La crise de l’agriculture contemporaine comme opportunité pour l’agro-écologie.

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Comprendre la crise de l’agriculture n’est pas chose aisée et demande d’élargir sa vision à une perspective globale et historique, (ce qui n’est pas l’apanage des praticiens), et de prendre conscience de la difficile condition du paysan ce qui constitue, il faut le reconnaître, un exercice inédit pour les intellectuels… 

Pourtant la question nous concerne tous et sa compréhension est vitale. 

A la croisée des chemins, le scientifique est prêt aujourd’hui à reconnaître en l’homme de terrain un partenaire de bon sens, précieux pour sa recherche, a fortiori si celle-ci traite de résilience, d’autonomie, d’adaptation locale ou de savoir-faire qui a fait ses preuves, bref de durabilité. 

Pourtant l’approche écologique de l’agriculture est bien plus qu’un modèle technique. 

« Issue d’une démarche scientifique attentive aux phénomènes biologiques, l’agro-écologie associe le développement agricole à la protection-régénération de l’environnement naturel » dit P. Rabhi. C’est une pratique interdisciplinaire conjuguant une approche agronomique, socioéconomique, culturelle et aussi politique ; une approche holiste de la crise et de son dépassement et c’est dans cette perspective-là que nous nous situons. 

Ainsi chaque observateur de nos campagnes depuis quelques dizaines d’années peut en témoigner : le nombre de fermes diminue et les survivantes s’agrandissent. Ce qui ne veut pas dire qu’elles engagent plus de main‑d’œuvre, ce serait plutôt l’inverse : l’énergie fossile (essentiellement le pétrole) semble avoir massivement pris le relais de la paysannerie. 

« Il n’aura fallu qu’un siècle pour que la catégorie sociale la plus importante dans l’histoire des grandes civilisations humaines, et ce depuis l’avènement de l’agriculture (il y a 10 000 ans), soit pratiquement balayée du paysage du monde du travail » nous rappelle brillamment A. Ruwet dans l’édition de janvier-février 2013 de Imagine. Ceci est loin d’être anodin et mérite toute notre attention à l’heure où beaucoup cherchent du travail et où le pic du pétrole est dépassé. 

Car cette évolution n’est pas inexorable et résulte d’une mise en concurrence délibérée entre des systèmes de production (très inégaux en terme de productivité et de coûts), par une globalisation « aveugle » de l’économie alors que les transports sont volontairement sous-estimés. 

Cette sélection par le marché nous conduit, certes, à une rationalisation de la production pour les plus grands profits du secteur privé, qui réalise les plus-value, et à court terme de la population dont les dépenses en frais de nourriture diminuent avec la qualité de ce qu’elle avale. 

Mais s’il apparaît, comme nous le pensons, que les délocalisations-concentrations qui en résultent entament gravement notre sécurité alimentaire, que nous nous retrouvons effectivement confrontés à toute une série d’impasses qui rendent ce modèle non viable, et qu’en définitive c’était une erreur d’appliquer la logique industrielle à l’agriculture, nos politiques ultra-libérales et les citoyens qui les soutiennent risquent de porter une lourde responsabilité devant les « crash » alimentaires à venir. 

Parmi les impasses avérées, toute personne bien informée pense, bien sûr, d’abord à la question énergétique. Un litre d’hydrocarbure pour produire/transformer/distribuer un kilogramme de blé, c’est trop ! Beaucoup trop! Dans le contexte de transition écologique qui est le nôtre, cette dépendance doit être drastiquement réduite dans tous les domaines… et ce ne sont pas les agrocarburants qui vont nous sortir de là. 

L’agriculture industrielle sera fort probablement considérée comme la plus grosse gabegie énergétique de l’histoire! Vous rendez-vous compte qu’on a remplacé les paysans capables de produire de manière entièrement renouvelable, par des exploitants qui ne savent qu’aggraver le déséquilibre planétaire ? 

L’exploitation des ressources ! Voilà la caractéristique majeure du système alimentaire qui nous a conduits à la crise actuelle et qui ne pourra que se renforcer jusqu’à la fin : car que se passe-t-il lorsque l’on puise dans une ressource sans se préoccuper de son rythme de renouvellement ? On l’épuise ! Elle s’épuise…

Il en va ainsi de l’exploitation de toutes les mines de la croûte terrestre dont notre complexe agrochimico-militaro-industriel a tant besoin (et qui en préfigure la fin), mais aussi de l’eau potable, de la terre arable, de la biodiversité, de l’équilibre climatique,… et des compétences paysannes. Comme si, dans sa folle logique de développement, tendue vers le profit maximal, était intégrée la destruction de ses moyens. 

Inutile de poursuivre ce macabre énoncé: vous aurez compris que la crise est structurelle et qu’il n’est pas nécessaire de s’enfoncer plus loin dans l’erreur ! La persévérance à ce stade serait criminelle. Il nous faut renoncer à une certaine idée de l’opulence, remiser nos vieilles idées sur le progrès (que l’on confond encore trop souvent avec l’innovation) et rompre avec la logique capitaliste, si nous voulons réaliser les changements de société nécessaires, radicaux et durables. 

« La nouvelle logique à construire devra tourner le dos au productivisme, intégrer la donne écologique, éradiquer les différentes formes d’oppression (raciales, patriarcales…) et promouvoir les biens communs », résume très bien Éric Toussaint du CADTM. 

Il ne s’agit bien sûr pas “que” d’alimentation. Alors qu’un humain sur sept s’endort la faim au ventre, on nous parle de crise financière, économique, écologique : tout est lié, mais nous pensons qu’en visant la souveraineté alimentaire grâce à l’agro-écologie nous donnerons la chance à notre économie de se brancher sur un nouveau moteur largement éprouvé : l’humain, ses besoins et les énergies vraiment durables dont il dispose localement. 

Ainsi, nous estimons qu’une agriculture écologique durable est non seulement à même de nourrir la population, mais que c’est une des meilleures façons de refroidir la planète, en refixant plus de carbone (sous forme de bois et humus) qu’on en émet, et cela, sans recourir aux agrotoxiques et OGM qui nous empoisonnent. 

Cette option nous engage aussi dans la construction de sociétés plus justes pour les producteurs et les consommateurs, en favorisant le dialogue et les échanges propices à la rencontre des intérêts à long terme. 

Protéger la vie en général et l’agriculture en particulier, c’est s’opposer aujourd’hui au pouvoir des corporations transnationales et des grands trusts financiers. C’est un acte politique urgent. Mais la classe politique semble désinformée ou bien paralysée pour y arriver. Fort heureusement, la conscience politique citoyenne gagne en la matière, notamment grâce à des médias comme le vôtre, et on observe une grande convergence associative et de l’économie sociale autour de ces questions, avec de timides réalisations à la clef qui nous redonnent l’espoir.

Au niveau individuel, l’engagement pour la simplicité volontaire et vers l’autonomie alimentaire nous semble refléter la position citoyenne la plus cohérente actuellement… jusqu’à ce qu’une large frange de la population active (ou inactive, mais sensible) soit retournée à la terre. 

En tant qu’organisation paysanne, c’est notre mission de l’accompagner, en sauvant et transmettant un maximum de graines de résilience. 

Thomas Lauwers, pour le MAP 

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