Le Covid dans un centre d’accueil

David* travaille dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, en Belgique. Comprenant plusieurs centaines de personnes, des états grippaux « étranges » apparaissent dès le mois de mars 2020. La direction du centre prévient sa hiérarchie, mais celle-ci recommande de ne rien faire et laisser les occupants continuer à dormir à 8 par chambre. Ce laxisme dénote avec la sévérité des mesures qui seront mises en place quelques semaines plus tard. Il n’y aura aucun mort, mais les effets des mesures politiques ont été redoutables. Le témoignage de David montre deux éléments essentiels : rien n’a été fait quand il aurait fallu agir ; ceux qui sont déjà victimes de nos sociétés iniques, le sont une deuxième fois.

Kairos : Le centre d’accueil pour demandeurs d’asiles dans lequel tu travailles accueille-t-il de nombreuses personnes ?

David : Oui, les chambres vont de 3 à 8 personnes. C’est une ancienne caserne militaire, donc de gros bâtiments, et les gens sont entassés les uns sur les autres. Pour te donner une idée, je pense que lorsqu’il y a 8 personnes dans une pièce, celle-ci doit faire moins de 25m².

Pourquoi tu décides de nous contacter ?

J’avais visionné un de vos teasers que mes potes avaient partagé(1). J’ai vu qu’il y avait une volonté de penser différemment ce qui est en train de se passer, ces événements auxquels on assiste que je n’arrive pas à comprendre… Je lis pas mal et je m’y intéresse beaucoup, et au départ il me semble qu’il y avait des stratégies pour lutter efficacement contre la covid, au moins enrayer sa propagation. Je parle du mois de mars 2020. Le confinement était une de ces stratégies. À ce moment les masques, les gestes barrières, on ne savait pas trop… On sait maintenant que ça aurait pu être efficace. Et donc en mars, on a vu les gens tomber malades les uns après les autres. Pas des cas graves, plutôt des pertes de goût, perte d’odorat. Au moment de l’été, cela a cessé, on a considéré que c’était grâce aux mesures qu’on avait mises en place, mais c’est entièrement faux. La distanciation, les masques, le gel désinfectant, dans un centre comme le nôtre, c’est juste pas tenable.

Donc à la fois, dans les médias on nous disait qu’il y avait des mesures prises et respectées, mais dans la réalité de certains milieux, notamment celui où tu travailles, il n’y avait factuellement rien qui était fait. Tu expliques aussi dans le courrier que tu nous a envoyé qu’au tout début vous avez pourtant prévenu les autorités ?

Tout début mars, en premier lieu, un jeune gars d’une vingtaine d’années a eu une grippe bizarre. À ce moment on savait déjà qu’il se passait quelque chose, l’Italie avait confiné, la France était à deux doigts de le faire… On a un peu paniqué et on l’a envoyé aux urgences. Vu qu’il était jeune, pas vraiment à risque, ils ont considéré que c’était une grippe normale et nous l’ont renvoyé en bus, sans masque ni aucune protection. On a tenté de l’isoler comme on pouvait, mais c’était compliqué, et on a prévenu toutes les autorités, dont notre Département. Il n’y a pas eu de réaction, le déni a duré presque un mois. On était les derniers à mettre en place des mesures comme la réduction du personnel présent sur le site ou l’adaptation des rythmes. Les deux dernières semaines de mars, la Belgique était confinée et nous, nous étions encore tous à travailler sur place, à faire des réunions à trente autour de la table. On flippait. On voyait à la télévision les gens qui mouraient et les spécialistes qui entraient dans les chambres « suspectées covid » habillés en cosmonautes, alors que chez nous les masques étaient interdits. J’ai un collègue qui est venu un jour avec un masque ; on lui a dit de le retirer pour ne pas provoquer la panique.

La direction interdisait le port du masque ?

Notre Département, oui, en tout cas. Le mot d’ordre était : puisqu’on n’a pas assez de masques pour en fournir à tous les résidents, les membres du personnel n’en porteront pas. On devait cependant continuer à faire des visites de chambre, les gens avaient peur, auraient pu péter les plombs, penser qu’on les laissait mourir. Résultat, un nombre exponentiel de malades, plus que les autres années, mais aucun cas sévère, et ça sur tout le réseau d’accueil! Enfin, cela au moment où on avait des nouvelles. On nous a considérés comme des héros. On n’a eu aucun cas grave, ni aucun mort.

