Allégeance médiatique au patronat

Ou la "misère" du top management

C’est aujourd’hui que Sophie Dutordoir prend officiellement les rênes de la SNBC (…) De nombreux défis attendent l’ex-PDG d’Electrabel, et la ponctualité des trains n’est pas le moindre, le tout avec un plan d’économie de trois milliards en toile de fond, Sophie Dutordoir aura du pain sur la planche ».(1)

Et oui, le pain est déjà sur la planche, prêt à être coupé. Pas d’alternative. Et par-ci, par-là, on entérine la réalité qu’on veut pour qu’elle s’inscrive au mieux dans les esprits – déjà prêts pour la plupart. Béatrice Delvaux, l’éditorialiste des patrons et familiers du BEL20, y va de toute son admiration, ce matin d’intronisation : « Chère Sophie Dutordoir, personne ne vous envie ce rôle »(2). La pauvre en effet, elle en a besoin du soutien médiatique en ces temps de disettes, alors qu’on se demande comment notre chère Sophie bouclera ses fins de mois… « Permettez-nous de vous envoyer ces quelques mots, alors que vous prenez vos fonctions à la SNCB. Une manière pour nous de saluer la joyeuse effervescence qui semble vous habiter depuis que vous avez été désignée pour exercer ce rôle qu’en fait, en Belgique, personne ne vous envie. Vous êtes bien la seule à avoir fait des bonds de joie lorsque vous avez appris cette désignation que vous désiriez de tous vos vœux : autour de vous, nombreux sont ceux et celles qui ont agité leur index sur la tempe en se disant «  Mais que va-t-elle faire dans cette galère ?  ».

Rire, amertume, dégoût. Et rage.

Certes, « autour d’elle » il n’y a certainement pas un chômeur en fin de droit, un SDF (dans le sens de « sans domicile fixe », pas de « sans difficultés financières » qui pour la plupart sont également sans domicile fixe… car en possédant plusieurs et fréquentant les 5 étoiles) ou une mère au foyer privée de son supplément de chômage, qui sortiraient un peu la tête de l’eau s’ils n’avaient ne fut-ce qu’un mois du salaire de Sophie.

Elle va ramer, la forçat. Elle qui déjà en 2012 cumulait les mandats, notamment chez GDF-Suez ou à BNP Paribas Fortis. A l’évidence, ce n’est pas dans un Conseil d’Administration des ces deux dernières structures qu’on se lamentera sur la situation d’inéquité inédite de ce bas monde, où 8 personnes possèdent plus que la moitié de la planète et 1 % plus que les 99 % restants. Y’en a qui bosse, c’est tout ! : les « 8 » et les « 1% » ont mis la main à la pâte (on en revient au pain…), les autres n’avaient qu’à trimer.

Mais bon, à rire quotidiennement de leurs inepties et non-sens, il se peut doucement que le rire devienne jaune, et se mue en colère noire. Et puis en rage.

Un réseau mondial de paradis
fiscaux a permis aux plus riches
de cacher quelque 7 600 milliards de dollars.
Rapport Oxfam 2016

Bon, passons sur l’impossibilité matérielle du « tous riches » , argutie qui ne fonctionne que sur la croyance de tous ceux qui ne le sont pas et espèrent un jour le devenir, avec la probabilité, quasi nulle comme à la Loterie, qu’ils le deviennent, et revenons-en aux malheurs de Sophie.

Nous n’y croyons plus, et leur rappel à l’ordre, à plus de fermeté, leurs gesticulations pour faire oublier que le ver de la corruption est dans le fruit du système capitaliste, leurs mensonges, leur non-questionnement de la richesse indécente, comme cette couverture du Soir avec Bill Gates et Bono en héros multimilliardaires : « Le capitalisme, une brute qui a besoin d’instruction » (Le Soir, 23/02/17) — mais pas de l’instruction à se séparer de leur fortune et la partager -, tout ce spectacle et ces bonimensonges, nous donnent la nausée.

