Le covid, la mort et le système médico-technique

Ce qui suit n’est qu’un témoignage personnel qui ressemble très probablement à des centaines d’autres histoires individuelles vécues depuis près d’un an. Il a la seule particularité d’être passé au crible d’une grille de lecture qui s’inquiète de la progressive déshumanisation de la médecine qui accompagne l’irruption de technologies toujours plus lourdes et plus complexes.

C’était un couple ordinaire de paisibles octogénaires. Monsieur avait bien des problèmes de santé qui avaient réduit son autonomie, mais, avec des soins à domicile appropriés, tout se passait plutôt bien. Mais voici qu’un jour, une perte de conscience momentanée lui fait perdre l’équilibre et le fait chuter lourdement. Ses proches, inquiets, appellent logiquement les urgences et celles-ci jugent prudent de l’emmener à l’hôpital. Ceci se passant au sud-est de la région bruxelloise, l’hôpital le plus proche est, hélas, le site Delta du Chirec.

Là commence le parcours plutôt habituel de quelqu’un d’âgé qui arrive pour la première fois dans un hôpital de pointe : des séries d’examens les plus divers, dont certains fort invasifs, amènent des diagnostics plutôt inquiétants, mais sans engager le pronostic vital. Comme le dit la sagesse populaire : « Quand on entre à l’hôpital, ils vous trouvent toujours quelque chose… ». La multiplication d’actes techniques est, on le sait, la manière qu’ont beaucoup d’hôpitaux d’assurer leur rentabilité, chaque acte étant remboursé généreusement. Heureusement Monsieur dispose de la célèbre assurance santé DKV qui lui permettra d’amortir le coût.

Quelques jours plus tard, l’épouse de Monsieur connaît de graves problèmes au tube digestif (conséquence du stress ?) et doit être, elle aussi, hospitalisée, même direction… Intervention chirurgicale et voilà que les deux membres du couple, plutôt fusionnel, se retrouvent dans la même chambre, ce qu’ils apprécient évidemment. Si tout n’est pas rose, ils font contre mauvaise fortune bon cœur, même si les règles d’isolement les empêchent de voir leur famille, notamment leur fille très proche d’eux.

Irresponsabilité vs dignité

Mais on apprend brutalement qu’un visiteur indu (grâce à quel privilège ?) est, lui, entré dans le service de gériatrie et, étant donné qu’il était porteur du virus tant redouté, il s’avère qu’au moins une demi-douzaine de patients du service gériatrie sont rapidement infectés, dont les deux membres du couple. Chez Monsieur cela se passe de manière asymptomatique, mais Madame développe rapidement une forme sévère. Que croyez-vous qu’il se passa ? Que l’hôpital va les prendre en charge, assumant la responsabilité de la faute commise ? Pas du tout : Monsieur est renvoyé chez lui rapidement bien qu’il soit évident qu’il ne peut vivre seul. Sa fille, obtient rapidement un congé pour assistance familiale (merci les syndicats de s’être battus pour obtenir ce droit) et l’assister en continu. 

Quelques jours plus tard, Madame est, elle aussi, renvoyée à la maison avec des propos indignes du responsable du service : c’est une malade difficile ; qu’elle soit ici ou à la maison, c’est la même chose : on ne peut plus rien faire pour elle… De fait, elle tiendra 24 heures avant de commencer à étouffer. Heureusement, un hôpital public, celui d’Iris-sud Ixelles, la prendra en charge et la traitera, lui, dans la dignité. Le service des soins intensifs accompagnera Madame et sa famille avec une grande humanité, permettant, avec des règles de sécurité maximales (genre habit de cosmonaute), à ses enfants d’accompagner la malade lors de ses derniers instants. Des médecins et psychologues ont longuement pris le temps d’expliquer son état de santé, d’échanger sur les soins encore à donner, pourquoi il était inutile de la faire souffrir inutilement en l’intubant. Son départ fut paisible.

Police sanitaire

Deux personnes positives au covid ayant été renvoyées à la maison, le service de traçage/testing contacta Monsieur, et enquêta afin de connaître les cas-contact. C’est ici que votre serviteur, dit le beau-fils, entre en scène. Après 10 jours de stress intense et de rudes émotions, la fille du couple, ma compagne, connut elle aussi des problèmes de santé et ne parvint plus à assurer les soins constants à son père ; j’emménageai donc auprès d’eux et devins un cas-contact de première ligne(1). Il fut étonnant d’entendre les conseils que prodiguaient nos braves conseilleurs : mettre des masques, rester à distance, etc., etc. Si vous leur faisiez remarquer qu’aider une personne en perte d’autonomie à se lever, à s’asseoir, à aller aux toilettes, à manger est totalement impossible selon leurs normes, ils restaient sans voix avant de répéter les mantras que tous connaissent par cœur aujourd’hui.

Alors, on assume et fort logiquement, après quelque temps, les tests obligatoires tous les 7 jours se révèlent positifs. Mais on était prêt.e.s et l’on sait que, comme le disait le Dr Antoine Béchamp (1816–1908), le rival de Pasteur : « Le virus n’est rien (ou pas grand-chose), le terrain est tout », alors on prend nos vitamines D et on demande à nos lymphocytes B et T de se mobiliser(2).