Tu as l’impression que c’est de l’incompétence, que ça a été mal géré, ou que c’est quelque chose qui ressemble plus à une volonté ? Car tu nous disais dans ce courrier qu’on vous a ensuite demandé d’agir en opposition totale avec le laxisme du début. Comment l’interprètes-tu ?

On sort les parapluies. Maintenant on a des masques, donc on nous demande de les mettre, alors qu’au départ nous étions très réticents… La population n’était pas capable de bien les utiliser, et on nous demandait de signer des documents affirmant que c’était pourtant le cas, pour se décharger. On nous donnait des directives qui sont totalement inapplicables. Les dernières mesures, c’est de la folie ! Là nous sommes reconfinés depuis deux semaines(2), un confinement qui n’en est pas vraiment un, et on a demandé si on allait, au centre, repasser au régime du printemps (réduction du personnel présent sur le site). On nous a répondu que non, qu’on n’était pas du tout dans le même cas de figure. On a les masques, le gel, alors on peut continuer à s’entasser. Ils ont encore attendu 15 jours avant de nous envoyer un résumé du Vade Mecum de Fedasil sur les nouvelles mesures gouvernementales, qui conseille notamment de s’organiser de manière à ce que les gens viennent manger chambre par chambre, mais on ne peut pas leur demander ça ! C’est encore une manière de se déculpabiliser : on édicte des mesures, on vous demande de mettre des choses en place, et si vous ne le faites pas, ou n’êtes pas en mesure de le faire, c’est votre responsabilité. Et les demandeurs d’asile ne pourront pas porter plainte plus tard pour absence de protection.

Et maintenant on responsabilise les citoyens, comme si c’était de leur faute. Ça devrait sonner autrement pour toi ?

Oui, totalement. Moi je me suis aussi un peu exposé au centre, parce que je disais « attention, on est en train de leur dire que s’ils tombent malades, c’est de leur faute », alors qu’on ne fait rien pour eux. Là ça fait plus ou moins six mois qu’ils se rendent compte qu’ils ne meurent pas du covid, de toute façon, et que leurs amis et famille, partout en Belgique et dans le monde, n’en meurent pas non plus, ni ne développent de cas graves de la maladie. Mais on les empêche de vivre. En plus l’Office des étrangers a été fermé, les procédures s’allongent encore, on leur interdit de travailler… Ça a repris un peu, notamment avec la saison des pommes, qui est une grosse opportunité pour les demandeurs d’asile. En plus c’était une grosse année, et on n’avait pas les Polonais ou les Roumains pour les récolter, donc les fermiers étaient en demande. Beaucoup de réfugiés profitent de cette occasion pour travailler.

On n’en parle pas beaucoup de ça…

On n’en parle pas. Mais donc oui, beaucoup ont été travailler en août, septembre, octobre. Ils peuvent se faire pas mal d’argent comme ça. Ils peuvent gagner peut-être 1.500, 2.000 euros en un mois alors que d’habitude ils reçoivent 12,90€ par semaine. C’est de l’argent qu’ils envoient au pays, et ça a une réelle incidence. Mais si on leur dit qu’ils ne peuvent pas y aller parce qu’ils ont été en contact covid… et c’est ça qui s’est passé. On a un gars qui est testé positif, mais il n’a rien, il a vingt ans et est en parfaite santé. On l’isole dans une chambre-container, des containers qui sont arrivés à la fin de l’été (avant on avait aucun moyen de faire ça. Tout a toujours été entrepris après le pic épidémique, avec un énorme retard). On l’isole et on dit à toute sa chambre qu’en attendant de se faire tester, ils doivent rester en quarantaine. Ils ne sont pas malades, n’ont aucun symptôme, et on leur interdit d’aller bosser. Mais c’est leur meilleure chance sur l’année, le manque à gagner est énorme et ils n’avaient aucune compensation… donc ils y allaient quand même. Pas que les pommes. Ils sont tous dans des contrats précaires qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre.

Les gens sont entassés dans le centre. Si on venait avec une caméra, quelle serait la réaction ?

Déjà les autorisations pour y entrer vont être très compliquées à obtenir, presque impossibles. Surtout maintenant.

Dans ton courrier, tu nous disais que le risque que tu avais de perdre ta place en parlant de tout ça. Pourtant tu ne décris que la réalité, et ce que tu dis devrait pouvoir être dit. Pourquoi tu as l’impression que tu pourrais perdre ta place ?

