BALANCE TON BOURGMESTRE

À CHINY, GOUVERNER OU RÉGNER ?

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Étrangement, c’est dans les premiers échelons de la démocratie politique, au niveau communal, que souvent l’on rencontre des élus qui se comportent en parfaits dictateurs. Là où l’on imaginerait que la proximité entre les élus et la population permettrait le dialogue et, pourquoi pas, une horizontalité d’échanges.

La commune de Chiny est administrée depuis 13 ans par le même homme, le « député-maire » Sébastian Pirlot. Avant cela, il en aura été, dès 2000, le premier échevin. Vingt ans de pouvoir communal, ça use ! Surtout, et sans doute le cas n’est-il pas unique, l’exercice du pouvoir confère chez certaines personnes un tel sentiment de toute-puissance qu’il leur fait perdre toute retenue. Lors des dernières élections communales de 2018, celui qu’on appelle « le seigneur du Faing »(1) était parvenu à faire disparaître toute velléité d’opposition dans sa commune en incluant sur sa liste trois des cinq élus de la minorité, gommant ainsi la possibilité de constituer une liste alternative dans un délai raisonnable. Résultat : une seule liste en présence, celle du très modeste « député-maire ». Pas de suspens en vue et la garantie pour Sébastian Pirlot de régner à sa guise avec un Collège acquis à sa dévotion. 

Parmi les dossiers sur la table du nouveau Collège, celui de la fermeture de l’école primaire de Chiny. Faute d’inscriptions suffisantes, le Collège a décidé de mettre la clé sous la porte dès fin août, avant même d’attendre le délai légal du 1er octobre. Et pourtant, ce n’est pas faute d’enfants à Chiny ! Seulement voilà : face à l’incompétence notoire de l’institutrice en charge de cette implantation, nombre de parents s’étaient résolus à inscrire leurs enfants dans les écoles des villages voisins. On notera au passage que le pouvoir organisateur de cette école communale, à savoir le Collège communal, était parfaitement au courant de cette situation qu’il a – délibérément ? – laisser pourrir. Avec le lot de complications que l’on imagine en termes de fatigue supplémentaire pour les enfants, stress et coûts pour les parents obligés de parcourir en voiture plusieurs kilomètres matin et soir – le Collège communal n’ayant évidemment pas pris l’initiative d’organiser un transport scolaire ! Sans compter la pollution engendrée par une circulation automobile intensifiée. 

Délibérément ? Sitôt prise la décision de fermer définitivement l’école, le maïeur a fait part de ses projets ! Faire table rase du lieu et place nette à un projet immobilier d’envergure au centre d’un village au caractère rural affirmé. Un projet qui aura en outre pour effet de confisquer définitivement au village un espace naturel mis en valeur au cours des années par un aménagement créatif (verger, prairie sauvage, plan d’eau, plaine de jeux, etc.). Face à ce projet, la population a manifesté son opposition, notamment sous forme d’une interpellation, en janvier 2019, à l’attention du Collège, donc du bourgmestre souverain, lui demandant de bien vouloir reporter cette décision de vente et d’accepter une concertation avec les habitant·e·s. Consul- tés personnellement, certains élus avaient marqué leur appui à cette interpellation, exprimant eux aussi leur opposition à la vente. Mais étonnamment, au moment du vote du Conseil, aucun des élus n’a osé marquer son veto à l’encontre de la volonté forte de Sébastian Pirlot. Sans sourciller, sans broncher, sans le moindre commentaire, la vente a été scellée. Peur, soumission, pression ? La Boétie parlerait sans doute ici de cette servitude volontaire face à la tyrannie. Dans la commune de Chiny, le consentement populaire semble érigé en pratique habituelle, aucune contestation n’a cours. 

UNE URGENCE SUSPECTE 

Il n’est ni inutile ni anodin, pour comprendre cette précipitation mayorale, de se pencher sur le parcours récent du député-maire de Chiny. Après plus de vingt ans de « militance » au PS, il a annoncé en janvier de cette année quitter ce parti, soit près de trois mois après les élections communales, où il s’était pourtant bel et bien présenté sous cette couleur. Ses électrices et électeurs ont-ils apprécié ce qui, tout en étant légalement admis, ressemble à une sorte de trahison. Et devenu bourgmestre non-apparenté, il a désormais les coudées plus franches pour développer son entreprise personnelle, une boîte de communication, Game of coms, que cet ancien journaliste a mise sur pied en 2017, préparant ainsi pas à pas sa reconversion. Tout en utilisant judicieusement les opportunités que lui offre son maïorat pour tisser une toile relationnelle bien utile. 

FOIN DE L’ÉTHIQUE

Dans le même temps, l’on appréciera les valeurs affichées sur le blog du site de la société de communication du bourgmestre de Chiny(2). Ses modèles en la matière ? Donald Trump, Vladimir Poutine ou Nigel Farage, le ténor pro-Brexit eurosceptique et anti-immigration. Le slogan de Game of coms, c’est assumer les fake news, la désinformation, les vérités alternatives et la post-vérité. Visiblement, le bourgmestre de Chiny a eu l’occasion d’affûter sa connaissance d’une communication efficace et cynique au sein du sérail politique. Voici par exemple les conseils qu’il livre sur son site(3) :

COMMENT FABRIQUER UNE FAKE NEWS ? 

Voici 5 règles de base à respecter : 

  1. Autant le rappeler, car c’est une règle fondamentale : la fake news ne doit pas dire la vérité ;
  2. Pour réussir une fake news, n’hésitez pas à l’étoffer jusqu’à l’excès et même à la parsemer, çà et là, de quelques détails abracadabrants : fantaisie et fioriture sont la clé de voûte du fait alternatif si l’on veut attirer l’attention ;
  3. Aussi réussie soit-elle, votre fake news sera souvent plus ou moins identifiée comme telle. Dès lors, lors de la conception initiale, n’oubliez pas d’y insérer une pincée de vérité qui vous permettra d’éteindre l’incendie ainsi allumé ou, à tout le moins, de mettre en oeuvre un contre-feu bienvenu ;
  4. Les plus grands producteurs de fake news sont unanimes : il faut toujours accuser les autres (par exemple, un journaliste) d’avoir créé une fake news avant d’en être soi-même accusé. Cela permet de se dédouaner beaucoup plus facilement ;
  5. Enfin, pour devenir un maître dans l’art de manier la fake news, il ne faut hésiter à s’entraîner et à persévérer : il faut donc en utiliser régulièrement ! 

Voilà donc les valeurs prônées par le député-maire-communicateur de Chiny, responsable, entre autres, de l’enseignement de sa commune ! Il reste hélas plus de cinq ans aux citoyen·n·es de Chiny à vivre sous la tutelle d’un bourgmestre aux états d’âme proches du néant. 

Légende :
Sébastian Pirlot, Le journal intime d’un homme de Chambre, Image Publique Éditions, 2016. Toute l’arrogance de Sébastian Pirlot, champion de la communication décomplexée, s’exprime dans cette couverture. 

Sophie Michel

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