Contribution extérieure

Pourquoi refuser le QR-code

Avant tout, les signataires n’ont rien contre celles et ceux qui ont reçu leurs doses de vaccin. Chaque personne fait ce qu’elle juge bon, et il ne s’agit surtout pas là de donner des leçons à qui que ce soit. D’ailleurs, notre position n’est jamais « contre » les autres ; elle a juste du sens en soi, dans une sorte d’absolu politique.

Le QR-code, ce n’est pas pareil qu’avoir un numéro INSEE ou être fiché à la police. Le QR-code, c’est être introduit, de force, dans ce que l’ex-PDG de Google et aujourd’hui expert en sécurité au Pentagone, Eric Schmidt, appelle l’« écosystème technologique ». À la différence du numéro INSEE qui ne donne accès à des renseignements sur l’individu qu’à travers une architecture administrative assez complexe, le QR-code est lisible par n’importe quel « téléphone intelligent » (smartphone en français) muni de l’application qui permet de lire lesdits QR-codes. C’est-à-dire que, potentiellement et même réellement, dans des cinémas, des musées ou même au bistrot, une personne dépourvue de toute habilitation à contrôler l’identité de qui que ce soit peut néanmoins, grâce à son téléphone intelligent muni de l’application idoine, scanner le QR-code d’un quidam et décider s’il peut entrer ou non, boire un verre en terrasse ou pas, etc. Autrement dit, le QR-Code se présente comme un sauf-conduit qui renvoie à l’état de parias ceux qui en sont dépourvus ; donc, utiliser le QR-Code c’est être actif dans la pratique de relégation. Cela, il n’est pas question de l’accepter. Il n’est pas question d’accepter que chaque individu muni d’un téléphone intelligent soit potentiellement, et parfois réellement, le flic d’autrui. Si ce n’est pas une avancée totalitaire, il faudrait bien qu’on nous dise ce que c’est. C’est très grave.

Alors, à quoi cela sert-il de refuser le QR-code ?

Tout d’abord, n’oublions pas que des vaccinés manifestent contre le passe sanitaire, et, pour une bonne part, refusent d’en faire usage ; voilà un premier caillou dans la chaussure de l’État : malgré la politique visant à ériger les anti-passe en boucs émissaires propagateurs de l’épidémie, des vaccinés refusent de se séparer des non-vaccinés. Mais encore : il est essentiel aujourd’hui que certains individus restent « en dehors de l’écosystème technologique » et que ces « personnes cachées » que détestent Schmidt et tous les « capitalistes de surveillance » (selon l’appellation que donne Shoshana Zuboff au stade actuel du capitalisme) puissent devenir des « sujets politiques » gênants. Les non-QR-codifiés constituent un second caillou dans la chaussure des capitalistes de surveillance, et peuvent être aussi une référence pour tout le mouvement anti-QR-code, non-vacciné.e.s comme vacciné.e.s. Ce « quarteron de réfractaires », de fait marginalisé par l’État et tous ceux qui se servent du QR-code pour leur empêcher l’accès à certains lieux, pose de fait un problème éthique aux hésitants, aux « malgré-eux », à celles et ceux qui n’ont eu d’autre choix que d’accepter la vaccination sous peine de perdre leurs revenus. Ce problème n’est pas neutre ; il doit inciter à réfléchir et à lutter.

À l’inverse, si tout le monde était vacciné, il n’y aurait plus de raison de ne pas en arriver à l’étape suivante, un capitalisme non plus de simple surveillance, mais de contrôle absolu, « à la chinoise » ou plutôt selon un mode très intrusif et très peu visible, via les téléphones intelligents, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les GPS, les cartes bleues, etc. Les réfractaires gênent et gêneront l’ennemi, et c’est à nous, ensemble, de faire grossir cette plaie pour l’État en arguant que ces lois sur le QR-code sont inconstitutionnelles, parfaitement antidémocratiques, excluantes, stigmatisantes, « évinçantes » comme dirait le sinistre de l’éducastration. Il est toujours utile d’avoir des personnes stigmatisées, et ce qu’il y a là de nouveau, c’est que les réfractaires au QR-code sont des stigmatisés volontaires. Après tout, c’est une nouveauté politiquement intéressante.

À nous de nous organiser pour que les réfractaires aient eux aussi leurs lieux de rencontre, de culture, etc., et surtout pour que, vacciné.e.s ou pas, nous puissions, ensemble, susciter une opposition politique au contrôle total de la population. Refuser le QR-code, même si cela nous coûte à nous les réfractaires, n’a pas pour but de nous situer au-dessus de la mêlée ou « en-dehors » ; c’est pour faire émerger une conscience plus forte de ce que représente vraiment le contrôle total de la population via un outil aussi largement répandu que le téléphone intelligent.

Jetez vos téléphones intelligents (dans le bac « informatique » de la déchetterie, bien sûr !)

Distancez-vous d’un Maître !

Ensemble, faisons obstacle aux intentions de contrôle total de la population.

PS: Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, nous conseillons la lecture de L’Âge du capitalisme de surveillance, Shoshana Zuboff, éd. Zulma, 2020, et (en anglais), The New Digital Age, d’Eric Schmidt et Jared Cohen (pour ce dernier ouvrage, voir un compte rendu très détaillé sur le site piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=439 ou sur sniadecki.wordpress.com/2014/01/28/godard-age-digital).

Contact : groupe.huko@autistici.org

 

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