LA MORT D’ARMAND DE DECKER OU LE JUST IN TIME POLITIQUE

On savait que les événements mortuaires étaient peu propices à une saine franchise et qu’avec le défunt partait aussi fréquemment la vérité. Linceul blanc et immaculé en jour de deuil. Pas de taches donc, et la disparition d’Armand De Decker ne fait à ce niveau pas exception.

La mort de l’homme public fait par contre ici office de figure parfaite de l’omerta de nos mafias politiques, dont les médias rendent possibles la scène, et offre une des ces rares occasions d’une mise en pratique de cette théorie politique qu’on n’enseigne pas à l’université. C’est là que ça en devient particulièrement intéressant, car la manière de traiter le décès d’Armand De Decker nous informe sur le rapport de l’État et de ces institutions à la vérité, la justice et le crime. En effet, au lieu de rester confiné au recueillement intra-muros du cimetière et de l’église, le spectacle de « l’homme bon » sort ici du lieu privé et s’offre à au public, relayé chez tous ces êtres qui connaissaient le nom mais ne connaissaient pas l’homme, et en devient dès lors d’autant plus malsain. Ce ne sont en effet plus les vices et les défauts que l’on occulte pour ne point blesser celui qui ne sait plus se défendre, mais des crimes que l’on tait et qui, restés occultés, ont eu et auront des effets sur le réel.

Funérailles nationales et hommage militaire pour la pègre politique

Ce 20 juin avaient donc lieu des funérailles d’État pour Armand De Decker, avec honneurs d’un détachement militaire à l’arrivée de sa dépouille. Présents, ses ennemis, ses amis, sa famille. Si l’on comprend qu’il a payé pour les autres, et qu’après le strass et les paillettes, ce fut l’abandon et le silence, on peut saisir que la grandeur de l’événement est inversement proportionnelle au silence des mois précédant sa mort, cette dernière signant dès lors pour certains l’occasion d’une « grande fête ». Apothéose, car ce qui part avec Armand De Decker, ce sont tous ses secrets concernant le Kazakhgate, et, avec eux, les implications possibles et plus que probables : un coup comme celui-là, ça ne se fait pas seul(1)… Ce n’est dès lors pas un accès paranoïaque qui nous fait interpréter certaines bribes de discours entendues lors des derniers hommages : « Tu n’a pas eu la grâce d’être père, tes enfants auraient pu relayer ta colère » (son frère, Jacques De Decker). Quels que soient nos sentiments par rapport à l’homme, payer seul pour les autres induit toujours quelque chose qui ressemble à de l’injustice et de la colère. Rappelez-vous la cours de récréation quand vous étiez petit…

Les enterrements politiques sont aussi l’occasion de réunir les crabes et constituer le panier : ça pue l’affectation, ça sourit au-dessus et pince sous la table, guindé, faux et vide. L’hypocrisie de ceux qui encore hier donnaient des coups de couteau dans le dos, est affaire courante. Leurs éloges sont à la mesure du réseau qu’ils ont tissé et des liens qui les tiennent : « je sais cela sur toi et je ne dirai rien car tu en sais autant sur moi ». Plus que rendre un dernier hommage, on vient aussi parfois enterrer les secrets, et, pourquoi pas, préparer de nouveaux coups. Armand De Decker en savait beaucoup, c’est une évidence. Et il faut sans doute voir, plus que dans les ultimes éloges, un profond remerciement pour les années futures paisibles que la mort de l’homme permettra à certains vivants. « Nous avons une dette envers toi. Notre amitié va au-delà de la mort », dira Herman Van Rompuy. Sûr. Didier Reynders pourrait en dire autant, mais surtout plus, lui qui est au centre de tout. Le délient de ces crimes ceux qui pourraient, comme lui, se voir serrer pour les leurs.

L’opportune disparition

Selon nos informations, Armand De Decker est mort d’une insuffisance respiratoire, mais quelques-uns dans les hôpitaux se questionnent sur la véritable raison de son décès… on parle de maladie de Charcot, curieux non, quand on sait la dégénérescence qu’elle provoque ? Quoi qu’il en soit, pour l’instant, cette disparition ne pouvait pas tomber mieux, car de nouvelles révélations sur le Kazakhgate et Didier Reynders, en lice pour devenir le futur secrétaire général du Conseil de l’Europe, auraient avec certitude ruiné les espoirs de le voir remporter la fonction face à Mme Marija Pejcinovic Buric, dont les résultats sont attendus ce mercredi 26 juin . Dans le même temps, se serait envolée cette opportunité sublime de quitter définitivement la politique belge le 1er octobre 2019, et donc, un peu comme Armand, mais sans mourir, de saisir l’impunité, avec le grand départ européen et son all-inclusive 30.000 €/mois + immunité.

Le fait qu’Armand De Decker passe l’arme à gauche assure à Reynders et sa clique des CDD. Mais n’y voyez aucune interprétation, le hasard fait parfois bien les choses, n’est-ce pas ? Quelques heures après sa mort, la presse avalisait déjà : « Kazakhgate: la mort d’Armand De Decker met un terme aux poursuites… et à l’enquête? » (Le Soir) ; « L’action publique concernant Armand De Decker est éteinte » (La Meuse) ; «L’action publique concernant Armand De Decker dans le dossier du Kazakhgate est éteinte » (Sud Info) ; « L’action publique concernant Armand De Decker dans le dossier du Kazakhgate est éteinte » (La Libre), … Leur empressement à déclarer la clôture du dossier avait presque des relents de soulagement joyeux. Avec l’homme, presse et monde politique enterraient ses vérités.

Éric Arthur Parme

Espace membre