DETTE ET CRISE SANITAIRE

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Mars 2020 éclatement de la crise, quelle crise ? La crise sociale, écologique, économique, de civilisation… qui était déjà bien perceptible ? Ou plutôt la crise sanitaire suite à la pandémie mondiale du coronavirus ? À ces nombreuses crises que l’on ne sait plus comment nommer, comment définir, s’ajoute donc une mise entre parenthèses de l’économie suite à la pandémie du coronavirus, qui engendre une crise économique et une crise de la dette qui couvaient depuis des années.

Dans les débats publics, sur les réseaux dits sociaux, les discussions se multiplient à propos de « l’après-crise ». La plupart des discours laissent imaginer une crise en forme de parenthèse, lors de laquelle on a pu réfléchir à l’après-confinement, se prendre aux mots de Macron qui en appelait à un changement d’imaginaire. Quelques penseurs (le masculin est utilisé expressément) auraient concocté un plan pour un monde meilleur, une transition appliquée à toutes les sauces. Pourtant, comme l’explique Romaric Godin, journaliste à Médiapart, la situation économique et financière depuis la crise mondiale de la décennie précédente était loin d’être améliorée.

« La crise actuelle pourrait bien être plus coriace que prévu. Elle est plus violente que celle de 2008 et, à la différence de cette dernière, l’économie chinoise qui avait supporté l’essentiel de la reprise par des plans de relance très agressifs et écologiquement désastreux (passant par des surproductions de ciment ou d’acier, par exemple) ne semble plus en mesure de jouer ce même rôle. La financiarisation continue par ailleurs à réduire l’impact des politiques sur l’économie réelle en captant une grande partie des bénéfices issus de cette dernière. »(1)

APPELS À L’ANNULATION DES DETTES

Parmi les nombreux éléments imbriqués dans l’économie mondiale, la dette joue un rôle primordial. La forte réduction de l’activité économique pendant plusieurs mois causée par la crise sanitaire du coronavirus a fait réapparaître la question douloureuse de la dette dans les débats publics. Cependant, bien que reposant sur un système très complexe, les décisions quant aux dettes et aux remboursements sont avant tout politiques. Des centaines de collectifs, voire même d’élus, ont appelé ces dernières semaines à l’annulation totale et inconditionnelle des dettes de pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique. En Europe, des débats portant sur la mutualisation des dettes et des médias financiers assurent que les dettes ne posent pas de problème car les taux d’intérêt sont bas (politiques encouragées par les banques centrales européennes et étasunienne).

Le 13 mai, une initiative portée par Bernie Sanders et soutenue par 300 parlementaires du monde entier adressait une lettre au FMI et à la Banque mondiale pour demander une remise totale de la dette des pays de l’Association internationale de développement (AID) par toutes les grandes institutions financières internationales (IFI). Les Nations unies prévoient que la crise du coronavirus pourrait accroître la pauvreté mondiale d’un demi-milliard de personnes, soit 8% de la population mondiale. Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que le nombre de personnes au bord de la famine à cause de la crise économique mondiale pourrait doubler, passant de 135 millions à 265 millions, en raison de la pandémie. 64 pays paient actuellement davantage pour le service de la dette que pour les soins de santé.

MACRON ET SES INTÉRÊTS AFRICAINS

Le président Emmanuel Macron, après avoir enfilé ses habits de chef de guerre lors de son premier discours de crise, changeait de costume lors d’une autre allocution présidentielle pour annoncer une annulation massive des dettes de l’Afrique. Une annonce qui a fait grand bruit, répétée à longueur de journées dans les médias internationaux.

Le 13 avril, Macron annonçait vouloir « annuler massivement la dette » des pays africains. Pourtant, les pays du G20, dont la France, ont tout juste suspendu quelques remboursements. Alors que 200 organisations du monde entier demandent de véritables annulations des dettes pour permettre aux pays du Sud de faire face à la crise, dans le communiqué final des ministres des finances du G20 et des gouverneurs des Banques centrales du 15 avril, il n’y a aucune trace d’une « annulation massive des dettes africaines » proclamée peu de temps avant par le président français. La suspension décidée n’est que partielle et très provisoire. Partielle parce qu’elle ne porte que sur 12,8 milliards € sur un total de 30 milliards € environ des remboursements attendus en 2020. Provisoire parce que cette suspension ne porte que sur les remboursements prévus cette année. Et ceux-ci ne sont pas annulés mais seulement suspendus : ils devront être payés en 2022, échelonnés sur 3 ans et des intérêts plus élevés pourront être demandés.

L’annonce grandiloquente ne consiste donc nullement en une annulation. Elle risque de s’accompagner d’une aggravation du poids de la dette à moyen terme. Par leurs refus d’annuler purement et simplement tout ou partie de la dette des pays pauvres, les institutions financières internationales et les pays riches sont en train de leur concocter un avenir de dettes et de plans d’ajustements structurels aggravés.

POMPIERS PYROMANES

Entre 2010 et 2018, l’endettement public moyen du continent africain est passé de 35% du PIB à 60%. Au point que le nombre d’États en situation de « surendettement » ou risquant fortement de l’être selon le FMI, s’élève désormais à 33, soit deux fois plus qu’en 2018. C’est notamment le cas du Soudan, de la République Démocratique du Congo ou du Cameroun.

Une hausse de l’endettement en grande partie alimentée par la hausse du prix des matières premières et par les offres de prêts de la Chine qui ont entraîné de très nombreux pays du Sud global à s’endetter massivement au cours de la dernière décennie.

Le FMI agit en pompier alors qu’il a alimenté depuis des décennies les braises de l’affaiblissement de tant de pays du Sud à travers les privatisations, dérégulations et primarisation de leur économie (pour obtenir des devises en vue de rembourser des dettes odieuses et coloniales). Il estimait à la mi-mars « qu’étant donné sa nature sanitaire, la crise actuelle devrait être «plus courte» que celle de 2009 ». Ce FMI qui s’alarmait aussi depuis plusieurs années de l’augmentation des dettes et de l’imminence d’une crise financière se montre à présent rassurant, afin de préserver et faire durer ce système bancal. Quand l’institution prétend qu’il est urgent « de protéger les économies les plus faibles qui dépendent de la croissance mondiale »(2), ce ne sera malheureusement pas une protection qui passerait par une annulation des dettes illégitimes et une sauvegarde des économies locales.

Alors que les appels à l’annulation de dettes se multiplient, la confusion règne dans une grande majorité de médias qui brandissent les annulations comme une menace et dans le même temps évoquent les restructurations de dettes comme étant des annulations. Les restructurations servent pourtant la plupart du temps à préserver les intérêts des créanciers. Une démarche de rupture et de suspension unilatérale avec les créanciers permettrait par contre de l’emporter dans le rapport de force.

Robin Delobel

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