Pourquoi tant d’Ukraine ?


Il est à la fois surprenant et désolant de voir que les scénarios se succèdent, que l’on y retrouve toujours les mêmes (grosses) ficelles et qu’une grande partie du public suit. Son attention retenue sur une seule ligne, sur le prêt-à-penser même s’il est erroné, à géométrie variable et souvent dénué de toute réflexion, de tout recul. 


La tendance du moment est au bleu et jaune. Il faut l’afficher, la colporter et marteler à quel point cet impératif prend le pas sur tout le reste. Que ce soit le quotidien de chacun ou l’avenir du monde. En outre, il est nécessaire de débuter chaque prise de parole par une condamnation ferme de la Russie avec si possible un mot douteux et un profond dégoût à l’encontre de son président (comme s’il était seul aux commandes et qu’il décidait partialement de tout). Et pas question d’y déroger. Ne pas soutenir inconditionnellement l’Ukraine (dans la réalité et sur les réseaux dissociaux) et émettre des réserves sur le contexte fait peser sur l’impie le soupçon « d’intelligence avec l’ennemi ». Il lui suffit d’ailleurs de poser quelques questions pour être aussitôt estampillé du sceau réducteur « pro-russe ». Étiquetage grotesque, digne successeur de « complotiste » ou « provax ». Raccourcis, dualisme, le sujet change, pas la façon d’opérer.
Être soumis à la vindicte de cohortes élevées au grain du prêt-à-penser est infamant pour qui essaie un tant soit peu de sortir de ce marasme sans nuances. Mais c’est en même temps terriblement prévisible. On retrouve tous les habituels et déplorables schémas de ce genre d’évènement. Avec une affluence de braves gens mobilisés depuis deux semaines, pleins de compassion pour le peuple ukrainien. Mais au fait, où étaient-ils et que faisaient-ils tous ces braves gens lors du massacre (qui se poursuit à l’heure qu’il est) de près de 13.000 civils (chiffre qui, dans ce cas, n’arrive pas à s’officialiser et suscite la controverse) dans le Donbass depuis maintenant 8 ans ? Que sav(ai)ent-ils des enjeux et de la chronologie qui amènent aujourd’hui « la guerre aux portes de l’Europe », comme le soulignent des médias jamais en panne de formule à l’emporte-pièce ?

Eh bien, ils n’en savaient rien ou presque parce qu’on ne leur avait pas demandé de regarder attentivement à l’Est de l’Ukraine. Le zapping et la méconnaissance (quand ce n’est pas l’ignorance) sont les apparats du bon citoyen qui s’avance fièrement pour dénoncer et soutenir les situations qu’on lui sert « clé en main ». De fait, il ne s’inquiète pas plus que ça, pour ne pas dire qu’il se contrefout, de ce qu’il se passe — entre autres exemples — en Palestine ou au Yémen. On attend toujours les sanctions et un boycott international contre Israël ou l’Arabie Saoudite. Et que dire, après tant de décennies et aujourd’hui encore, du rôle des États-Unis… 

Depuis longtemps, on ordonne au peuple quoi penser, quoi dire, qui sont « les bons et les méchants » … Bref, nourri à l’empathie circonstancielle, on lui dit de quoi se préoccuper et surtout de quoi s’émouvoir. Après l’opposition contrôlée, l’émotion contrôlée ! 

Ceux qui organisent « les réjouissances » et continuent leurs affaires tranquillement dans les coulisses, alors que le public suit ce spectacle prémâché, ont depuis longtemps compris comment gérer une matière humaine pourtant si volatile. Résultat : des habitants de tous pays bardés de bleu et de jaune sans cesse rappelés à leur émotion contrôlée. Pour ce faire, dans le coin des écrans des chaînes de télévision, le logo qui évoque en permanence que l’Ukraine a besoin d’eux, que là-bas des gens meurent et souffrent (sur ce point, nous sommes tous d’accord) et que c’est le sujet qui doit tenir leur esprit, que c’est de cela qu’ils doivent se préoccuper. 

