EMPOISONNEMENTS ÉCO-RESPONSABLES

Illustré par :

GRÂCE AU « RÉFÉRENTIEL DU VIVRE ENSEMBLE(1) »

Des organismes wallons centrés sur l’agriculture ou l’environnement ont développé un document sur l’usage des pesticides, à l’attention des agriculteurs et riverains (le « Référentiel du vivre ensemble »). L’objectif : promouvoir de « bonnes pratiques », à travers la concertation. Mais ce document rappelle plutôt la communication qui nous vend les guerres déguisées en interventions humanitaires. C’est l’occasion de réfléchir aux intoxications raisonnées et aux bombardements chirurgicaux, aux poisons sanitaires et aux dévastations libératrices.

Parmi les porteurs de l’initiative : plusieurs syndicats, l’Institut Eco-Conseil, ou encore PROTECT’eau. Les pratiques promues par cette publication : éviter les débordements des épandages, recourir à un meilleur matériel, respecter une certaine distance à l’égard des habitations, etc.

Ces démarches auraient leur justification comme mesures transitoires, dans le cadre d’une sortie complète et très rapide de l’agriculture chimico-industrielle. Mais le document ne parle nulle part d’une telle sortie. Au contraire, il reste pleinement dans la phraséologie manipulatrice habituelle : les pesticides sont qualifiés de « phytosanitaires » (comme s’ils promouvaient la santé de qui que ce soit) ; les produits de l’agriculture industrielle, si elle respecte les lois existantes, sont qualifiés de « sains et sûrs » (p.3 du référentiel) ; le traitement que l’agrochimie fait subir à la nature (et, ainsi, à la santé humaine – notamment celle des agriculteurs), ce traitement est qualifié de « raisonné » – quand il est question, simplement, d’éviter une partie des épandages (p.8), etc.

LE CHOIX DU MOURIR ENSEMBLE ?

Comment peut-on encore manifester un tel aveuglement ? Les ravages des pesticides sont connus et archiconnus. Comme constaté et prouvé par les spécialistes et pleinement admis par les médias les plus centristes : 80% des insectes ont disparu en 30 ans (Le Monde, 28/10/17(2)) ; un tiers des oiseaux des campagnes ont disparu en 17 ans (CNRS, 20/03/18(3)) ; le rôle central des pesticides, dans ces destructions, est évident et reconnu (voir p. ex. la méta-analyse de 73 études, publiée en 2019 dans la revue Biological Conservation(4)); les très graves effets de ces produits sur la santé humaine sont de plus en plus manifestes (voir p. ex. le rapport de l’ONU sur le droit à l’alimentation du 24/01/2017(5)), etc.

Le référentiel ne parle nulle part d’une sortie de l’agriculture industrielle.
Il reste dans la phraséologie manipulatrice habituelle.

Arrêtons-nous un instant sur la disparition des insectes. Il est évident qu’il s’agit d’une des plus grandes catastrophes de l’histoire. Ces animaux sont d’une importance fondamentale pour les écosystèmes(6), et donc pour la plus grande partie de l’agriculture(7) (pollinisation, évitement de l’eutrophisation des eaux(8), survie de l’ensemble des autres espèces vivantes…). Nos santés et nos vies sont donc en jeu, au plus haut point. Que faut-il encore pour qu’on se réveille ? Pour qu’on arrête enfin le massacre ?

Les processus du référentiel en question ne contribueraient qu’à faire illusion, à faire croire qu’on fait le nécessaire pour que l’agriculture industrielle et l’agrochimie deviennent durables (ce qui est chose impossible). Alors que le cœur du problème et du désastre se maintiendrait : l’empoisonnement généralisé de notre milieu de vie. Simplement, sa vitesse serait un peu ralentie.

Dans ce domaine, les ressources, le temps et l’énergie devraient donc être investis dans tout autre chose : le travail pour un retour global à l’agriculture paysanne ou agroécologique, dont les capacités et potentiels exceptionnels ont été prouvés à de multiples reprises(9).

DES GUERRES DURABLES ?

Il est particulièrement triste et grave qu’un organisme comme l’Institut Eco-Conseil se soit associé à cette manipulation. Utilisées avec discernement, les valeurs et méthodes de cet organisme peuvent avoir du sens (concertation, processus « multi-acteurs », prise en compte des conceptions de chacun, etc.). Mais elles peuvent facilement déraper vers les mauvais compromis (je suis sûr, cependant, que certains membres de cet institut doivent déplorer fortement ce dérapage, parmi les formateurs en tout cas).

Les auteurs de ce référentiel devraient réfléchir, p. ex., à la propagande autour des guerres néocoloniales (Irak, Vietnam, etc.). De même qu’on parle ici de traitements « raisonnés », on parle là de « frappes chirurgicales » ; de même qu’on fait croire ici que l’usage des pesticides serait compatible avec la protection de l’eau, avec des aliments « sains et sûrs », on vend là le mensonge gigantesque de la guerre « zéro victime » ; de même qu’on parle ici de santé (« phytosanitaire »), on parle là de libération et de démocratisation des pays agressés. Alors qu’en fait, il ne s’agit ici que de la vente des poisons agrochimiques, et là, de géostratégie et de commerce des armes.

Peut-être que les rapaces néocoloniaux feront un jour appel à l’Institut Eco-Conseil ? Leurs opérations passeraient mieux, si on parlait de guerres éco-responsables, de bombardements intégrés (pas à moins de 100 mètres des hôpitaux et écoles…), etc. Des concertations multi-acteurs pourraient être organisées, entre habitants des pays cibles et militaires qui les attaquent, sous-traitants mercenaires spécialisés dans la torture, ONG…

Quelques moyens d’agir dans un sens différent : signer et diffuser la pétition « Nous voulons des coquelicots – Belgique »(10), pour une interdiction immédiate de tous les pesticides de synthèse ; et pour se donner tous les outils pour réfuter la propagande, lire le tout récent et concis « En finir avec les pesticides »(11), de Paul Lannoye et Maria Denil (voir la recension dans ces pages). À conseiller notamment aux auteurs du Référentiel du « vivre » ensemble.

Daniel Zink, éco-conseiller et membre de Grappe asbl

Notes et références
  1. https://filagri.be/actualites/utilisation-de-produits-phytopharmaceutiques-referentiel-du-vivre-ensemble. Merci à Paul Lannoye, qui a attiré mon attention sur le référentiel.
  2. « Insectes, l’hécatombe invisible », lemonde.fr, 2017.
  3. « Où sont passés les oiseaux des champs ? », lejournal.cnrs.fr, 2018.
  4. « Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers », sciencedirect.com, 2019. Voir aussi « Les pesticides, principale cause de la disparition des oiseaux en France », franceculture.fr, 2019.
  5. https://undocs.org/fr/A/HRC/34/48.
  6. « La disparition des insectes, un phénomène dévastateur pour les écosystèmes », lemonde.fr.
  7. « Les insectes sont indispensables à l’agriculture par leur rôle de pollinisateurs », lemonde.fr, 2019.
  8. « Et si on éradiquait tous les moustiques ? », lemonde.fr, 2016.
  9. Voir p. ex. Perez-Vittoria, S., Manifeste pour un XXe siècle paysan, Actes Sud, 2015, ou encore Le Naire, O., Dufumier, M., L’Agroécologie peut nous sauver, Actes Sud, 2019.
  10. http://grappebelgique.be/spip.php?page=sondage.
  11. Lannoye, P., Denil, M., En finir avec les pesticides, La boîte à Pandore, 2020.

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