Contribution extérieure

Nudging et consentement éclairé : un duo qui ne fait pas bon ménage

Qu’est-ce que le « nudging » ? On peut tenter de définir ce terme, issu d’un verbe anglais, de la manière suivante : « Nudger : persuader quelqu’un de faire quelque chose, graduellement ou par la flatterie ; encourager délicatement quelqu’un à faire quelque chose »(1). Pourquoi en parler dans un contexte de crise politique et sanitaire ? Et surtout, quel rapport avec le consentement éclairé ?

Cette réflexion et ces questionnements me sont venus par la lecture des rapports d’un groupe d’experts en psychologie qui conseille le gouvernement pour la gestion de la crise actuelle et qui publie des rapports, tous disponibles en ligne(2). Je me suis tout d’abord réjoui de l’existence d’un tel groupe, au vu des impacts désastreux de cette gestion de crise sur la santé mentale de toute la population. Cela m’a semblé être une excellente décision que des psychologues se mobilisent et mettent la santé mentale à l’agenda des préoccupations urgentes. J’ai été assez vite surpris de voir que ce groupe comportait un nombre important de psychologues sociaux. Surpris car la santé mentale n’est pas la préoccupation principale de cette branche de la psychologie. Sur quoi conseillent donc les psychologues sociaux de ce groupe ? C’est en lisant le rapport sur les « Conditions préalables à la vaccination » que c’est devenu plus clair, et c’est sur ce dernier rapport que je me base pour écrire cet article. 

Dans ce rapport sont analysés les comportements sociaux de la population et ce qui est à faire pour inciter les gens à se faire vacciner et atteindre ces fameux 70% de couverture vaccinale, dont je ne débattrai pas de la pertinence dans le cadre de cet article. Je me contenterai de dire que cela ne fait pas l’objet d’un consensus dans le milieu scientifique(3). Ces mots m’ont interpellé : « inciter les gens à se faire vacciner. » Que voulaient-ils dire par là ? La lecture du rapport laisse peu de place au doute : il est ouvertement question de développer un cadre qui va inciter, pousser les gens à se faire vacciner, et tout un tas de conseils sont donnés pour atteindre cet objectif de 70% de vaccinés. Différentes techniques sont mises en œuvre pour arriver à cette fin, ce qui m’amène à présent à parler de ce fameux « nudging », qui se retrouve en toile de fond de ce rapport. Si ce terme n’est pas explicitement cité dans ce rapport précis, il l’est dans le rapport intitulé « Rapport de synthèse du groupe d’experts Psychologie et corona », à la recommandation numéro 7(4).

En voici une autre définition, qui vient d’un article scientifique cité dans le rapport en question : « Les « nudges » peuvent se définir comme des interventions qui orientent les gens dans une certaine direction mais qui leur permettent aussi de faire leur propre choix »(5). Le nudging est donc une technique qui vise à influencer, orienter le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes dans une certaine direction et qui, en fin de compte, lui laisse le choix. Ce dernier point est un paradoxe pour des raisons développées plus loin. De plus, ce que cette définition ne mentionne pas explicitement, bien que cela soit sous-entendu, c’est que le nudging se fait sans que la personne ou le groupe visés ne s’en aperçoive, ce qui est un aspect crucial. Il est intéressant de noter que l’article dont est tirée cette définition fait référence à la vaccination des enfants dans les écoles et les centres de jour, ce qui est totalement différent du vaccin covid et de la campagne de vaccination en cours. 

La différence est fondamentale car les vaccins covid, malgré la pensée unique véhiculée par les médias, ne font pas l’objet d’un consensus scientifique sur le fait qu’ils soient la seule et unique solution pour sortir de cette crise, qui n’aura lieu que lorsqu’on aura atteint ces fameux 70% de vaccinés, chiffre d’ailleurs dont le fondement scientifique est fort incertain et qui ne prend nullement en compte l’immunité naturellement acquise, pourtant fort efficace(6). Le fait qu’on nous oriente massivement dans cette direction ne repose donc pas sur des connaissances scientifiques solides, ce qui est contraire à la situation décrite dans l’article de Giubilini et collaborateurs, cité plus haut, qui ne peut donc en toute logique pas être prise comme exemple à suivre dans le cas qui nous occupe.

Concernant la campagne de vaccination pour le covid, un problème important se pose : le fait de manipuler les gens pour les inciter à se faire vacciner (car c’est bien là de quoi il s’agit, la lecture du rapport des experts psychologues laisse peu de place au doute raisonnable), les prive de leur consentement éclairé. En effet, comment parler de « consentement éclairé », quand on nous a manipulés pour prendre cette décision ? Avons-nous réellement choisi ? A‑t-on réellement toutes les informations à notre disposition pour prendre une décision qui nous appartienne réellement, sans influence extérieure ? Ou bien a‑t-on « fabriqué » notre consentement ? Quand on nous pousse à notre insu dans une direction précise, à l’aide du nudging, puis que l’on nous informe qu’en fin de compte nous avons le choix, cela s’apparente tout à fait à la technique de manipulation nommée « l’illusion de la liberté », très bien décrite dans la littérature scientifique, notamment par Joule et Beauvois(7). En résumé, il s’agit, pour manipuler le choix d’une personne dans une direction déterminée à l’avance, de lui donner l’illusion qu’elle a le choix sans aucune influence, alors qu’en fait tout est fait pour que son choix s’oriente dans cette direction bien précise. Cette technique s’avère extrêmement efficace.