La fréquentation du système sanitaire est-elle aussi édifiante : j’ai été victime d’un bug qui fait que j’ai reçu plusieurs fois les codes (à 16 signes) qui donnent accès aux centres de test (aucun ne marchait). Ma compagne a reçu une annonce de négativité qui lui a permis de sortir et de faire une série d’activités jusqu’alors interdites…jusqu’à ce que le lendemain on lui annonce l’exact contraire : ils s’étaient trompés et avaient envoyé le résultat du test précédent !(3) Mais pis que tout est l’omniprésence de l’informatique. Les résultats codés sont envoyés par mail, en vous conseillant l’app coronalert dont vous n’avez évidemment pas voulu. Planté pour un de mes derniers résultats, car ne disposant pas du lecteur de carte d’identité adéquat, j’ai tenté de trouver des interlocuteurs humains. Si, si, cela existe. Là, c’était original : on vous annonce que vous êtes l’appelant n°20, puis 19, 18… Au bout d’une heure et demie, c’est votre tour et vous apprenez que si le résultat existe quelque part, il n’est pas encore arrivé là où vous avez appelé et que demain, peut-être… J’avoue avoir été méchant avec la pauvre téléphoniste qui a fini par me dire qu’avec sa collègue, elle en prenait plein la g… de tas de personnes mécontentes ou désespérées. Deux malheureuses sont là pour éponger les plaintes de milliers de victimes de la fracture numérique… Le lendemain, je téléphone à 9h00 et 5 secondes et suis directement n°4… 15 minutes plus tard, j’apprends que mon résultat est arrivé… mais qu’on ne peut pas me le donner : il faut que j’envoie un mail avec une copie scannée de ma carte d’identité à leur adresse mail. Je ne mourrai peut-être pas du covid, mais, là, j’ai failli mourir d’énervement.(4)

L’inhumanité numérique

Ce qui précède n’est hélas pas original, cela a dû arriver à une bonne partie des proches des 21.750 victimes belges du covid ou des 741.000 qui ont été déclarés covid-positif. J’ai donc testé pour vous, à mon corps défendant, un parcours chaotique où j’ai rencontré des îlots de bienveillance, venus d’un passé où l’on a réussi à construire un système médical assez exemplaire, avec des professionnels compétents et doués d’empathie. Ceux qui veulent le détruire appellent cela l’État-providence et pour eux c’est une insulte puisqu’ils préféreraient voir s’installer la jungle sans État. Mais avec l’irruption du covid, avec les coupes budgétaires réalisées dans les soins de santé, avec l’irruption d’une médecine de plus en plus technique, avec des praticiens qui semblent avoir oublié ce qu’est le serment d’Hippocrate, j’ai aussi découvert la face sombre de la modernité médico-technicienne.

Je ne sais combien a coûté ce système abscons de délivrance des résultats des tests par informatique, mais vu les longues heures que cela prend pour se dépatouiller, parfois, c’est d’un rapport qualité/prix désastreux. Certes, l’alternative ce serait d’engager quelques dizaines d’humains qui prendraient la peine de vous contacter, comme ils le font d’ailleurs pour vous tracker/tracer pour obliger tous les cas-contact que vous devez dénoncer à se faire tester.

Ceci n’est sans doute qu’un exemple parmi d’autres de la dictature digitale(5) que certains veulent imposer à l’occasion de l’épidémie. Il est étonnant de voir les médias encore tenter de vendre les pseudos avantages du virtuel alors que les étudiants saturés de cours en ligne, les travailleurs épuisés par le travail à domicile, les militants ulcérés par l’inefficacité des vidéo-conférences (les branchés appellent cela des webinaires)… vous disent tous leur ras-le-bol.

Quand les révoltes seront encore montées d’un cran, quand les peureux auront compris qu’on a les a souvent inutilement effrayés, peut-on espérer une réaction majoritaire pour s’opposer à ces dérives ? Sinon, comme le dit Souchon, nous irons tous vers L’utra-moderne solitude

18 février 2020

Notes et références

  1. J’ai ainsi pu, bien qu’homme, participer du care, cette protection/perpétuation/reproduction de la vie que l’on dit parfois réservée au genre féminin. Cela m’a rappelé ce beau compliment que m’a fait mon père, il y a 20 ans, quand je me suis beaucoup occupé de lui après la mort de son épouse : « Il est bien mon fils, il s’occupe de moi comme une fille ».
  2. Vous ne croyez pas aux pouvoirs de l’esprit ? Alors vous êtes les victimes toutes désignées de la médecine industrielle qui à tout problème ne voit qu’une solution simpliste (confinement, vaccin), ne faisant pas confiance à votre système immunitaire qui, en fin de compte, sera pourtant celui qui, naturellement ou artificiellement mis en route, vous sauvera.
  3. On s’indigne à juste titre que des entreprises indélicates annoncent leur licenciement par mail à leurs employés. Ici, c’est un verdict de vie ou de risque non négligeable de mort que l’on découvre, seul, devant son ordinateur. C’est vraiment un summum de manque de respect.
  4. J’ai renoncé à ce stade, mais ma compagne à poursuivi l’expérience jusqu’à son terme et, 2 jours plus tard, le verdict électronique tombait. Heureusement, entre temps, j’avais contacté un médecin de ma maison médicale qui, lui, en 2 clics avait mon résultat. Quel bonheur de tomber sur un humain qui entend, parle, explique, rassure le cas échéant, conseille. Finalement, les principaux intéressés sont souvent les derniers avertis…
  5. Il y a 20 ans déjà Larry Lessig écrivait l’article « Code is Law » (Le code c’est la loi) qui montrait que ceux qui contrôleraient internet prendraient le pouvoir à la place des États. Ceci implique que la lutte pour contrôler le cyberespace fait de ce lieu une arène de combat. Il attire les libertariens qui voient là un exercice radical de leur liberté et les mondialistes néolibéraux qui voient là un moyen de contrôler la loi en contrôlant le code.

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