Premièrement, dans notre Département ils sont très frileux. La communication est extrêmement cadenassée, le milieu est très hiérarchisé. De plus, quand on se déplace, où qu’on aille, on représente l’institution. Même ce qu’on poste sur Facebook peut être perçu comme une atteinte à son image, certains se sont déjà fait virer pour ça. Il y a vraiment une surveillance et un cadenassage autour de la communication des centres. Je me suis d’ailleurs énervé, car le nôtre avait publié fin septembre que cela faisait des mois que nous respections scrupuleusement les mesures anti-covid, que la distanciation sociale, les gestes barrière, le port du masque, le gel hydroalcoolique faisaient partie de notre quotidien, mais c’est faux ! Mon collègue était chargé de publier ça et j’ai réagi car, pour moi, c’est mentir aux gens. Il m’a répondu qu’il comprenait que cela revenait à mentir, mais que ça nous donnait bonne image. Et c’est vrai qu’on a pas spécialement envie qu’on parle de nous, étant donné qu’il serait très facile pour certains de dire ensuite que c’est la faute des étrangers si le virus se propage.

Il y a une sorte d’omerta. Vous vous protégez et ainsi, indirectement, vous couvrez aussi le gouvernement.

Oui. Et je crois, à titre personnel, que les mesures qui sont prises actuellement ne fonctionnent pas à long terme. C’est pour ça qu’il y a de plus en plus de gens dans les hôpitaux. On ne demande pas à des grands-parents d’arrêter de voir leurs petits-enfants pendant des mois, voire des années ! Si c’est pour trois mois, on se confine tous et on fait un effort. Mais là on se rend compte que ça va durer beaucoup plus longtemps, et que ce ne sera pas tenable. Et je trouve ça fou qu’au centre il n’y ait pas encore eu une révolte ! On a des théories complotistes qui circulent, surtout chez les Africains, parce qu’en Afrique il ne se passe rien, ou du moins les gens ne meurent pas massivement. Pourquoi ? Je ne me l’explique pas précisément. Mais donc ces personnes se posent des questions, se demandent ce qu’on veut leur faire faire en finalité. On a parlé de tester un premier vaccin en Afrique, ça a fait du foin ! C’est tout le temps sur les mêmes qu’on tape, et ces réfugiés, qui sont déjà embarqués dans des démarches à rallonge, qu’on va parquer dans des cités dortoirs à Bruxelles ou Anvers, vont être les premiers à souffrir d’un reconfinement et à se faire taper dessus s’ils dépassent le couvre-feu d’une minute, et ne pourront même pas passer une journée à la mer en cas de déconfinement. Ça fait beaucoup.

Et d’ailleurs, en termes de vaccin, les autorités vous ont-elles fait part de leur politique ? Les réfugiés pourraient-ils être les premiers ?

Pourquoi pas, il y a des chances. D’après ce que j’ai lu, ce serait d’abord les personnes âgées et le personnel soignant. De toute façon, nous on passe toujours à travers les radars ! Au début, on n’a même pas testé les centres comme le nôtre. Ensuite, quand la politique est devenue celle des tests massifs, là ça a changé, et plusieurs centres ont même été confinés. J’avais eu un contact avec un infirmier qui travaille dans un de ces centres… Ah oui d’ailleurs, encore une mesure incompréhensible : pour éviter les va-et-vient, les permissions sont passées de maximum dix jours à minimum un mois ! C’est-à-dire qu’en temps normal, les résidents sont autorisés à quitter le centre pour maximum dix jours, question de rentabilité des places disponibles. Maintenant donc, cette durée est passée à minimum un mois. Mais à un moment ils doivent bien revenir, chercher leurs affaires par exemple… ils ne peuvent pas. On a eu le cas d’un gars qui est revenu alors qu’il était censé être à l’extérieur. Il revenait d’Anvers, donc d’une zone rouge. Test obligatoire pour lui, il est positif, et donc pour tous ses copains; la moitié l’était également, mais asymptomatique. Bref, ils ont testé tout le centre, et bien entendu il y avait une proportion assez importante de cas positifs pour confiner le centre. Ce qui veut dire vigiles, totalement inutiles, autour du centre, centre qui est, avec ou sans vigiles, une vraie passoire. C’est une perte d’argent.

Depuis le deuxième confinement, y a‑t-il de nouvelles contraintes pour vous ?

