Il s’en est fallu de peu. Quelques dizaines de milliers de voix et tout basculait. On ne reviendra pas sur les dernières péripéties de cette campagne, sur l’acharnement, venant de partout et jusqu’au président normal, qui aura été mis à discréditer le candidat porteur d’un salutaire et enthousiasmant changement ; ce serait raviver un peu plus la terrible déception ressentie là-bas et chez quelques-uns d’entre-nous, ici. Car, oui, ici aussi « on » y a cru, tout semblait possible, le but était proche, il y avait cette fièvre de l’attente de l’incroyable surprise. Puis le verdict est tombé et, comme beaucoup, j’ai mis du temps à m’en remettre. Ensuite, comme prévu et savamment orchestré, on a eu droit à ce fameux second tour. D’un côté le vilain Front National, de l’autre, le gentil Macron, jeune, tout beau, sympathique et terriblement républicain; les électeurs n’avaient pas l’embarras du choix, il tombait sous le sens que pour défendre les valeurs sacrées de la démocratie il fallait que tout un chacun, dans la sphère politique, exprime à haute et intelligible voix de quel bord il était. Si beaucoup ont claironné qu’il fallait porter son vote sur Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen, quelques autres se sont abstenus de rendre publics leurs états d’âme ; à commencer par J‑L Mélenchon qui s’en est tenu à la conscience de ses partisans. Et, comme de bien entendu, les meutes de ses adversaires se sont mobilisées pour, une fois de plus, déformer ses propos et son choix.
De cela, on a l’habitude, c’est presque devenu un lieu commun. Mais, une fois encore, il est bon d’insister sur le fait que, si cet homme est l’objet de tant de dénigrements et d’attaques souvent des plus farfelues et ne portant que sur des propos volontairement tronqués ou biaisés, ce n’est bien évidemment pas sa personne qui est en jeu ici mais bien le projet qu’il porte et sur lequel des millions de gens ont porté leur vote lors du premier tour de l’élection présidentielle. Pour les tenants du désordre établi, il était et reste un danger de première grandeur devant lequel tous les moyens sont bons pour le discréditer. On ne dira jamais assez comment les « médias » et leurs fidèles servants ont usé de toutes les ficelles pendant la campagne électorale pour tenter, de mille façons, de discréditer et ridiculiser le leader de la France insoumise. Mais on ne met pas aussi facilement à terre un homme de cette envergure. Depuis l’échec de la présidentielle – toute relative, il faut y insister ! et en vue de la bataille pour les législatives, on aura vu Mélenchon reprendre des forces, rameuter et rassembler ses partisans, aller de ville en ville, intervenir partout à même les trottoirs devant des rassemblements enthousiastes et chaleureux. Car, bien évidemment, le nouveau locataire de l’Élysée entend bien appliquer le programme sur lequel il a été élu et la seule force organisée, structurée susceptible de mener la lutte à l’Assemblée est le mouvement de la France insoumise. Ses adversaires le savent et c’est la raison des innombrables et innommables attaques dont J‑L Mélenchon et ses amis ont été les victimes.
Pour les tenants du désordre établi, le leader de la France insoumise reste un danger de première grandeur devant lequel tous les moyens sont bons pour le discréditer
Mais soit. Il y a autre chose. Qui n’est pas sans rapport avec cette chronique ; il y a cette petite phrase-là : «Tout va contre le sens du cœur». Elle est là, à mon réveil, clairement inscrite derrière mon front ; première pensée de la journée qui commence, le lundi 29 mai 2017 à 7h15. Tout ce que l’on peut penser, voir, tenter d’expliquer et de comprendre est dans cette phrase. Le monde s’oppose au monde. Ou plutôt : un monde s’oppose au monde. Le monde de Macron, celui de l’ineffable Trump, le monde qui tient l’autre monde au bout de ses doigts. Les puissants, les propriétaires et les riches commerçants, financiers, agioteurs, accumulateurs à demi fous, cette poignée de gens de toutes origines sont une classe, une oligarchie consciente de son existence. Face à elle, l’autre classe, vous, moi, les milliards d’autres ; les plus ou moins pauvres, les dépossédés, les cocus qui s’ignorent. Cette classe ne se connaît pas en tant que classe, elle est faite de ces organismes déstructurés, éclatés en myriades d’atomes de plus en plus opposés les uns aux autres dans une lutte pour la survie dont l’abomination n’a pas de précédent dans l’Histoire. Les « riches » ont réussi ce prodige de faire en sorte que les pauvres et plus ou moins pauvres – ce n’est qu’une question de degrés dans la misérable échelle du pouvoir d’achat – se livrent une lutte sans merci pour gravir ces fameux degrés dans l’indifférence au sort du voisin, dans le silence de plus en plus pesant des consciences.
L’oligarchie mondialisée n’a pas besoin et se moque bien des masses de chômeurs que son système produit, pas plus qu’elle n’a réellement besoin des travailleurs de l’industrie ou des services partout encore en activité. Pour asseoir définitivement sa domination, il lui est seulement nécessaire de garantir la construction de villes sur mesure, défendues des hordes de manants par des escadrons de police privée et de la production des objets et des loisirs de luxe dont elle est la seule et unique consommatrice. Tout l’immense surplus de maind’œuvre peut bien être anéanti de telle ou telle manière, cela lui est parfaitement indifférent.
Mais nous, qui sommes de ces milliards condamnés à l’anéantissement, allons-nous rester les bras ballants, le cerveau définitivement figé, le cœur à jamais éteint ? Non ! Un autre monde est possible, où régneraient la justice et la recherche du simple bonheur ; où les hommes et la nature, enfin réconciliés, mettraient fin au malheur d’exister, où l’harmonie ferait place au chaos. Ce monde est là, devant nous si nous le voulons vraiment ; ne nous manquent que l’imagination, l’audace, le courage et les armes à forger pour forcer le destin.
Jean-Pierre L. Collignon