Barnum

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C’est avec d’énormes difficultés que je suis parvenu à réprimer un large sourire et, même, un violent accès de fou rire, en prenant connaissance, minute après minute, des réactions venant de partout à propos de «l’invasion du Capitole» en ce début d’année . Le très honorable Jean-Luc Mélenchon – pour lequel, autant le dire, j’éprouve une chaude sympathie – à l’instar de quelques autres parmi les observateurs de tous ordres, aura été de ceux qui voyaient dans l’intrusion des quelques centaines d’olibrius dans le lieu sacré où étaient rassemblés les membres du Congrès, une tentative de putsch d’une nébuleuse d’extrême droite made in USA . Pour ce que je peux en connaître, il me semble tout de même que, pour qu’il puisse y avoir une intention de fomenter un coup d’État, on doit pouvoir compter sur le soutien voire la participation des forces armées et la mise en mouvement de groupes rigoureusement formés et organisés, avec des consignes et des objectifs clairement définis.

À l’évidence, on était loin du compte et les nombreuses photos et vidéos publiées par la suite ont bien montré qu’on était là dans la plus parfaite improvisation et que, manifestement, les gens qui déambulaient dans les escaliers, couloirs et bureaux de l’illustre bâtiment, semblaient plutôt bien s’amuser du désordre qu’ils provoquaient. Certes, il y a quelques morts à déplorer, certains de ceux qui participaient à l’assaut n’étaient sans doute pas animés des meilleures intentions, certes, encore, il se trouvait là des gens ouvertement favorables à tel ou tel mouvement aux relents peu reluisants, mais enfin, il ne s’agissait que d’une cohorte hétéroclite de gens de toutes sortes : des petits gros, des grands maigres, des mères de famille, des visages et des dégaines comme on en croise tous les jours – enfin, quand il nous est permis de mettre le nez dehors – par chez nous. Oui, bien sûr, cher chroniqueur, direz-vous, mais il y en avait qui étaient armés ! Oui, je vous le concède ; mais aux States on peut se balader en rue avec un colt à la ceinture et faire ses courses en compagnie de sa Kalachnikov, c’est une vieille tradition chez nos lointains cousins et ils y sont attachés. « Mais il y a eu des coups de feu ! », ajouterez-vous ; oui, mais il est difficile de savoir d’où ils venaient, certains policiers, dans l’enceinte même du Capitole ont semble-t-il ouvert le feu pour contenir l’invasion de l’hémicycle par une poignée de têtes brûlées et, au reste, on aura noté le peu de résistance opposé par la police du coin lors du début de l’invasion des lieux. Bref, pour ma part, je ne partage pas l’opinion de celles et ceux qui voient dans cet épisode burlesque une tentative de prise de pouvoir ou une conspiration universelle qui voudrait imposer partout un ordre de nature fasciste. Bien sûr, tout ce qui précède n’engage que moi, d’aucunes et d’aucuns ne seront peut-être pas d’accord avec mes propos, mais qu’importe, je persiste et je signe.

Au reste, ne soyons pas dupes : le néo-fascisme – ou, si l’on préfère, sa variante soft – a la figure d’un jeune homme d’état en complet veston, plutôt bien élevé, souriant, affable, issu des Hautes Écoles de la République, un temps proche d’un ex-Président social-démocrate dont l’ennemi était la finance; il n’a eu nul besoin des armes ni de l’émeute pour arriver à ses fins : il a été élu démocratiquement par des citoyens libres d’un choix (qui n’en était pas un, on s’en souviendra) ; et il a le soutien d’une large majorité à l’Assemblée nationale. La liste est longue des lois, décrets, mesures de toutes sortes qui, petit à petit, et l’air de ne pas y toucher, ont très sévèrement et durablement mis à mal les libertés individuelles au pays des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il n’a donc pas fallu mobiliser je ne sais quels groupes factieux ni sections d’assaut de sinistre mémoire pour museler les esprits et ignorer superbement toute forme d’opposition à une politique strictement hyperlibérale où l’on voit – ici et tout comme ailleurs – la richesse scandaleuse de quelques-uns mise à l’abri des prétentions des pauvres à plus de justice. L’on verra peut-être, sous peu, des cortèges de centaines de milliers de crève-la-faim envahir les boulevards et les rues de Paris et de province réclamant du pain pour eux et leurs enfants. Qui osera dire qu’on leur jette des brioches ?

Pour ce qu’il en est de par chez nous, inutile d’épiloguer sur la dramatique et peu enviable situation en rapport avec cette sinistre et tenace pandémie qui voit notre pays peu glorieusement placé en haut d’un podium où se comptent les décès provoqués par un virus dont le visage – si j’ose dire – change de jour en jour, mettant en difficulté celles et ceux qui tentent, par mille moyens, de trouver remède à une maladie pernicieuse et insaisissable. Bien sûr, il y a, il y aura LE vaccin ; enfin, UN ou DES vaccins qui devraient, si les choses ne se passent pas trop mal, éradiquer le virus… mais rien n’est moins sûr, à cet égard ; une suspicion grandissante se fait jour tant chez certains scientifiques que dans l’opinion dont une large portion manifeste ses doutes quant aux vertus miraculeuses d’un vaccin, choisi et acheté par centaines de millions par la communauté européenne et distribué partout sans les garanties absolues de son efficacité. Enfin, le fier navire du progrès se voit bien bousculé dans ses prétentions à rendre ce monde un peu moins invivable par le truchement d’un Marché qui devrait – qui aurait dû – résoudre tous les problèmes qui se posent à notre espèce et à ce qui lui tient lieu de domicile. Car, il faut le dire et le dire encore – cette pandémie finira bien par être éradiquée, il y faudra sans doute du temps – mais se profile à un horizon de plus en plus proche la question du réchauffement et des bouleversements climatiques et, là, on voit bien que les responsables de tous bords sont loin de manifester un enthousiasme délirant à l’idée qu’il serait peut-être temps de se trousser les manches et mettre en branle une universelle entreprise susceptible, a minima, de sauver ce qui peut encore l’être.

Jean-Pierre L. Collignon

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