Malgré le fait qu’ils pourraient théoriquement passer le confinement à l’extérieur, au vu de la règle des quatre semaines, ils préfèrent rester au centre. C’est très risqué pour eux de sortir du réseau. D’autant plus que la plupart ont déjà « abusé » de l’hospitalité de leurs connaissances (souvent précarisées elles aussi) durant le premier confinement. Donc le centre est complet, contrairement au premier confinement. Mais des nouvelles contraintes non, pas vraiment.

Tu évoques aussi la politique vis-à-vis des enfants…

Ce qui est dur concernant les enfants c’est que, déjà, ils n’ont pas été scolarisés depuis le mois de mars, quasiment. Quand il y a eu une sorte de « rentrée », très peu ont été concernés. Un grand nombre va finir en décrochage, et en termes d’intégration c’est désespérant. L’école c’est le meilleur moyen pour eux de s’intégrer, mais on est en train de leur enlever cette possibilité, en plus de celle de s’instruire et d’apprendre la langue. Ils prennent un retard considérable. Ça peut avoir de grosses conséquences sur leur avenir. On leur a aussi expliqué qu’ils pouvaient potentiellement « tuer » leurs parents ou leurs grands-parents. C’est un traumatisme. De plus, personne n’osait les approcher, plus aucune activité n’était organisée pour eux. Toutes les personnes qui leur rendaient visite, comme par exemple les volontaires de l’école des devoirs, ne venaient plus. Maintenant on commence un peu à se déstresser par rapport à eux, mais ça a été très dur.

Au niveau professionnel, considères-tu que les effets négatifs des mesures sont pires que les effets du virus ?

Oui. Et d’ailleurs, les collègues du bureau médical disent qu’elles n’ont jamais vu autant de cas psychiatriques. Les gens ont envie de bouger, de travailler, de faire des rencontres, mais aussi d’oublier leurs soucis. Ceux qui sont là au centre ont souvent un passé difficile, et être confiné, ça signifie ressasser ce passé tout le temps. Il y en a qui ne dorment plus, qui pètent les plombs. Et ça, ça n’est pas l’affaire de cinq mois, ils en souffriront toute leur vie. J’ai envie de casser ma télévision quand je vois une infectiologue tout sourire, cheffe de service et caetera, qui gagne sûrement très bien sa vie, dire « faites un effort de quelque mois, sur toute une vie ce n’est pas énorme, pour que je puisse travailler correctement ». Je suis d’accord qu’il faut protéger le personnel soignant, bien entendu, et ils ne sont pas du tout responsables de l’état des hôpitaux et de la situation dans laquelle on est, mais ce ne sont pas les seuls à souffrir. Alors quand Alexander De Croo dit « notre unique préoccupation, ce sont les hôpitaux et le personnel soignant », c’est pas possible. C’est le premier ministre de tous les Belges, normalement. Toutes les mesures ne peuvent pas être uniquement destinées à secourir les hôpitaux, ça a des conséquences énormes sur la vie des gens et même si ce n’est que pour quelques mois, ça peut leur ruiner la vie. S’ajoute à ça la culpabilisation, partout, tout le temps. Si tu es malade, c’est de ta faute. À la place de nous donner les moyens de pouvoir nous soigner, on nous interdit d’être malades. Pour les gens qui ont tout à construire ici, comme les jeunes ou les réfugiés, c’est lourd de conséquences. Les perspectives, l’espoir d’une vie meilleure… s’envolent quand tu quittes ton pays où c’est la merde et qu’ici, c’est pire. Alors oui, je considère que le remède est bien pire que le mal lui-même. On arrête la vie.

Tu as d’autres collègues qui ont envie de témoigner, de parler, ou tu sens qu’ils ont peur ?

Les gens ont peur de perdre leur boulot. Ils ont peur de la maladie aussi. Mais on se rend bien compte qu’on ne va pas en mourir, du covid ! C’est-à-dire qu’on a compris qu’on n’était pas une population à risque. Si je dis cela à ma collègue, elle me répondra « oui, mais je connais quelqu’un qui… », mais gratte un peu ! Si tu as vécu le pic épidémique de printemps sans aucun problème, pourquoi rester dans l’inquiétude ? On nous dit qu’on va tous crever, et « regardez ces gens, là, qui ne respectent pas les distances de sécurité ! ». Il faut arrêter.