Les malheurs de Sophie

La pauvre Sophie donc, se retrouve là, seule. « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. L’adage est connu, mais là, vous faites fort : quitter votre charcuterie/traiteur qui sentait bon le Primitivo et le vitello tonato (sic), pour cette folle entreprise qui a eu raison si pas de la peau, de la patience et surtout de la réputation des patrons qui s’y sont succédé ! D’autant que vous allez faire don de votre CV, de vos nuits, de vos jours et de vos temps libres pour la « modique » somme de 290.000 euros par an ». Les guillemets n’y feront rien : vous avez bien lu: « modique », donc « infime », « insignifiant », « sans importance »… synonymes qui en disent long sur le niveau de justice sociale de l’éditorialiste.

«Vous allez faire don (sic) de votre CV, de vos nuits, de vos jours et de vos temps libres pour la « modique » somme de 290.000 euros par an »

Si Béatrice Delvaux n’a pas tout à fait la même définition du don que nous(3), nous  plaignons toutefois avec elle cette  pauvre Sophie, qui, en plus de ce salaire de misère, « ce salaire cadenassé», va se « coltiner des syndicats tout puissants (sic), des partis politiques qui considèrent le chemin de fer comme leur chose électorale, des pouvoirs fédéraux et régionaux sans vision commune, un voisin de palier (Infrabel) avec lequel deux de vos prédécesseurs se sont étripés ».

C’est quand qu’on l’ouvre? Vraiment(4).

Mais l’espoir est là, à la fin : « Et pourtant, Chère Sophie Dutordoir, ce sont des milliers de paires d’yeux qui vous implorent, ceux de ces navetteurs – actuels mais aussi tous ceux qui n’osent plus le devenir (sic) –, qui espèrent que le miracle se produise : un train qui part et arrive à l’heure et des trajets qui, au quotidien, cessent d’être un cauchemar ».

La fraude fiscale coûte — au bas mot — chaque année 20 milliards d’euro à la Belgique

Oui, chères lectrices, chers lecteurs, le miracle peut venir, l’espoir, enfin, est là! Non pas l’espoir que les structures qui appauvrissent et asservissent s’écroulent sous le poids de notre révolte ; non pas que les paradis fiscaux qui siphonnent la richesse produite soient démantelés (5) ; non pas qu’on en arrive à un monde décent où notre existence ne se limite pas à un travail « alimentaire » qui sert à rembourser nos dettes et acheter les produits « bon marchés », les gadgets technologiques fabriqués par les esclaves du Sud; non pas que l’existence quotidienne cesse d’être un cauchemar pour la masse qui vit en dessous du seuil de pauvreté, l’enfant qui toutes les 5 secondes trépassent, non par accident, mais du fait du pillage occidental et du mode de vie qui va avec.

Non ! Mais « un train qui part et arrive à l’heure ». (6)

Alléluia.
Alexandre Penasse

P.S.: il faudra peut-être envisager sérieusement la nécessité de la prise de pouvoir…

 

Notes et références
  1. La Première, 07/03/2017
  2. Voir http://plus.lesoir.be/84802/article/2017–03-07/chere-sophie-dutordoir-pe…
  3. Logique du don (cf. Marcel Mauss) sur laquelle repose tous rapports humains et ne s’inscrit évidemment pas dans un fictif « service rendu » rétribué environ 25000 euros par mois.
  4. Notamment lorsque, exaltée par l’après-Charlie et la certitude de travailler tel un soldat à la grande oeuvre journalistique et au travail pour la liberté, Béatrice Delvaux osait, au risque de sa vie, dire « qu’elle allait continuer à l’ouvrir ». Voir http://www.kairospresse.be/article/nous-ne-sommes-pas-tous-charlie#sdfoo…
  5. Richesse non partagée qui génère l’austérité « nécessaire », et l’obligation pour le peuple de s’endetter par  auprès de ceux-là mêmes qui ont volé la richesse commune.voir notamment le dossier du Kairos de février-mars 2017, « Du Nord au Sud: les peuples enchaînés par la dette ».
  6. Pour le saccage qu’est la privatisation du rail, voir http://www.kairospresse.be/article/le-rail-les-machines-et-la-voie-royale-vers-la-privatisation, mais aussi notre dossier dans le Kairos d’avril-mai 2014: « Les transports publics: investir dans l’infrastructure, ou s’investir dans le bien commun ».

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