L’indispensable démondisalisation

Le 15 mai dernier, le nouveau rapport du WWF sur l’état du monde vivant (rapport Planète vivante 2012) confirme les tendances mises en évidence depuis de nombreuses années: un déclin alarmant de la biodiversité animale et une croissance de plus en plus insoutenable de la pression exercée par l’homme sur les ressources naturelles et les écosystèmes.

Entre 1970 et 2008 (dernières données disponibles), l’indice planète vivante, qui se base sur l’évolution de plus de 9000 populations animales appartenant à 2688 espèces de mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons, révèle un déclin global de 28% de la biodiversité animale.

Par ailleurs, on constate que depuis 1970, la consommation annuelle de ressources naturelles par l’homme excède la capacité de la planète à les renouveler. L’empreinte écologique, paramètre évaluant la pression exercée sur la biosphère est comparée à la capacité de régénération de la terre, sa biocapacité, laquelle correspond à la surface des terres disponibles pour produire les ressources renouvelables et absorber les émissions de CO2. L’évolution montre une tendance croissante à la surconsommation; alors qu’en 1970, l’empreinte écologique commence à dépasser la biocapacité, elle atteint 18,2 milliards d’hectares globaux en 2008 pour une biocapacité évaluée à 12 milliards d’hectares globaux, soit un excès de 50%. Il faut donc une année et demie à la planète pour régénérer les ressources consommées en un an! Ce constat global ne doit pas masquer les énormes disparités entre pays et entre régions du Monde; les auteurs de l’étude pointent la responsabilité particulière des pays dits riches ou développés. Le nord-américain moyen a une empreinte écologique de 7,1 hag et le citoyen de l’Union européenne de 4,7 hag alors que l’Africain atteint à peine 1,45 hag.

Un examen plus détaillé montre que le leadership dans la destruction de la planète est assuré par les pays dont le PIB par habitant est parmi les plus élevés, la Belgique occupant une peu enviable 6ème place, juste derrière les Etats-Unis et le Danemark, le podium étant logiquement occupé par les pays les plus artificiellisés du monde que sont le Qatar, le Koweït et les Emirats ArabesUnis.

En fait, le rapport du WWF n’apporte guère d’informations nouvelles, si on le compare aux versions antérieures. Il ne fait que confirmer la dégradation en cours depuis un demi-siècle. L’examen des courbes d’évolution apporte cependant des enseignements utiles qu’on peut s’étonner de ne pas voir tirés par les auteurs de l’étude.

Si on analyse en effet les données de ces vingt dernières années, soit celles qui se sont écoulées depuis le Sommet de la Terre de 1992, on est bien forcé de remarquer l’absence d’inflexion des courbes d’évolution qu’on aurait dû constater après l’adoption de trois conventions internationales majeures sur le climat, la biodiversité et la désertification. Aucune de ces conventions n’a eu d’effet mesurable. Au contraire, même; au tournant de l’an 2000, l’empreinte écologique a augmenté plus vite qu’auparavant de même que toutes ses composantes, en particulier l’empreinte carbone.

Il est vrai que la concrétisation de ces conventions prend du temps mais les protocoles de mise en œuvre n’ont pas non plus été suivis d’effets visibles. Le Protocole de Kyoto a été adopté en 1997; la lecture de la courbe de l’empreinte carbone montre bien que cela n’a pas amené d’amélioration. Certes, il est justifié de mettre en accusation le plus gros pollueur de la planète, en l’occurrence les Etats-Unis. La mauvaise volonté de ce pays est manifeste lorsqu’il s’agit de prendre des engagements multilatéraux. Elle s’est exprimée à l’occasion de tous les sommets internationaux consacrés aux enjeux environnementaux. Ce fut encore le cas à Copenhague en 2009. Mais il ne faudrait pas que la stigmatisation d’une telle attitude camoufle l’essentiel, c’est-à-dire la non pertinence des mécanismes mis en œuvre pour atteindre les objectifs qu’on prétend poursuivre.

Le Protocole de Kyoto est tout à fait exemplatif en la matière. Rappelons tout d’abord les faits: les émissions de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles étaient en 2008 près de 40% plus élevées qu’en 1990, année de référence retenue par le Protocole de Kyoto. Les pays de l’annexe 1, signataires de ce Protocole, se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5% à l’échéance 2012. Cet objectif minimaliste ne sera pas atteint. On peut le déplorer mais on doit avant tout rappeler que cet engagement résulte d’une négociation très dure où chaque pays visait avant tout à limiter les contraintes sur ses activités économiques. En outre, il ne concerne que les émissions générées sur le territoire national, ce qui en limite fortement la portée. C’est d’autant plus vrai que l’accélération de la mondialisation économique s’est traduite depuis le débat des années 90 par une tendance générale à la délocalisation de la production industrielle vers des Etats non soumis aux exigences du Protocole de Kyoto, comme l’Inde, la Chine ou les pays d’Europe de l’Est, là où par ailleurs le coût salarial de la production est dérisoire. Ainsi, il n’est pas tenu compte dans le calcul des émissions provoquées en-dehors du territoire national pour fabriquer et transporter les produits finis ou semi-finis importés pour satisfaire la demande nationale. Des pays considérés comme vertueux du fait qu’ils semblent en voie de respecter leurs engagements à l’égard du Protocole de Kyoto ont en fait délocalisé une part importante de leurs émissions de CO2.

Si on ajoute que les mécanismes du Protocole de Kyoto comme les échanges de quotas d’émission et le développement propre permettent aux multinationales non seulement d’échapper à leurs obligations mais de réaliser des profits substantiels en délocalisant la pollution, on comprend que l’édifice règlementaire mis en place vise avant tout à ménager les acteurs économiques dominants tout en prétendant atteindre des objectifs ambitieux par une meilleure efficacité et l’innovation technologique.

L’accroissement régulier de l’empreinte écologique globale est la conséquence d’une logique, économique qui ignore dans une large mesure ses retombées écologiques, néglige ce qui n’a pas de valeur marchande et exige une croissance permanente de ses activités. La mondialisation économique et financière, en confiant de facto la marche du monde aux grands acteurs économiques et financiers et en privant les décideurs politiques de leurs principales prérogatives nepeut qu’accélérer un processus intrinsèquement mortifère.

C’est ce qui est en cours depuis plus de 20 ans, le pas décisif ayant été franchi avec la mise en place de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1994, soit 2 ans après la Conférence de Rio. Dans un tel contexte, l’échec de cette conférence était programmé.

Le développement durable, nouvelle appellation de l’artificialisation du monde destinée à réhabiliter le développement économique grâce aux technologies vertes et à une meilleure efficacité dans l’utilisation des ressources ne peut être qu’une dangereuse illusion dès lors qu’il concerne aussi les pays dont l’empreinte écologique est déjà largement supérieure à leur biocapacité.

Les responsables politiques et associatifs qui se prétendent soucieux de l’avenir de la planète et de l’humanité doivent renoncer à l’idée que les mécanismes du marché sont adaptés pour réduire la surconsommation des pays développés; ils doivent aussi se rendre compte que la démondialisation est un passage obligé si on veut réduire rapidement et significativement la pression sur les écosystèmes et les ressources naturelles.

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