3). En guise de remerciements, on laissera au CA le soin de fixer les modalités qui établiront lors « des élections européennes, fédérales, communautaires et régionales, provinciales, communales, (…) un dispositif spécifique d’informations permettant aux citoyens de saisir les enjeux des élections ». Dispositif favorisant le MR, le PS et le cdH…
À la RTBF, la démocratie a encore du chemin à faire…
Dossier réalisé par Alexandre Penasse
- « Le carnet d’adresses du patron de la RTBF », 23 février 2011, https://trends.levif.be
- « « Vision 2022 » : le plan de la RTBF qui anticipe le futur des médias », 9 janvier 2017, https://www.lesmediasfrancophones.org
- « Pour le MR, les rémunérations à la tête de la RTBF dépassent les plafonds et restent nébuleuses », 8 février 2017, www.rtbf.be.