CLAP DE FIN

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Impossible de savoir, au jour et à l’heure de la rédaction de cette chronique, si le confinement général aura été levé, si le vilain virus s’en sera allé sous d’autres cieux – le plus loin possible dans l’azur, on ne peut que le souhaiter – et si cette longue période d’incertitudes, de craintes de toutes sortes, fondées ou non, aura pris fin. En tout état de cause, une chose est sûre : ce long moment aura été l’occasion pour beaucoup d’entre nous d’y aller, sur les réseaux sociaux, là où se sont tenus de belles discussions et de réels échanges, de considérations qui vont toutes – exceptions faites des sempiternelles bêtises et futilités qu’on aura encore dû subir – dans le même sens et que l’on trouvera très certainement ici même, sous d’autres plumes que la mienne (qui fait ce qu’elle peut).

On pourrait résumer ces échanges et ces souhaits par cette formule, rude et sans appel, certes, mais qui dit bien ce qu’elle veut dire : « Les conneries, c’est terminé, on passe à autre chose ». On peut aussi se souvenir du fameux An 01 de Gébé dans l’hebdomadaire Pilote, dans la foulée du mois de mai 68, dont on a tiré un film qui a marqué ma génération. On aura vu, en effet, tout au long des semaines passées, les gens contraints de rester sagement cloîtrés chez eux, d’autres obligés d’aller au turbin avec les risques de prolifération de l’épidémie parmi et entre ces travailleurs dont certains, pour ces raisons, se sont mis en grève ou ont simplement déserté leurs postes. Au grand dam des entrepreneurs et des têtes molles de l’économisme à outrance et à n’importe quel prix qui lançaient des cris et voyaient dans ces désertions la mise à mal de leurs profits et de leurs dogmes. Le ralentissement, voire l’arrêt de nombreuses activités, le fait que, pour les confinés à l’insu de leur plein gré mais faisant preuve d’un civisme remarquable, les achats d’habitude compulsifs ne tenaient plus qu’au strict nécessaire, tout cela a effectivement eu pour effet que, généralement, la grande machine de longtemps actionnée par la pseudo-nécessité consumériste s’est trouvée pratiquement mise à l’arrêt. Et, curieusement, personne ne semblait trop s’en plaindre dans le chef des premiers concernés : les consommateurs de tout et du n’importe quoi.

On aura remarqué – les témoignages venus d’un peu partout l’auront confirmé – que, du fait de ce ralentissement général des activités et des déplacements – pratiquement plus d’automobiles dans les rues, de moins en moins d’avions au-dessus de nos têtes – tout à coup l’air était plus respirable dans les villes, que la pollution atmosphérique était partout en baisse, enfin, qu’il semblait bien que, dans les zones habituellement encombrées des mille substances toxiques qui agressaient nos organismes, on pouvait allègrement ouvrir les fenêtres pour laisser entrer un air vivifiant et réparateur. A contrario, bien évidemment, il n’échappe plus qu’à peu de gens que ce constat condamne irrévocablement tout le système, tout un monde qui, jusqu’ici, est la cause des bouleversements de toutes natures dont nous payons aujourd’hui le prix. De nombreuses études montrent, en effet, que les régions les plus touchées par l’extension et l’étendue de la propagation du coronavirus étaient celles où l’activité industrielle était la plus concentrée. C’est le cas du Nord de l’Italie, par exemple, là où l’épidémie s’est développée à une allure telle que nos lointains voisins transalpins sont les plus touchés.

Au passage, on épinglera, pour en rire autant que pour s’en offusquer, la manière désastreuse dont les autorités politiques et sanitaires de l’Hexagone ont mis en place les mesures censées contrarier la menace d’une catastrophe dont elles étaient pourtant prévenues, dès avant le mois de janvier, par la voix de l’ex-ministre de la santé, Agnès Buzyn, qui, dans un entretien avec le journal Le Monde a, comme on dit, « lâché le morceau » ; la responsabilité morale et pénale des hautes sphères du pouvoir est, là, clairement établie. De la même manière, là-bas comme ici, les politiques d’austérité des dernières années, dictées par la communauté européenne et appliquées avec enthousiasme par les différents gouvernements qui se sont succédé ont eu pour cible l’ensemble de ce qu’il restait encore de protection sociale en ce compris les domaines de la santé publique. On se souviendra de la manière dont les forces de répression policière, en France, ont traité le personnel soignant lors des manifestations qui dénonçaient, justement, les pertes catastrophiques des moyens en infrastructures et en personnel dans ce domaine pourtant vital pour la collectivité.

Et donc.

Les conneries, c’est terminé ! On doit passer à autre chose ! Il faudrait, dès maintenant, que ce que la société compte comme possibles forces d’opposition se mettre en mouvement. En théorie, d’abord, profitant du temps qui nous est donné de ne pouvoir faire autre chose que penser, toutes et tous, chacune et chacun enfermé·e·s dans leurs appartements, leurs maisons. Mais aussi, bien sûr, les associations, les groupes, les partis, les clubs, comme en 1789, confinés pour l’heure et dispersés. Partout et inlassablement il faut que la pensée domine et pointe le bout de son nez. Que soient publiés et massivement partagés sur les réseaux sociaux – quelle arme, aussi, à disposition de cet objectif ! – les idées, les adresses, les admonestations, les cris de colère, les revendications de toutes natures. Car, oui, de toute évidence, la conscience en vient, à des milliers de gens, que le tristement célèbre néo-libéralisme et son cortège de mesures insensées dans les domaines de la production, de ce qui est produit, de ce qui est nécessaire comme énergies fossiles et autres pour cette production, que le sort fait aux plus faibles que sa propre logique produit est insupportable ; qu’il va falloir absolument et partout inventer et mettre en place toutes les alternatives imaginables et ce, dans tous les domaines qui touchent à la vie de toutes et de tous sur ce qu’est devenue notre malheureuse planète.

Mais il faut, à toute force, que se manifestent au plus vite et quelle qu’en soit la manière, ces exigences et les multiples alternatives qui pourraient, par  exemple, prendre la forme d’une manière « d’adresse  solennelle  à  tous  les partis  politiques et leurs représentants » qui serait rédigée par ce que compte notre pays de personnalités morales, scientifiques et autres – une manière de Comité des Sages – qui, de longue date, sur bon nombre de supports, sont de ceux qui alertent et proposent les idées issues de leurs recherches et leurs conclusions. Bien sûr, il faudrait aussi que notre exemple soit suivi ailleurs, chez nos voisins du nord comme du sud et qu’au sein desquels, pareillement, cet appel puisse être de la même ampleur puisque tout est lié et que ce n’est qu’universellement que le changement de cap doit pouvoir s’opérer. Au surplus, je voudrais, ici, lancer l’idée d’une manifestation – les confinés pourraient enfin se dégourdir les jambes – dans les rues de la capitale – et pourquoi pas simultanément à Paris, Berlin, Rome, Madrid… – dès lors que le dramatique épisode que nous vivons aujourd’hui sera passé et les alarmes apaisées. Une manifestation de grande ampleur qui réunirait les groupes de pression, les associations, les syndicats de travailleurs et la multitude de celles et ceux qui aspirent à tout autre-chose et qui veulent que cet autre chose advienne. J’en appelle à toutes les consciences, à toutes les meilleures volontés pour que ce projet prenne forme et que, dès maintenant, celles et ceux qui en ont le désir et le pouvoir, se parlent et échangent là où cela est possible.

Jean-Pierre L. Collignon

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