Ce n’est même plus permis d’ailleurs de dédramatiser la maladie. On appelle ça maintenant les « rassuristes »…

Oui, pour ne pas dire complotistes. Je ne sais pas si c’est réellement efficace, ou si on va éradiquer le virus comme ça, je ne pense pas, à vrai dire. Les gens continueront toujours de bouger. Et il faut arrêter de culpabiliser les gens parce qu’ils tombent malades.

Actuellement, on a zéro cas positifs sur plusieurs centaines résidents, et ce depuis plusieurs semaines, alors qu’on est dans un environnement plutôt propice à la propagation. Les malades étaient limite considérés comme des pestiférés, parqués dans des containers, donc peut-être qu’ils se cachent de peur qu’on les teste et les confine. Mais si un d’entre eux avait des symptômes visibles, ça se saurait, et en tout cas nous on n’en voit plus. Et aucun mort !

Dans le camp Moria, là où ils sont 13.000 à la place de 3.000, qui a brûlé à Lesbos?, où ils sont mille pour deux toilettes, ça aurait dû être l’hécatombe ! Pourtant, rien. Maintenant qu’on sait qui développe des cas graves du virus, c’est vers là qu’il faut aller. Investir dans la protection de ces gens-là, mais pas arrêter la vie d’une population entière, qui ne risque rien. Cependant, on explique aux gens que tout le monde est en danger. Un ministre s’insurge en disant qu’il y a été, dans les hôpitaux, et qu’il y a vu des jeunes. L’un avait 28 ans, mais il souffrait d’obésité grave. Alors bien sûr, vu qu’on a une population de plus en plus vieille et de plus en plus obèse, on meurt plus. Mais on n’arrive même à faire croire à des gamins de 15 ans qu’ils peuvent en crever, et devenir des assassins en le propageant. Alors respectez les gestes-barrières, gardez vos distances… arrêtez de vivre. Les résidents auraient eux aussi leur mot à dire. Parfois ils m’en parlent. Certains me disent que c’est une grosse farce, d’autres pointent le fait qu’on leur parle de coronavirus, mais qu’on les empile dans des chambres de 8… À ce moment-là, je ne peux que leur dire que oui, ils ont raison. D’où la dissonance, et le besoin d’en parler ici aussi. Notre métier est presque devenu de la prévention covid. On passe un temps dingue à ça, on les harcèle presque ! Mais ils supportent. Si c’était de si dangereux personnages, comme on aime à le dire, il y aurait déjà eu des émeutes. Mais ils restent tellement calmes. C’est plutôt le personnel qui flippe !

Dans les banlieues c’est pareil, Molenbeek aurait déjà pu s’enflammer ! La police n’arrange rien. Il y a quand même un gosse de 18 ans qui s’est fait buter(3). Bientôt on ne pourra peut-être plus filmer les policiers, ils vont pouvoir s’en donner à cœur joie, et c’est toujours les mêmes qu’on va contrôler. Ça va donner une raison supplémentaire, sanitaire cette fois, pour taper sur les jeunes Arabes. Leur mettre des amendes de 250 euros parce qu’ils portent leur masque sous le nez. De l’argent qu’ils n’ont pas, donc certains font l’autruche, et ils commencent leur vie avec la justice au cul. On le leur retirera de leur CPAS de 867 euros. C’est eux qui se font contrôler, car ils circulent plus, ils ne sont pas en voiture, ils doivent travailler au black, donc ils n’ont pas d’attestation valable pour sortir après le couvre-feu… De plus, ils ne savent pas bien parler la langue, donc pas bien s’expliquer, pas bien non plus s’informer par rapport à toutes les règles qui changent constamment, et que même nous, nous avons du mal à suivre. Difficile de communiquer avec les flics, et très facile de se retrouver au cachot. Tout ça pour dire qu’encore une fois on tape sur les personnes les plus précarisées. Toujours. Et même nous, les travailleurs, on rentre dans ces comportements-là. On les culpabilise. Mais on est dans l’humanitaire, nous. On est censés les défendre, mais on ne le fait pas.

Interview par Alexandre Penasse

Retranscription : Alice Magos

*Pseudonyme.

Notes et références

  1. NDLR. Le teaser du documentaire à paraître de Bernard Crutzen « Ceci n’est pas un complot ».
  2. L’interview a eu lieu mi-novembre.
  3. NDLR. Le cas d’Adil, tué par des policiers lors d’une course poursuite ; policiers qui viennent de bénéficier d’un non-lieu.

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