Cette mention, qu’elle fasse un appel aux dons ou qu’elle illustre les sempiternelles « éditions spéciales » ressemble à celles qui décomptent les jours et/ou les heures avant une rencontre sportive de la plus haute importance. Le rendez-vous à ne pas manquer au risque de ne plus faire partie du groupe, d’être exclu de cette société unilatérale qui indique le seul chemin possible de votre pensée. Dans cette omniprésente incitation, c’est également un logo de ce genre qui vous rappelle que, ce soir ou demain, sera diffusé le premier épisode ou la suite de votre série préférée. De là à penser que la guerre « Russie-Ukraine » est le feuilleton à suivre… Selon le scénario et la production des mass-médias, évidemment. On passe de l’épaisse propagande à de la pure publicité. Effarant.

La méthode est identique à celle utilisée « pendant la pandémie ». Cette pandémie « meurtrière et sans frontière » qui a freiné le monde pendant presque 2 ans et qui s’est soudainement arrêtée le 24 février dernier. Si ce n’était pas aussi dramatique ça en deviendrait comique. Le même procédé donc, avec au coin de l’écran le nombre de morts en temps réel et un martelage systématique de la tragédie en train de se jouer. Du jamais vu et si l’on avait fait pareil avec les victimes du cancer ou de la faim, le monde se serait certainement arrêté.
Cette unification de la pensée pourrait être positive si elle était spontanée. « L’union fait la force » pourrait l’emporter sur le « diviser pour mieux régner ». Elle créerait ces« retrouvailles », cette alliance qui manque tant et qui est la clé face à l’implacable adversité, qu’elle soit sanitaire, guerrière, climatique, etc. Malheureusement, l’union que l’on aimerait sacrée arrive souvent trop tard et/ou sous l’angle de la peur. Actuellement, c’est l’épouvantail nucléaire qui est agité. Par des responsables politiques qui devraient tourner bien plus de sept fois leur langue dans leur bouche avant de s’aventurer sur ce genre de territoire. Le nucléaire réduit l’humain à son impuissance et à son balayage radical, dès lors, tout le monde est sur le même bateau.
« Un Titanic mondial » où dans l’urgence, on commence à envisager les autres passagers et leur vie pas si éloignée de la nôtre. Même si, par volonté de « ne pas savoir » et parfois par mépris, on trouve encore beaucoup de gens qui s’escriment à faire la différence entre les voyageurs de 1ère classe et les autres.
Bien entendu, ces réflexions n’ont pas leur place dans la précipitation médiatique, dans le verrouillage propagandiste, et ne peuvent qu’heurter les « braves gens ». Ils s’y pencheront éventuellement quand la poussière sera retombée. Mais il sera trop tard et puis leur émotion sera dirigée vers un autre « centre d’intérêt ». Malgré l’angoisse que l’on veut nous instiller, il est plus qu’important de raison garder. Dans la mesure et surtout avec distance. En ces temps terriblement manichéens, tâchons de ne pas l’oublier, qu’elle que soit l’issue de cette guerre, quel que soit le « vainqueur ». Avec des guillemets, attendu que tout acte de ce type avec ses morts, ses destructions et ses traumatismes n’apporte qu’une amère victoire et que personne ne devrait le cautionner. Si l’on simplifie, si l’on revient aux fondamentaux, ce sont aujourd’hui des peuples frères qui se livrent bataille. Qui pourrait s’en réjouir ? Les guerriers du dimanche bien installés devant leur écran et devenus spécialistes en génie militaire du jour au lendemain ? Ont-ils l’once d’un début d’une idée de ce que signifie une guerre ? En vrai, en dur, en sang.
Non, vraiment personne ne peut se féliciter des tragédies ambiantes. Peut-être est-ce le cas dans des hautes sphères ? S’il y en a pour le faire, alors c’est vers eux que tous devraient se tourner et demander des comptes. Sans compassion et à raison. Et si ces gens existent, alors ils ne sont peut-être pas étrangers à ce chaos diabolique, savamment orchestré. Réfléchissons‑y ensemble. Soyons attentifs, vigilants et plus que jamais dans la mesure du possible : unis.


Nicolas d’Asseiva, auteur de Pax Dystopia.

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