Après Jean-Pierre Dupuy, Yves Cochet et Hugues Stoeckel, on peut ajouter le nom du philosophe australien Clive Hamilton à la liste des auteurs catastrophistes. Son Requiem pour l’espèce humaine est un sommet du genre.
Sans faire référence aux autres menaces (perte de biodiversité, épuisement des ressources et des sols, pollutions, etc.), il limite son propos à la question climatique, à elle seule suffisante pour fonder l’hypothèse d’une forte diminution, voire d’une disparition de la population humaine dans le courant de ce siècle. Hamilton fait d’abord le point sur la recherche scientifique en la matière. Tous les calculs ont été revus à la baisse, c’est-à-dire que les conséquences se feront sentir encore plus tôt que prévu. L’augmentation de 4°C supplémentaires semble désormais inéluctable, même à supposer que l’humanité cesse immédiatement toute émission de CO2. Il faut donc admettre cette idée angoissante, prévient-il en psychologue, et renoncer : « […] un deuil sain exige un retrait progressif de l’investissement affectif dans les espérances, dans les rêves et les attentes pour l’avenir sur lesquels notre vie s’est construite » (p. 236). Cependant, nos obstacles intérieurs à ce deuil s’appellent la dissonance cognitive, le climatoscepticisme (de droite et de gauche), notre façon de réinterpréter la menace, nos propres valeurs (entre autres politiques), la recherche du plaisir et l’optimisme forcé qui « devient une façon de se désengager d’une réalité qui contredit la certitude profondément ancrée que tout se terminera bien » (p. 153) et qui nous amène à « prédire ce que nous préférons qu’il advienne plutôt que ce qui a le plus de chances d’advenir», selon les mots de la psychologue Shelley Taylor (p. 151). Depuis les Lumières, nous avons aussi divorcé avec la nature. S’il n’est pas partisan de la théorie Gaïa, l’auteur suggère que notre conscience soit « prête à admettre qu’une Terre peut être vivante tout en restant scientifiquement crédible» (p. 167). Il oppose le « moi indépendant » (celui des modernes individualistes) à un « moi interdépendant » mettant en avant les relations avec les autres, en ajoutant qu’une attitude équilibrée mélange les deux genres. Tous ces phénomènes expliquent pourquoi le corps social, inerte, renâcle à abandonner ses préjugés et à changer ses habitudes, alors même qu’il est de plus en plus conscient de la probabilité de l’effondrement. Hamilton taille ensuite en pièces les fausses bonnes solutions: géo-ingénierie – un vrai cauchemar –, capture du carbone, consumérisme vert et éco-blanchiment.
Nul n’étant parfait, on surprend l’auteur en flagrant délit quand il écrit : « La poursuite de la croissance économique est vitale pour sortir la population des pays pauvres de l’ornière […]» (p. 47), bien qu’il pourfende cette même croissance quand elle concerne les pays riches. Autre faux pas : « Je n’ai pas d’opposition de principe à l‘énergie nucléaire » (p. 194). À la fin du livre, il brosse un tableau sombre du futur, mais, hélas, certainement réaliste. Les sociétés n’ont pas d’autre solution que de se transformer collectivement pour faire face à l’inconnu, tenter de reconstruire l’avenir en surmontant la désintégration positive, concept désignant «la sensation d’effondrement de notre monde personnel lorsqu’une situation invalide les valeurs sur lesquelles nous avons fondé notre identité » (p. 238) ; ces valeurs étant celles de la consommation, à un tel point que « beaucoup, parmi nous, s’accrochent donc à leur identité manufacturée, au point qu’inconsciemment ils redoutent d’y renoncer plus qu’ils ne craignent les conséquences du réchauffement climatique» (p. 92). Autant dire que la porte de sortie est étroite! Parvenir à « re-conceptualiser la Terre », voilà un vaste programme…
Clive Hamilton, Requiem pour l’espèce humaine , Les presses de sciences-po, 2013, 265 pages.
Bernard Legros