Il est de bon ton d’invoquer 1984 d’Orwell pour décrire l’actualité. Tentons l’exercice en y ajoutant une touche de vampirisme. Dans la dictature de Big Brother, la double pensée règne en maître. L’amour, c’est la haine, la guerre, c’est la paix et l’ignorance, c’est la force. Actualisons la liste :
La soumission, c’est la liberté
Dès que quelqu’un exprime sa volonté de ne pas se faire vacciner et critique le passeport sanitaire, il se heurte à une incompréhension sincère : « le meilleur moyen de retrouver notre liberté n’est-il pas d’être favorable à la vaccination ? La vaccination et le passeport sanitaire sont la clef pour rouvrir les restaurants, les cafés et retrouver la liberté, comment pouvez-vous être contre ?! ». L’argument n’est pas scientifique, sinon un débat constructif et didactique pourrait avoir lieu. Après tout, peut-être que la spécificité de l’actuelle pandémie est que l’immunité naturelle de ceux qui ne risquent rien, combinée à la vaccination des groupes à risques, ne suffit plus. Mais la question n’est pas là, l’objection est purement logique : comment est-il possible de ne pas admettre que pour être libre il faut se soumettre aux injonctions du ministère de la Santé ?! Dites que ces injonctions sont liberticides et on vous répondra que le vaccin n’est pas obligatoire. Rétorquez qu’il l’est par la pression des injonctions, et on vous invitera à ne pas tout mélanger. L’otage est absolument libre de ne pas payer sa rançon… C’est la logique même.
La discrimination, c’est l’équité
En droit, appliquer les mêmes règles à des personnes se trouvant dans des situations différentes est autant discriminatoire qu’appliquer des règles différentes à des personnes se trouvant dans une même situation. Mais ça, c’était avant. Osez dire qu’un jeune sans comorbidités n’est, face à la maladie, objectivement pas dans la même situation qu’une personne âgée, et vous provoquerez la réprobation. Ajoutez que devant étudier, travailler, découvrir le monde, interagir, fonder un couple ou une famille, ce jeune n’est, face au confinement, objectivement pas dans la même situation qu’un retraité dont les entraves à la liberté n’auront aucun impact sur les revenus présents et futurs, ni sur ses facultés à trouver du travail, construire sa personnalité, ou fonder une famille, et vous provoquerez une saine indignation. Faites ironiquement remarquer que puisque nous sommes tous dans le même bateau, les vaccinés devraient renvoyer l’ascenseur de la solidarité intergénérationnelle et accepter de rester confinés en fond de cale avec les jeunes non vaccinés, et l’indignation se transformera en noble colère. L’humanisme, la solidarité et la morale ne sont pas négociables. Argumentez que, quand bien même tous les vaccinés mouraient 10 ans après l’injection, un sexagénaire se ferait voler dix ans d’espérance de vie, tandis qu’un jeune de 20 ans s’en verrait voler cinquante. Ajoutez que cinquante ce n’est pas dix, et on vous reprochera un raisonnement sophistique, euphémisme du crime de la pensée. Dans la Novmorale, 2+2 n’est pas forcément égal à 4. L’ordre des médecins allemands préconise de conditionner l’accès aux crèches et aux maternelles, à la (totalement libre) vaccination(1). Si vous pensez qu’imposer (librement) une nouvelle technologie vaccinale, à des sujets qui en supporteront les éventuels risques sans en tirer le moindre avantage, c’est en faire des objets d’expérimentation, c’est vous qu’on traitera de Nazi.
L’outrance, c’est la nuance
Suggérez que le confinement ne touche que les personnes pour qui il constitue un désagrément nécessaire pour en éviter un bien plus important, et on vous répondra : « Comment osez-vous dire de laisser mourir les vieux et les malades !».
Si vous êtes vraiment maso, proposez que pour atteindre une couverture suffisante tout en épargnant les jeunes et les enfants, on rende le vaccin obligatoire pour les plus de 50 ans, en arguant qu’à partir de cet âge on en retire un avantage qui compense le risque théorique des effets à long terme, par définition, inconnus, des innovations vaccinales… écartèlement garanti entre ceux qui veulent vacciner tout le monde, et les antivax. Si vous êtes provaccination, ça ne vous posera pas de problème de l’imposer (pardon, le proposer) aux jeunes et aux enfants, ni de mettre sur un même pied le passeport vaccinal pour voyager sous les tropiques et le pass sanitaire pour aller au resto du coin. Si vous êtes antivax, ça ne vous posera pas de problème de dire que contre le poison vaccinal, diabétiques hyper tendus de 85 ans et jeunes sans comorbidités, même combat ! Ni de comparer le pass sanitaire à l’étoile jaune.
Ceux qui se situent entre les deux, qui cherchent des critères objectifs, le compromis et la proportionnalité, sont de dangereux extrémistes.
Le vampirisme, c’est l’amour de la jeunesse
Si vous aimez les jeunes et les enfants, vous devez les contraindre, par le confinement, à vivre comme des petits vieux. Ils ne risquent rien d’une maladie dont le vaccin vous protège ? Il faut donc les confiner, les masquer puis les vacciner. Les nouvelles technologies vaccinales sont tellement porteuses d’espoirs pour prolonger la vie des jeunes quinquas et de leurs aînés.
Si vous les aimez sincèrement, vous devez relayer avec une gourmandise macabre, la moindre information concernant un jeune aux soins intensifs, ou, mieux encore, mort. Protégeons notre jeunesse, maintenons-la dans la peur du variant ! Mais non, l’argument n’est pas au mieux abscons : tous les virus, même les plus bénins, ne mutent pas en permanence, et gagner la course aux variants dans un village mondialisé de huit milliards d’habitants n’est pas une chimère ! Mais non, l’argument n’est pas au pire pervers : il ne revient pas à souhaiter qu’un variant tueur de jeunes émerge, pour pouvoir justifier a posteriori toutes les souffrances inutiles que nous leur faisons subir !
Yvan Falys
- https://correctiv.org/faktencheck/2021/05/18/corona-nein-der-deutsche-aerztetag-hat-keine-zwangsimpfungen-fuer-kinder-beschlossen/?fbclid=IwAR1ENptVoyvNBMsWe6OEKxxSm4fQ1-thtrVO_PTP94le-9jrZoI2IqGsk7c