Le Combat Radical

«Etre radical, c’est qualitativement plus que le mécontentement habituel que ressent une personne au contact du monde. Je vois ça comme quelque chose de radicalement injuste donc il faut que ce soit radicalement changé. D’autres personnes pensent que c’est mal mais aussi que les inégalités ne sont pas radicalement mauvaises. Qui vous choisissez de voir à travers quels yeux, à travers quels yeux vous choisissez de regarder le monde? C’est un monde radicalement injuste. Et ça demande un changement radical». Norman Finkelstein, juif américain, spécialiste du conflit israélo-paléstinien, n’est pas juste un contestataire. il est un homme qui engage sa vie dans la démonstration de la vérité et la lutte contre l’injustice. mais ce que son combat révèle, et que le reportage met formidablement en évidence, c’est la question des identités, et la haine qui naît de la méconnaissance des autres.

Norman Finkelstein pourfend l’instrumentalisation de l’histoire et le sentimentalisme affecté qui sélectionne les souffrances passées pour mieux évacuer les actuelles. ainsi, répondant après un débat à une personne fondant en larmes en lui reprochant de ne pas tenir compte de la souffrance infligée par les nazis aux juifs, Finkelstein répondra, catégoriquement : «Je n’aime pas jouer devant un public la carte de l’Holocauste mais maintenant je me sens obligé de le faire: mon défunt père était à Auschwitz, ma défunte mère était dans le camp de concentration de Maijdenek. Chaque membre de ma famille des deux côtés a été exterminé. Mes parents ont fait partie de la révolte du Ghetto de Varsovie. Et c’est précisément et justement à cause des leçons que mes parents nous ont apprises, à moi et à mes deux frères, que je ne resterai pas silencieux quand Israël commet des crimes contre les Palestiniens. Et je considère qu’il n’y a rien de plus ignoble que d’utiliser leur souffrance et leur calvaire pour essayer de justifier la torture, la brutalité, la démolition des maisons qu’Israël fait subir quotidiennement aux Palestiniens. Alors je refuse d’être intimidé par les larmes. S’il y avait vraiment des sentiments en vous, vous seriez en train de pleurer pour les Palestiniens».

Par là, Norman Finkelstein questionne profondément l’identité et introduit le principe essentiel de son dépassement pour «voir à travers d’autres yeux». de par son origine juive, il crée le malaise dans les «deux camps». ainsi, il n’avouera à une amie palestinienne que quelques années après leur rencontre – quand elle avait appris à aimer Norman Finkelstein pour ce qu’il était et non pas pour ce qu’il représentait son identité juive, sous forme d’une question subtile et bouleversante par sa réponse: «Est-ce que tu aimes les Juifs»? «Non», répondit-elle tout naturellement. «Eh bien, je suis juif», lui dit Norman. «A ce moment, expliquera son amie plus tard, je réalisais que je venais juste de parler à quelqu’un dont j’avais avoué juste avant que je le détestais». Toutefois, Norman Finkelstein ne joue pas de cette identité dans sa défense contre les injustices faites aux palestiniens: même si elle est omniprésente et essentielle, il veut être reconnu pour ce qu’il dit et la vérité qu’il défend. paradoxalement, car sa propre histoire est intimement liée à son combat, il ne fait que confirmer que la lutte pour la justice doit se faire indépendamment de son identité: on ne doit pas dénoncer les brimades, destructions de maisons, tortures que subissent les palestiniens quotidiennement parce que l’on est soi-même arabe, musulman, juif… mais parce que ces brimades, destructions et tortures sont en elles-mêmes injustes.

Norman Finkelstein, par son combat, sa détermination, son dégoût pour l’injustice, nous pousse à être nous-mêmes radicaux. au risque évident d’être poursuivi par ceux que l’on dérange par la recherche de la vérité: Finkelstein sera renvoyé de son université et refusé dans d’autres; en 2008, le gouvernement israélien lui refuse l’entrée sur le territoire alors qu’il est là pour visiter son ami palestinien, et lui interdit d’entrer en israël pendant 10 ans, pour des «raisons de sécurité»; l’organisation de défense Juive a récemment lancé une campagne «Chassez le traître de juif» contre Norman Finkelstein, collant des affiches dans son immeuble et demandant au propriétaire de l’expulser.

Ce que propage Norman Finkelstein, ce n’est rien moins que la volonté de penser librement, contre les hérauts de la pensée formatée et consensuelle, et de dépasser la crainte d’exprimer le politiquement incorrect. il vit sa lutte et c’est un souffle grisant que de voir un homme qui n’a aucunement peur de dire ce qu’il pense… dès lors que c’est pour améliorer le sort de l’homme.

AP

American Radical, Les procès de Norman Finkelstein, Un film de David Ridgen et Nicolas Rossier, produit par Les Mutins de Pangée. www.lesmutins.org.

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