« Depuis cinquante ans, la simple idée qu’il puisse exister des limites écologiques à la croissance et à l’expansion est restée dissonante, minoritaire dans l’opinion publique, et carrément hérétique parmi les décideurs. L’idée de décroissance y est au mieux ignorée, au pire utilisée comme une invective facile pour disqualifier l’ensemble des écologistes comme autant de fous inconséquents. Le rejet est si fort que, même parmi les partisans de la décroissance, beaucoup préfèrent s’autocensurer (…) Pour l’écologie politique, le principal enseignement de l’élection de 2022 est la confirmation que la question des limites à la croissance reste un immense impensé politique, consciencieusement confiné hors du champ du pensable par une écrasante majorité des décideurs. Quelques brèches apparaissent parfois ici ou là, mais sans durablement faire émerger un projet politique en rupture avec la croissance et son monde. Il revient à l’écologie politique la tâche ingrate de s’interroger à nouveau sur sa raison d’être (…) Elle pourrait être porteuse d’un projet assumé de réduction massive des surconsommations des plus riches, de protection des plus vulnérables, de partage des richesses et de répartition équitable des efforts de sobriété, dans le cadre d’une décroissance en urgence des flux de matière et d’énergie – d’où moins de voitures, moins d’avions, moins d’équipements… »
C’est un extrait d’une excellente tribune de Luc Semal, maître de conférences en science politique, publiée au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle dans Le Monde.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le candidat de l’écologie politique officielle, Europe Écologie-les Verts, illustre de manière caricaturale cette stratégie d’évitement de la décroissance.
Citons-le simplement :
- « Le mot “décroissance” est un mot écran. Une fois que vous l’avez prononcé, les gens ne vous écoutent plus. Le mot “décroissance” […] ne raconte rien de l’éducation, de la santé, de la protection de l’environnement, du vivre-ensemble et de la répartition de la valeur créée. » Yannick Jadot, La Vie, 24 février 2022.
- AFP Infos, 18 février 2022 : « – La « sobriété énergétique » que vous évoquez régulièrement est-elle un synonyme plus acceptable de “décroissance” ? Yannick Jadot : — Non ! »
- « Le débat croissance-décroissance, je m’en fous complètement » Yannick Jadot, 27 août 2020, Rencontre des entreprises de France (MEDEF).
La stratégie « réaliste », comprendre « électoraliste », de Yannick Jadot est définie par l’idée de vouloir rompre avec l’image traditionnelle des écologistes pour apparaître comme un candidat « rassembleur et sérieux » en capacité d’accéder à l’Élysée. Le résultat en est qu’il tient un discours qui ne diffère plus de celui de ses concurrents, pire, qui surenchérit régulièrement dans l’anti-écologisme. Il en finit par s’opposer à sa propre base. Le voici donc :
- le premier candidat à enjoindre à la « vaccination » (thérapie génique expérimentale) obligatoire :
« Nous soutenons la vaccination, nous soutenons d’aller chercher chaque personne éloignée des systèmes de santé, les convaincre de se faire vacciner » : Yannick Jadot, LCI, 4 janvier.
- parmi les premiers candidats à réclamer la livraison d’armes pour un conflit extérieur :
« On ne va pas laisser les Ukrainiens se battre sans gilets pare-balles, sans réponse aux chars et aux tirs de missiles russes » (28 février 2022)
- soutien de la grossesse pour autrui (GPA), esclavage des temps modernes dénoncé par Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel,
- mais aussi de le techno-marchandisation de la reproduction à travers la PMA, de la marchandisation des corps tout simplement dans son soutien à la prostitution qui suscitait l’indignation des associations féministes : « “La honte absolue pour EELV. Une faute historique et antiféministe”, a tweeté le collectif Osez le féminisme. » (AFP, 3 décembre 2021).
- apôtre du numérique et autres délires technicistes contemporains (voitures et avions « électriques »)…
À tel point que Yannick Jadot réussit l’exploit de donner raison à Sandrine Rousseau quand elle observe : « Zemmour ou Macron imposent un récit. Nous, on vend des chaudières » (Le Parisien, 3 mars 2022) :
Obsédé par l’idée de séduire les mass medias, il enfourche régulièrement leur rhétorique débilitante, renvoyant tout contradicteur au « Point Godwin(1) ». Un seul exemple : « Présidentielle 2022 : “Il n’y a que l’extrême droite qui soutient le nucléaire”, répond Jadot à Macron », RTL, 11 février 2022.
« C’est peu dire que ces enjeux vitaux pour notre pays, pour nous et nos enfants, ont été largement ignorés dans cette campagne confisquée » déclarait Yannick Jadot dimanche soir en voyant son score de moins de 5%. Mais n’est-ce pas plutôt la stratégie qu’il incarne qui a confisqué l’écologie aux écologistes conséquents ? N’est-ce pas lui qui, à force de vouloir s’émanciper de sa base, a fini par être incapable de la rassembler ?
Tout ça pour à la fin devenir le parfait « idiot-utile », ou rabatteur de voix, du candidat du cabinet McKinsey & Company, « & Company » c’est-à-dire les consultants de Pfizer, Iliad ou Altice médias. Soyons sans crainte pour Yannick Jadot : nul doute que son ambition finisse par être récompensée un jour par un poste de ministre quand il finira lâché par un EELV déçu de ses résultats. Alors Luc Sémal a raison : il revient à l’écologie politique la tâche passionnante de revenir sur sa raison originelle de porter le projet assumé de décroissance.
Vincent Cheynet, rédacteur en chef de La Décroissance
- NDLR : (Internet) (Sens propre) Instant d’une conversation où les esprits sont assez échauffés pour qu’une référence au nazisme intervienne. (Internet) (Ironique) « Récompense » qu’on attribue à une personne qui en est venue à faire référence à Hitler ou au nazisme comme argument dans une discussion sur un tout autre sujet.