L’agriculture biologique, simple concept marchand?

Le «Bio», a la cote: salons, étals de grande surface, magazines, paniers… Les supermarchés en sont friands, leur assurant une part de marché qui ne pourrait, dans leur course sans fin au profit, leur filer entre les doigts, et l’étiquetage vert dont ils ont besoin puisque maintenant «on sait» et qu’il faut faire comme si on allait changer les choses. 

Pourtant, si l’on fait attention aux principes fondateurs de ce qu’on appelle l’agriculture biologique (AB), l’antinomie entre celle-ci et les circuits commerciaux classiques sautent aux yeux. Car l’agriculture biologique recèle bien d’autres choses qu’occulte le simple acte d’«achat bio» d’un «produit» dont le plus souvent nous ignorons la provenance, qui en est le producteur et s’il a été traité de manière décente pour cultiver ce que nous mangerons, les kilomètres que le produit a dû faire pour arriver dans nos assiettes, la taille de l’exploitation, la façon dont l’animal et la nature ont été traités… 

A l’origine, l’agriculture biologique naît de la volonté d’enrayer la menace sanitaire de l’agriculture chimique et le risque de dissolution des communautés paysannes. Elle porte en elle le respect du paysan et de la terre, indissociables. Après des décennies de ravages de l’agriculture industrielle, la labelisation sera une tentative de réponse pour conserver ces fondements précieux de l’agriculture biologique. Mais si les labels ont pu être un outil de résistance, ils demeurent dans une logique marketing qui évacue le potentiel subversif de l’AB (voir «Le piège du label»). La situation des zones d’exportation intensive exploitant ces nouveaux serfs, travailleurs corvéables à merci produisant les fruits et légumes bios qui fleurissent nos étals, illustre bien cela (voir «De la certification à l’export, la bio à l’épreuve des droits sociaux» et «Main‑d’œuvre agricole: vers un nouveau commerce triangulaire ? »). 

Qu’importe, diront certains, ce que veut le consommateur, c’est manger sain. Mais peut-on parler de nourriture saine si des femmes et des hommes sont exploités pour la produire? Si la terre est souillée et surexploitée? Si la production est issue d’une terre colonisée par un pays (Sahara Occidental) ou si le bio perpétue une domination du monde rural et la dépossession des fruits de son labeur pour un marché du nord? Les financiers et les distributeurs que sont les grandes surfaces n’ont cure de tout cela, ne voyant dans le «bio» qu’une source de profits supplémentaires. Selon le principe que le système capitaliste récupère tout, même ce qui s’oppose à lui, pour assurer son maintien, le bio risque de voir sa nature profonde disparaître et n’être plus qu’une produit industriel compétitif (voir «La bio piratée»). Avec tout ce que cela implique: concurrence sur le marché du travail et aliénation du «producteur», destruction des écosystèmes, production de masse, rupture des liens producteur-consommateur / Homme-nature normalement consubstantiels à l’agriculture bio. BASF, Bayer et Monsanto, mastodontes de l’agroalimentaire plus soucieux de leur profit que de la santé des hommes et des femmes, ont anticipé la manne probable: ils se lancent donc dans les «pesticides bio»… nous avons l’habitude des oxymores. 

Mais alors qu’un risque de récupération totale pèse sur l’AB, vidant ses fondements de toute leur dimension éthique et écologique, la réduisant à une simple logique individualiste de consommation saine, des réseaux agro-alimentaires alternatifs voient le jour qui, même s’ils ne sont pas exempts de doutes et défauts, peuvent devenir le ferment d’un changement véritable de paradigme (voir «La consommation “éthique”, au-delà des niches élitistes ») 

L’avenir nous le dira, mais on sait déjà qu’il ne se fera pas sans notre participation. 

Alexandre Penasse, Coordinateur du dossier 

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