Ou comment la lutte contre un génocide en cours met en lumière l’absence de liberté de la presse et d’expression.
Nous sommes le 9 février 2015, en séance parlementaire de la Communauté française. La députée Joëlle Maison pose une question à Rudy Demotte, ministre-président, intitulée: « Soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles à l’Association belgo-palestinienne (asbl) » :
« Nous assistons à une recrudescence de l’antisémitisme et de l’islamophobie en France et en Belgique. L’actualité récente en est une tragique illustration (…) Dans ce contexte de tension croissante, tous les parlementaires de cette assemblée – et bon nombre de nos concitoyens – reçoivent mensuellement un magazine intitulé Palestine édité par l’Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles. Cette asbl publie également sa revue en ligne et reçoit des subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles (…) Les objectifs de l’association sont louables et j’y adhère totalement. Néanmoins, à la lecture du dernier numéro de leur mensuel, je ne peux que regretter son contenu, difficilement conciliable avec la mission annoncée de « contribuer au rapprochement entre les peuples arabe et juif, dont la coopération permettra la construction d’un Moyen-Orient pacifié et prospère. Prosélyte, manichéen, visant à ôter toute légitimité à l’État d’Israël, ce contenu me semble difficilement compatible avec les impératifs du vivre-ensemble et du dialogue interculturel. Monsieur le ministre-président, pourquoi continuer à subventionner une association dont les publications ne sont pas conformes à l’objet social ? Quelle est la nature des liens entre cette association et les autorités palestiniennes ? Y a‑t-il d’autres associations proposant un point de vue différent ? Si oui, sont-elles également subventionnées ? Quelles sont les modalités de diffusion du mensuel Palestine ? La Fédération Wallonie-Bruxelles exerce-t-elle un contrôle sur ce type d’association ? »
Ah, le fameux contrôle!… Cette tentative de retirer les subventions publiques d’un journal dont les positions ne correspondent pas au narratif politique illustre la manière dont le subventionnement de la presse constitue un outil politique non pas dans le but de promouvoir la pluralité et la diversité d’opinions, mais pour faire exister une version unique favorable au pouvoir.
La police de la pensée veille, secondée par les agents du maintien de l’ordre : Adnan Azam, journaliste et écrivain que nous avons plusieurs fois interviewé(1), a été arrêté alors qu’il attendait son avion pour l’Espagne, maintenu en garde à vue 24 heures, interrogé à plusieurs reprises sur « l’apologie du terrorisme » et le « soutien pro-palestinien ». Marc Doyer(2) s’est fait interpeller chez lui par 15 agents armés, pour avoir laissé un message sur le téléphone du président français l’interpellant sur les effets secondaires des vaccins.
Retrait des aides publiques pour les journaux désobéissants, calomnies et médisances dans les médias du pouvoir utilisés comme instrument pour salir les récalcitrants et faire peur à ceux qui voudraient s’en approcher, intimidation physique et arrestation de ceux qui dénoncent la corruption et se battent pour la vérité et la justice.
On se demande si face au massacre, génocidaire, qui atteint son faîte aujourd’hui, Joëlle Maison est autant « choquée » qu’à l’époque :
« J’ai parcouru les autres numéros et j’ai constaté des expressions choquantes comme « pogrom » et « apartheid », qui reviennent à plusieurs reprises. Je sais que ce mot est à la mode mais est-il adéquat de subventionner une revue qui l’évoque ? J’ai aussi lu le terme « génocide »… Il me semble que ces termes et expressions, que l’on retrouve d’ailleurs dans la majorité des articles, ne favorisent pas le dialogue interculturel et ne contribuent pas à pacifier les relations entre les peuples arabe et juif. Face à ce genre d’expressions et d’articles très orientés, je m’attendais à lire le point de vue de politiques et personnalités israéliennes qui ont un discours nuancé – c’est d’ailleurs la majorité en Israël –, mais il n’en a rien été ».
Médias et politiques, un seul et même pouvoir, participent quotidiennement à la construction d’un « consensus de la cécité(3) », malgré leurs mots vides tels que « pluralité », « dialogue » et « vérification de l’information ». Ce n’est pas anodin, au contraire: en ne donnant pas les clés pour comprendre, ce qui passe par le débat et la contradiction, ils génèrent la haine et la division sociale, ce qui se répercute sur la vie de la cité.
L’information n’est pas quelque chose d’immatériel, elle peut tuer. Et elle le fait.
Et les « terroristes » sont ailleurs que là où on les croit.
- https://www.kairospresse.be/interview-adnan-azzam-arrete-pour-ses-idees-lutter-contre-le-genocide-israelien-a-gaza, voir aussi: https://www.kairospresse.be/interview-adnan-azzam-le-point-sur-la-situation-au-moyen-orient
- https://www.kairospresse.be/le-combat-dun-homme-contre-un-crime-detat
- Alain Accardo, Le petit-bourgeois gentilhomme.