
Par Serge Van Cutsem
Après avoir promis la paix en Ukraine en 24 heures, Donald Trump adopte désormais une posture de chef de guerre par procuration. Dans un revirement spectaculaire, il appelle à une reconquête totale par Kiev, tout en annonçant que les États-Unis continueront à livrer des armes… mais que l’Europe paiera la facture et enverra les soldats. Comme toujours, l’Amérique fait la guerre à distance, sur le sol des autres, avec le sang et l’argent des autres. Et pendant que l’OTAN se frotte les mains, Trump enterre définitivement son image d’anti-système.
Il fut un temps – pas si lointain – où Donald Trump jurait ses grands dieux qu’il mettrait fin à la guerre en Ukraine « en 24 heures », qu’il couperait le robinet à dollars et à missiles, qu’il réduirait l’OTAN à un club de discussion vaguement stratégique, et qu’il ferait passer l’Amérique avant les lubies guerrières de l’Europe.
Mais ça, c’était avant son étrange mue. Avant qu’un clone sous stéroïdes globalistes ne prenne le contrôle de son compte X Truth Social pour publier une déclaration aussi inattendue que délirante : « L’Ukraine peut reconquérir toute son intégrité territoriale, avec l’aide de l’Union européenne et de l’OTAN. Nous fournirons les armes, et bonne chance à tous ! »
Pardon ? Qui parle ? Donald Trump ou Victoria Nuland ? Même Joe Biden, dans ses rares jours de lucidité, n’aurait pas osé…
En quelques lignes, le chef autoproclamé de l’Amérique souverainiste est devenu le porte-parole zélé de l’Alliance atlantique. Celui qui dénonçait hier les aventures militaires ruineuses annonce aujourd’hui, avec l’enthousiasme d’un VRP des cinq cavaliers de l’Apocalypse industrielle[1] , que les livraisons d’armes vont se poursuivre. À charge pour l’OTAN de s’en « débrouiller ». Traduction : que ça explose, que ça saigne, mais surtout … que ce soit loin de chez nous.
Et là est toute la subtilité toxique de la manœuvre : Trump ne propose pas d’envoyer un seul soldat américain, pas une goutte de sang yankee ne coulera. Pas un dollar de plus que ce que le complexe militaro-industriel jugera rentable. En bon businessman, il propose à l’Europe de financer le conflit, de se saigner aux quatre veines jusqu’à appauvrir totalement sa population, pour entretenir une guerre sans fin, pendant que l’Amérique reste à l’abri, encaisse les profits, et regarde les troupes européennes aller au casse-pipe. Et ça, ce ne sera pas la première fois dans l’histoire de ce grand pays qui s’enrichit avec des bombes.
Faire la guerre, oui – mais avec l’argent des autres, les morts des autres, et les ruines des autres.
Mieux encore : Trump ridiculise la Russie, qu’il compare à un tigre de papier. Après des années à louer la puissance de Vladimir Poutine et à se présenter comme l’homme du dialogue musclé, le voilà qui sonne la charge : « La Russie est à genoux, l’économie est en miettes, et l’Ukraine n’a jamais été aussi forte. » Il ne manque plus que l’appel à une contre-offensive vers Moscou avec la bénédiction du Pentagone.
Mais ce n’est pas une première depuis son retour au pouvoir. Déjà après le carnage de Gaza, Trump avait jeté aux orties son image de pacificateur du Moyen-Orient, préférant applaudir les bombardements massifs sur des populations civiles, quitte à surpasser Biden dans l’indécence guerrière. Cette fois, c’est l’Ukraine qui sert de théâtre à son virage idéologique.
Ceux qui croyaient voter pour l’anti-système en 2024 découvrent, médusés, qu’ils ont élu un clone atlantiste. L’Amérique d’abord ? Disparue. La paix dans le monde ? Remise à plus tard. Le réalisme géopolitique ? Enterré sous une avalanche de missiles livrés aux généraux d’opérette qui se prennent pour Napoléon en pantoufles.
Et pendant ce temps, le complexe militaro-industriel se frotte les mains. Peu importe le président, pourvu que les usines tournent. Trump l’homme libre est devenu Trump le logisticien de l’OTAN, un simple fournisseur d’armes avec le sourire. Il a troqué la casquette rouge MAGA pour un képi de sergent-recruteur européen. Le tout, sans se mouiller.
Certains y verront du cynisme, d’autres une trahison électorale. Personnellement j’y vois un aveu : même Trump n’a pas résisté aux pressions de l’Etat Profond. L’Empire, c’est comme une centrifugeuse. Il vous attire, vous retourne, et vous recrache dans le sens du vent. Il promettait de nettoyer le marais, mais il s’y promène désormais en guide touristique, veillant à ne froisser aucun crocodile.
Alors non, Trump ne mettra pas fin à la guerre en Ukraine. Il l’alimente, il l’encourage et il la justifie avec les mots de ceux qu’il prétendait combattre.
À ce rythme, on attend avec impatience son prochain slogan de campagne : « Make NATO Great Again »
Et comme toujours, l’Histoire se répète, travestie sous les habits neufs d’un “plan de paix”.
Derrière les sourires diplomatiques et les ultimatums maquillés, l’objectif reste inchangé : dédouaner Israël, diaboliser les Palestiniens et offrir à Washington un vernis d’arbitre impartial. Ce “cadre en vingt points” n’a jamais été pensé pour aboutir, il a été construit pour échouer et transformer cet échec programmé en argument politique.
Car le véritable message, soigneusement emballé dans le papier glacé des conférences de presse, est simple : “Regardez, nous avons essayé. Mais encore une fois, ce sont eux, les Palestiniens, qui refusent la paix.”
Une manipulation rhétorique vieille comme la diplomatie de guerre : promettre la paix pour justifier la guerre, accuser la victime pour blanchir le bourreau, et travestir l’occupation en “stabilisation”.
Le résultat ? Un scénario déjà vu : le plan échoue, Israël poursuit son œuvre de destruction, et les chancelleries occidentales applaudissent la “modération” d’un processus qu’elles savent vide.
Trump, en stratège du spectacle, a simplement remis en scène le vieux mythe du faiseur de paix trahi par les extrémistes — un conte qui permet à chacun de sauver la face, sauf aux morts de Gaza.
Et pendant que les caméras filment les poignées de main, la guerre continue, la paix recule, et la vérité s’enfuit sous les décombres.
[1] Les cinq géants du complexe militaro-industriel américain (« Big Five ») : Lockheed Martin : premier fournisseur du Pentagone, > 65 milliards $ de chiffre d’affaires défense (F‑35, F‑22, missiles, satellites). Raytheon / RTX : ~ 70 milliards $ de chiffre d’affaires, leader mondial des missiles (Patriot, Javelin, Tomahawk, Stinger) et de la défense antimissile. Boeing Defense, Space & Security : ~ 24 milliards $ défense, spécialisé dans les avions de transport (C‑17), hélicoptères (Apache), bombardiers (B‑52, B‑21 Raider) et satellites militaires. Northrop Grumman : ~ 36 milliards $ défense, expert en furtivité, drones et programmes spatiaux (constructeur du bombardier furtif B‑21 Raider). General Dynamics : ~ 40 milliards $ défense, blindés (char Abrams), sous-marins nucléaires, systèmes de communication et d’information militaire. Ces cinq entreprises concentrent à elles seules l’essentiel des contrats militaires américains et pèsent chaque année plus de 230 milliards $ de chiffre d’affaires défense.