La conscience et le sens des limites sont des tares à l’heure des trottinettes électriques colonisant les villes, des smartphones comme prothèse multi-fonctions ou des voitures « autonomes »…, produits de la connexion généralisée. La science en a pris la mesure, elle dont l’aphorisme se lit désormais plus souvent comme « science sans profit n’est que ruine de la croissance ». Et donc des subsides, et de la recherche… Huawei, qui, avec l’arrogance de la toute-puissance publicitaire, arborait en anglais dans les rues de la capitale quelques jours avant les triples élections belges : « votez pour la 5G », ajoutant en dessous « voter n’est pas uniquement une question de candidats, c’est aussi une question de valeur ! Votez pour un futur plus intelligent avec la 5G », le sait bien. Déjà en 2015, elle s’offrait les services de l’ULB et de la VUB, pénétrant l’antre universitaire et pourfendant sans vergogne l’indépendance qu’elles avaient l’habitude de brandir comme étendard, gage de leur impartialité. On pouvait lire dans l’accord de collaboration entre les universités, Proximus et Huawei, signé à l’occasion de la mission royale en Chine(1) : « Proximus et Huawei fourniront et mettront en œuvre une infrastructure à la pointe de l’innovation ICT, avec entre autres la technologie 5G (…) L’ULB et la VUB visent à créer un “campus du futur” à Bruxelles en vue de développer un concept innovant et visionnaire, profitant de la présence de leurs facultés de science et d’ingénierie sur un même campus (…) La prochaine génération de technologie sans fil, avec entre autres la technologie 5G pour le Learning and Innovation Center, sera une partie essentielle de cette collaboration. Ce sera l’une des premières applications de la technologie 5G en Belgique. Huawei a lancé son European Research Center (ERI) en mai dernier, en Belgique, pour mener ses efforts de recherche afin de faire de la technologie 5G une réalité »
C’est bien cela qu’il leur faut mener à bien : faire de leur délire technologique une réalité. Et qu’importent les coûts environnementaux, sociaux et sanitaires, ceux-ci sont les dommages collatéraux d’un système où prime la recherche du profit. Les cancers, les troubles cognitifs et relationnels, les effets des pesticides, de la malbouffe… seront traités par les entreprises hospitalières, les coaches scolaires et les applis de rencontre ; l’infertilité sera « résolue » en salle d’op’ et le désir d’enfant à satisfaire pour qui veut, le nouveau-né produit commercial comme un autre. Ceux qui détruisent et ceux qui réparent dans un seul objectif pécuniaire étant les mêmes, les bénéfices iront dans les mêmes escarcelles. Qu’importe donc également si les villes deviennent des espaces « relationnels » numérisés, tant que cela rapporte.
Alors que les couches de pollution environnementale se superposent comme celles des spectres électromagnétiques, il s’entend qu’en matière de 5G, le petit dernier scandale-à-venir, malgré qu’aucune décision officielle ne soit prise (la ministre ayant feint de se soucier de la santé des gens quelques semaines avant les élections, cf. « Les Bruxellois ne sont pas des souris de laboratoire »), les opérateurs procèdent déjà, avec le soutien étatique, au nettoyage de certaines zones qui accueilleront les dispositifs. Ici des arbres sont coupés sans raison apparente, là des fibres optiques sont placées sous terre. Comment pourrait-il en être autrement pour un projet qui signe une phase de métamorphose (« disruption ») du capitalisme sans laquelle il ne peut prospérer : les objets connectés sont un nouveau gisement pour lui, une manne qui propulsera la production/consommation de nouveaux objets et mettra au chômage des hordes de travailleurs désormais inutiles : chauffeurs, commerçants de proximité, enseignants, etc. Qui décide de cela : les mêmes lobbies patronaux à l’origine du marché unique européen, main dans la main avec les banques, les publicitaires, les industries, les bétonneurs et l’État.
On lit sur le site du magazine économique et financier luxembourgeois Paperjam, un parmi tous les hymnes à la 5G : « Oui, la 5G est une nouvelle génération de connexion mobile. Non, ce n’est pas juste le successeur de la 4G. Cette technologie constitue une étape majeure sur le chemin d’une société 100% numérique. Grâce à ce réseau, tous les appareils qui accompagnent notre quotidien seront potentiellement connectés à internet en très haut débit. Une révolution à la fois technologique et sociétale. (…) Opérateurs d’infrastructures télécom, énergétiques, portuaires, ferroviaires; industrie automobile, agriculture, santé, finance, construction… La 5G va toucher tous les secteurs pour une raison simple: elle sera capable de connecter tout ce qui embarque ou est susceptible de contenir demain un microprocesseur. Les dispositifs qui traitent d’énormes quantités de données, comme la réalité virtuelle et augmentée, et l’intelligence artificielle vont pouvoir tourner à plein régime. La 5G, c’est le futur d’un monde numérique où tout communiquera avec tout de manière instantanée et presque naturelle. (…) ». D’aucuns évoquent le chiffre de 30 milliards d’objets connectés en 2030. Que du bonheur, non ? Ne souhaitez-vous pas ce monde à vos enfants ? De fait, pas beaucoup de risques, ils en deviendront les défenseurs les plus zélés si dès la naissance on leur propose l’association porte-biberon et support pour smartphone : de l’abreuvage au sens propre(2).
Tous les scientifiques ne sont pourtant pas mus par des intérêts financiers. Nous avons rencontré André Vander Vorst pour nous parler de ses recherches sur les ondes éléctromagnétiques (Des ondes, des rats, et des humains…, p.10). Si nous ne partageons pas nécessairement un même optimisme sur les capacités gouvernementales de prendre les choses en main, le constat de la situation, gravissime, nous relie. Hervé Krief nous offre une description de ce monde malade et connecté (Humains connectés dans un monde malade, humains malades dans un monde connecté, p.13).
Dossier coordonné par Alexandre Penasse
Illustration : Louise Hendrickx
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- « Le porte-biberon pour smartphone est né », 27mars 2017, www.lefigaro.fr.