Le paradoxe avec le fait de vivre dans une démocratie est interpellant, et pose de nombreuses questions profondes : est-ce là la société dans laquelle nous voulons vivre ? Peut-on appeler « démocratie » une société où le gouvernement nous pousse sciemment, et à notre insu, dans une direction sans qu’on ait voix au chapitre ? Quelles valeurs sont véhiculées par ces pratiques ? En quoi cela se différencie d’une forme de « dressage social » ? Quelle place reste-t-il aux débats d’idées, à la transparence et l’honnêteté, à la remise en question, à l’humilité, à la pluralité des opinions et au droit de les exprimer ? A‑t-on donc définitivement renoncé à tout ça, et, dans la même foulée, renoncé à l’éducation et à la pédagogie, pour lui préférer des techniques de marketing ? A‑t-on réfléchi aux conséquences d’une telle forme de gouvernance ? Sommes-nous dans une dérive utilitariste de « la fin justifie les moyens » ? Et que dire encore de la science qui développe ces techniques pour les mettre au service de la politique sans aucune consultation citoyenne ? Quel impact cela aura sur la confiance des citoyens et des citoyennes dans la science et les scientifiques ? Cette dernière question m’étonne tout particulièrement car elle avait justement fait la une du dernier magazine « Imagine demain le monde : La science à l’ère du soupçon ».(8) Cela m’étonne d’autant plus que certains membres de ce groupe d’experts psychologues ont participé à la rédaction de ce même article.

Peut-on appeler « démocratie » une société où le gouvernement nous pousse sciemment, et à notre insu, dans une direction sans qu’on ait voix au chapitre ? Quelles valeurs sont véhiculées par ces pratiques ? En quoi cela se différencie d’une forme de « dressage social » ?

Malgré ces nombreuses questions, aucune n’est évoquée dans les rapports des experts psychologues, qui ne semblent pas fort se soucier des conséquences de leurs conseils ni des valeurs qu’ils véhiculent. Apparemment, tant qu’on atteint l’objectif, le reste n’a pas d’importance. Il s’agit d’une application en bonne et due forme de « la fin justifie les moyens ».

Pour conclure, je ne plaide pas pour l’interdiction ou la condamnation totale du nudging. Ce qui me pose un problème majeur, c’est que tout ceci n’ait fait l’objet d’aucun débat sociétal, que ces techniques sont utilisées à l’insu de l’entièreté de la population et qu’il n’y a aucun garde-fou par rapport à des dérives évidentes qui pourraient avoir lieu en les utilisant. Que se passe-t-il si on se trompe d’objectif ? Qu’arriverait-il si on influence massivement toute une population dans une direction qui fait en définitive plus de mal que de bien ? Les objectifs visés ne devraient-ils pas faire l’objet de débats impliquant les personnes directement concernées avant d’être poursuivis ? Je pense que tout ceci devrait être ouvertement débattu, et que les citoyens — du moins une partie d’entre eux, l’entièreté étant bien entendu illusoire — devraient y être activement impliqués. 

Je pense que nos démocraties ont montré toutes leurs faiblesses durant cette crise et qu’elles doivent évoluer, se réinventer et aller vers une forme beaucoup plus directe en favorisant une participation nettement plus active de la population, au risque sinon de se voir substituer par des systèmes qui ont laissé de sombres traces dans l’histoire. Je suis d’ailleurs profondément convaincu que les citoyens seront enthousiastes et motivés de retrouver un pouvoir d’action nettement plus tangible sur la société que le seul fait de voter, ce qui pourra d’ailleurs in fine être excellent pour la santé mentale, en favorisant le sentiment de pouvoir d’action et en évitant de sombrer dans le défaitisme et le pessimisme. 

Au vu de la crise actuelle et de la crise climatique en cours, il est plus que souhaitable, et c’est un euphémisme, d’éviter de cultiver un sentiment de fatalisme, qui n’a jamais rien résolu. Au point où nous en sommes, nous n’avons plus ce luxe.

Ludwig Hemeleers

Notes et références
  1. To nudge : coax or gently encourage (someone) to do something. To coax : persuade (someone) gradually or by flattery to do something. Oxford Dictionnary of English, third edition, 2010, pp. 1217 and 333
  2. https://www.uppcf.be/psychologie-et-corona
  3. https://covidrationnel.be/2021/05/11/note-technique-vaccins-contre-la-covid-19-base-de-preuves-et-consentement-eclaire/
  4. Ibid, référence 2
  5. « Nudges can be defined as interventions that steer people in particular directions but that also allow them to go their own way », Giubilini et al., 2019, Nudging immunity : the case for vaccinating children in school and day care by default, HEC Forum (2019) 31 : 325–344, https://doi.org/10.1007/s10730-019–09383‑7
  6. Ibid, note 3 et aussi : https://www.kairospresse.be/deux-ex-vaccina/. Pour l’efficacité de l’immunité naturelle, voir https://www.nature.com/articles/s41586-021–03647‑4 pour l’article scientifique, https://www.nature.com/articles/d41586-021–01442‑9?utm_source=Nature+Briefing&utm_campaign=6642113fdd-briefing-dy-20210527&utm_medium=email&utm_term=0_c9dfd39373-6642113fdd-45689842 pour l’article de presse
  7. Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens », Presses Universitaires de Grenoble, 1987
  8. Imagine Demain le Monde, n°143, « La science à l’ère du soupçon », mars-avril 2021, P.26–47

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