Le Puy du Fou : une société décente au cœur de la Vendée

Par Serge Van Cutsem

“Quand la beauté, la mémoire et la cohérence prennent le dessus sur le formatage”

Durant cet été, période des vacances, pourquoi ne pas aborder des sujets moins pénibles que ceux qui se succèdent de plus en plus vite ? Alors un peu de légèreté et d’optimisme ne fera pas de mal.

Par-delà les polémiques médiatiques et les clichés tenaces, il est un lieu en France qui échappe aux catégories habituelles. Un lieu qui attire plus de deux millions de visiteurs chaque année, sans publicité tapageuse, sans mascotte criarde, sans capital spéculatif. Un lieu où l’on parle d’Histoire, de culture, de chevaliers, de paysans, de cathédrales et de destin collectif, ceci dans une forme de récit accessible à tous, des plus jeunes aux plus mûrs, ce lieu s’appelle le Puy du Fou. Quand on connaît son histoire, il porte bien son nom car il fallait en effet un grain de folie pour entreprendre ce projet quasiment pharaonique.

Pendant deux jours, j’ai exploré ce parc unique qui est à des années-lumières des standards formatés du divertissement globalisé, et ce que j’y ai découvert dépasse largement le cadre d’un parc d’attractions et même d’un simple parc à thème classique. J’y ai trouvé un modèle à part, qui mérite d’être décrit pour ce qu’il est réellement : une expérience culturelle enracinée, une aventure humaine fédératrice, et, sans aucun doute, un exemple d’organisation anti-productiviste appliquée à grande échelle.

Une genèse artisanale et visionnaire : tout commence en 1977, quand Philippe de Villiers, encore étudiant, imagine une fresque vivante retraçant l’histoire locale, sur les ruines d’un vieux château vendéen. L’initiative, portée par une poignée de bénévoles, donne d’abord naissance à la Cinéscénie, devenue aujourd’hui le plus grand spectacle nocturne permanent au monde, joué par près de 2.500 bénévoles, appelés les « Puyfolais ».

A partir de 1989, autour de cette fresque s’est construit un parc à thème d’un genre nouveau : sans manèges, sans publicités, sans licence Disney ou Marvel et surtout sans actionnaires avides de dividendes. Seulement des spectacles vivants, immersifs, portés par l’émotion, la narration, le patrimoine et la musique, tout ceci sans capitaux étrangers et sans financiarisation.

Ce qui tranche avec les habitudes, c’est que le modèle économique du Puy du Fou est à contre-courant total des logiques dominantes dans le secteur du loisir. Sa structure n’est pas cotée en Bourse et elle n’a pas ouvert son capital à des fonds d’investissement. Elle reste gérée en famille, aujourd’hui par Nicolas de Villiers, fils de Philippe, garantissant ainsi une continuité dans la vision et les valeurs.

Les bénéfices sont réinvestis intégralement dans l’amélioration des spectacles, la restauration du patrimoine, la création artistique, ou encore dans la transmission des savoir-faire via l’Académie du Puy du Fou.

Le choix de ne pas ouvrir la porte aux spéculateurs est un acte politique et surtout civilisationnel. Il confirme qu’il est possible de bâtir une entreprise à succès sans sacrifier ses fondements et son âme sur l’autel du rendement immédiat et du paiement de dividendes.

Le Puy du Fou est l’exemple d’une gouvernance familiale mais non clanique, ouverte mais non dissolue. Il fédère des milliers de bénévoles autour d’un projet culturel où chacun trouve un rôle, un sens, une utilité. Ici pas d’artifices marketing, pas de script imposé par une franchise américaine, mais une transmission vivante, incarnée par ceux qui y participent. Les Puyfolais parlent souvent de fierté, de passion, de devoir de mémoire. Ce n’est pas un discours superficiel : cela se ressent dans les moindres détails : l’accueil, la précision technique, la fluidité de l’organisation. Tout repose sur une coopération harmonieuse entre salariés, bénévoles, techniciens, artistes et cavaliers, j’ai d’ailleurs eu l’occasion d’échanger à ce sujet avec des personnes bénévoles de la Cinéscénie dont l’enthousiasme faisait plaisir à voir.

L’antiproductivisme en actes : Ce que le Puy du Fou démontre avec brio, c’est qu’on peut atteindre l’excellence sans adopter les logiques industrielles de production de masse. Tout y est pensé pour l’expérience, pas pour le flux. Le visiteur n’est pas un “consommateur de sensations” taillable à merci, mais un témoin actif d’un récit collectif.

  • Les décors sont pérennes, pas jetables.
  • Les spectacles sont artisanaux dans leur conception, mais d’une exigence technique digne des plus grandes scènes.
  • Le temps est respecté : on ne pousse pas à la rotation rapide, mais à l’immersion lente.
  • L’écologie est intégrée dans l’aménagement, les circuits courts privilégiés, le parc abrite même une école de fauconnerie et des programmes de conservation.
  • Les lieux de restauration servent des produits locaux à des prix décents.

C’est cela, l’anti-productivisme réel : non pas l’idéologie décroissante à tout prix, mais le choix assumé d’un autre rapport au temps, à la nature, à l’humain et à la mémoire.

Il y a aussi la musique comme fil invisible de l’âme : il est impossible d’évoquer l’expérience du Puy du Fou sans parler de cette musique omniprésente, véritable colonne vertébrale émotionnelle de chaque spectacle. Musiques classiques, grandes œuvres connues ou compositions originales, tout y est intemporel, noble, et humain.

À chaque scène, le visiteur est saisi par un crescendo dramatique ou une envolée lyrique, qui transcende les mots et touche directement aux tripes. On y retrouve parfois les accents d’un Hans Zimmer, d’un Vangelis, ou les échos lointains de Beethoven, Vivaldi, Wagner, mais toujours avec cette même volonté : émouvoir et rassembler.

Cette musique-là ne vend rien et certainement pas des “tubes”, elle ne distrait pas, elle transporte, elle agit comme une mémoire sonore, gravée dans les cœurs longtemps après la fin du spectacle.

En résumé, le Puy du Fou est une réalisation singulière dans le paysage français.

On comprend dès lors pourquoi certains cercles médiatiques, politiques ou culturels voient cette réussite d’un mauvais œil. Elle dérange parce qu’elle réussit sans eux et elle prouve qu’il est possible de faire rêver en dehors du progressisme marchand, sans cynisme ni vulgarité.

L’amalgame facile entre le Puy du Fou et l’extrême droite ne tient pas, cette qualification n’a aucun sens, car elle vise à disqualifier sans débat ce qui sort du consensus idéologique, comme c’est désormais presque toujours le cas, accuser sans arguments et la plupart du temps sans connaître. Le public du parc lui ne s’y trompe pas car il est composite, intergénérationnel et populaire au sens noble du terme. La force du lieu est précisément là : réunir sans formater, élever sans diviser.

Le Puy du Fou n’est pas une machine à cash, ni un un outil de propagande, c’est une œuvre vivante, autonome, enracinée et pérenne.

Ce premier regard posé sur le Puy du Fou appelle naturellement à aller plus loin et donne envie d’y revenir. Il y a là une maîtrise des sens, de la transmission et de la beauté qui mérite d’être explorée sans a priori. Il permet de comprendre ce que nous avons peut-être perdu.

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