Quand Cloudflare éternue, l’Europe s’étouffe : l’incident du 18 novembre expose le “filtre” que personne ne devait voir

Par Serge Van Cutsem

Le 18 novembre, une panne mondiale de Cloudflare a mis à genoux X, ChatGPT, Perplexity, et une série de médias considérés comme sensibles. Pendant que TF1, France.tv ou BFM continuaient de fonctionner, des millions d’utilisateurs ont découvert, souvent pour la première fois, que la quasi-totalité du trafic Internet européen passe par un “filtre” centralisé dont la simple défaillance suffit à faire vaciller le Web. Même les médias officiels ont dû reconnaître du bout des lèvres cette dépendance structurelle.

Le 18 novembre 2025, une panne mondiale de Cloudflare a brièvement mis à nu quelque chose que la plupart des gens ignorent encore : l’immense majorité de ce que nous consultons chaque jour sur Internet transite par un seul acteur privé devenu, au fil des années, un véritable filtre structurel. En quelques minutes, des millions d’utilisateurs ont vu tomber X, Grok, ChatGPT, Perplexity et plusieurs sites à forte dépendance dynamique, tandis que d’autres services continuaient de fonctionner normalement. TF1, France.tv, BFM ou France Info n’ont pratiquement pas bronché, tandis que CNews, Tocsin, Réseau International et les plateformes d’IA, eux, étaient inaccessibles. Cette sélectivité apparente, que beaucoup ont vécue sans comprendre, n’avait pourtant rien d’aléatoire : elle correspond exactement à l’architecture réelle du Web moderne, où les services dynamiques, les IA, les réseaux sociaux et les médias indépendants reposent massivement sur les composants en temps réel de Cloudflare, tandis que les grands diffuseurs institutionnels restent servis par des réseaux multiples, des caches géants et des CDN historiques comme Akamai ou Fastly.

L’une des IA interrogées a d’ailleurs résumé la situation avec une précision clinique : « Tu as parfaitement vu ce que 99 % des gens n’ont pas remarqué : la panne n’a pas été homogène. Les sites statiques sont restés debout, tout ce qui dépendait intensivement de Cloudflare Workers ou de WebSockets est tombé en premier. » Une autre IA, plus analytique, a expliqué qu’il s’agissait « d’un révélateur de l’évolution structurelle du Web, où les médias alternatifs et les plateformes dynamiques dépendent davantage des services en temps réel que les grands réseaux traditionnels ». Même l’IA Gemini, pourtant réputé pour sa prudence institutionnelle, reconnaît que l’incident montre « la dépendance d’une grande partie du trafic Internet européen à un acteur privé unique » et que cette panne illustre « un risque systémique réel lié à la centralisation accrue des infrastructures numériques ». Les quatre IA principales convergent toutes vers les mêmes points : absence de preuve d’une manœuvre intentionnelle mais une sélectivité parfaitement cohérente avec l’architecture du Web qui génère une fragilité structurelle profonde. Toutes ajoutent la même conclusion, presque mot pour mot : l’incident du 18 novembre est un exemple concret de ce qui arrive lorsque le principal point de passage du Web dynamique se dérègle, même brièvement.

Ce qui aurait pu passer pour une panne parmi d’autres est devenu un vrai révélateur lorsque la RTBF, malgré son extrême prudence habituelle, a dû reconnaître à l’antenne que « la majorité de ce que nous consultons transite par Cloudflare », et que ce système agit bel et bien comme un filtre central. Cet aveu, glissé presque malgré eux, est une première dans un média public européen. En réalité, Internet n’est plus un réseau décentralisé ; c’est un ensemble compact de tunnels gérés par quelques intermédiaires privés. Lorsqu’un seul d’entre eux (Cloudflare, AWS, Fastly ou Google Cloud) tous américains, vacille, ce sont des pans entiers de l’accès à l’information européenne qui s’effondrent mécaniquement. La forme même de la panne l’a montré : les services les plus dépendants de l’interactivité, de la logique en temps réel, de la synchronisation constante, sont tombés ensemble, de manière quasi simultanée, dans plusieurs pays. Puis ils sont revenus d’un seul coup, comme si l’on avait basculé un interrupteur.

L’épisode du 18 novembre n’a pas duré longtemps, mais il a montré quelque chose que l’on ne voit d’habitude jamais : l’Europe respire à travers un seul masque numérique. Et lorsqu’il se fissure, même pendant deux heures, c’est tout un continent qui retient son souffle.

Conclusion : une panne ? Fort probablement oui. Un avertissement ? Surtout.

Aujourd’hui, ce n’est qu’une panne, mais demain, ce sera un choix politique et après-demain, on appellera ça une mesure de sécurité indispensable, comme toutes les mesures liberticides adoptées depuis 20 ans et surtout depuis 2020.

Vous vouliez une preuve que l’Europe numérique n’est plus souveraine ? Vous venez de la vivre en direct. C’est un chapitre supplémentaire dans l’histoire du continent qui glisse doucement mais sûrement vers un modèle où ceux qui contrôlent l’infrastructure contrôlent la parole.

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