
Tomorrowland, fleuron des festivals belges de l’été, de réputation mondiale, a été victime d’un incendie, d’origine toujours inconnue, qui a détruit l’intégralité de l’immense scène principale (160 mètres de largeur, 45 mètre de hauteur), deux jours avant l’ouverture officielle qui attend pas moins de 200.000 visiteurs. À l’annonce de la nouvelle, j’avoue avoir éprouvé une Schadefreude, une joie mauvaise. Pourquoi ? Parce que ce genre de manifestation illustre tout ce qu’il y a d’exécrable dans notre monde indécent : le divertissement pascalien des foules, ici abruties par des rythmiques techno obsédantes et des artifices pyrotechniques ; le narcissisme des homo festivus « m’as-tu-vu sur les réseaux sociaux juchée sur les épaules de mon copain, les bras en l’air » ; le gigantisme ; la démesure ; le mauvais goût des décors kitsch tape-à‑l’œil ; la volonté de bourrer le tiroir-caisse. Ajoutons‑y encore une gabegie énergétique délirante (consommation électrique, eau des sanitaires, emballages de nourriture, milliers de festivaliers étrangers rejoignant le site par avion), alors que « nos autorités » et les écologistes en appellent à la sobriété de tout un chacun et aux petites économies pour sauver la planète. Hypocrisie, comme d’habitude.
Depuis Malpertuis, roman de Jean Ray paru en 1943, on sait que les figures de la Grèce antique se faufilent toujours dans notre monde, 2.500 ans plus tard. À trop s’approcher du soleil, Icare est tombé dans la mer et s’est noyé. Nemesis, elle, punit les présomptueux qui veulent se mesurer aux dieux. Certes, Icare a réussi cette fois à se faire repêcher, le festival aura bien lieu sans Orbyz (dénomination de sa scène principale), mais les organisateurs de Tomorrowland en tireront-ils la leçon philosophique : l’hubris est un péché ? Ou bien sécuriseront-ils encore mieux le site à l’avenir ? À votre avis ? « Tomorrowland ne meurt jamais », titre triomphalement Le Soir du 18 juillet. Peut-être, mais le grand raout a perdu de sa superbe. Heureusement, notre pays compte aussi et surtout des festivals à taille humaine. C’est l’un de ceux-là que je visiterai.